L'affaire Danone m'intéresse diablement à plus d'un titre : d'abord parce que PepsiCo est mon ancien employeur (même s'il y a bien longtemps maintenant), puis parce que j'ai toujours affirmé qu'il y avait une logique à ce que tôt ou tard Danone se fasse convoitée par Pepsi ou Coca (ma conviction était que son business "eaux" ne pouvait pas rester indépendant), aussi parce que j'analyse ici une cristallisation de certaines peurs pour une large part irrationelles voire volontairement alimentées par qui y a intérêt, et enfin parce que je suis navré de constater encore une fois une expression de franchouillardise exacerbée qui n'est pas forcément fait pour nous servir.
Cette affaire qui est devenue d'Etat, le Président Chirac l'évoque lors de son discours du 14 juillet, Jean François Coppé, porte parôle du gouvernement, annonce "suivre de très près le dossier", Patrick Ollier (Pdt de la Commission des Affaires Economiques de l'Assemblée) dit que le Gouvernement est "très préoccupé", Jean Louis Borloo se dit prêt à tout faire pour éviter un éventuel rachat, et le 1er Ministre Dominique de Villepin confirme en se faisant l'écho de l'ensemble de la classe politique et du monde syndical, évoquant la volonté de "défendre les intérêts de la France."
Ah bon, il y va de l'intérêt supérieur de la nation ? Tiens donc ? Qu'on m'explique !
Levée générale de boucliers sur ce qui n'est actuellement qu'une simple rumeur, démentie par PepsiCo. Mais quoi qu'il en soit, sur le principe, c'est la fierté nationale qui est en jeu ! Dans la cacophonie danonesque, c'est presque à celui qui clamera l'indépendance française de Danone le plus haut, le plus fort pour bien se faire voir. Chirac et Villepin, en se posant en défenseurs ardents de "l'intérêt national", ne peuvent d'ailleurs que remonter dans les sondages. Je parie 3 points de plus à chacun dans le prochain sondage du JDD. Bien joué !
Que Vivendi mette la main sur l'américain Universal, on applaudit, et J6M s'autorise un "putaing ce que je suis heureux" (dixit); que Sanofi mette la main sur le franco-allemand Aventis, le Gouvernement cautionne et encourage; que Renault prenne 40% de Nissan, superbe revanche sur les japonais qui faisaient si peur il y a 20 ans; mais qu'un yankee veule mettre la main sur "l'une des plus jolies filles de l'agro-alimentaire mondial" là, il n'en est pas question !
Plus subtil, mais très pragmatique, DSK analyse que le vrai moyen de faire rater la supposée OPA est de faire comprendre aux actionnaires de PepsiCo qu'on fera tout chez nous pour leur rendre l'affaire bien moins attractive ! Tactique employée avec succès par l'énergique Petit Nico pour Alstom convoitée par Siemens ou pour Sanofi convoitée par Novartis. Et c'est vrai que cette tactique peut marcher. Si les réactions hostiles de tous bords se multiplient, le géant
américain, se sentant à tous points de vue indésirable, pourrait logiquement renoncer à ses projets.
Danone, qui aurait alors courageusement résisté au prétendu appétit de l'ogre américain, sortirait brillamment vainqueur de la bataille et, bénéficiant d'une image renforcée, pourrait même alors en profiter pour subrepticement remonter légèrement et sélectivement certains prix !
En tout état de cause, bravo Danone pour cette intense campagne de sensibilisation à destination des pouvoirs publics, de la classe
politique, de la presse, du monde agricole, des organisations
syndicales, et même du grand public. Efficacité
incontestable ! Joli coup, rarement autant de publicité et d'image n'auront été achetées pour aussi peu cher ! L'affaire LU avait ébranlé le chantre des alicaments et de l'alimentation saine, mais PepsiCo leur donne l'occasion de redorer leur image ! Le PDG Franck Riboud lui-même monte au créneau dans les Echos du jeudi 21 juillet et prend à parti la France en slogan "il faut sauver Danone" ! Ah bon, parce que Danone est menacée ? Et dire qu'il y a quelque temps, lors de l'affaire LU, c'était "je boycotte Danone" !
Revenons rapidement à ce même DSK qui, aiguillonné par PepsiCo (quelle ironie), avait bloqué le rachat d'Orangina par Coca en 1998. L'entreprise d'Aix en Provence, ex propriété de Pernod Ricard, étant finalement passée sous le contrôle de la perfide albion en la personne de Cadbury Schweppes.
Danone, une vraie cause nationale, 10 minutes de présentation au JT de 20h de ce soir sur TF1 ! Nous n'avons pas encore entendu Monsieur "je-me-mêle de tout au gouvernement", alias l'énergique Petit Nico, mais ça ne devrait pas tarder !
Presque ironiquement, à ce même JT, on évoquait juste après, en se lamentant, le départ d'un autre géant américain, Kodak, du site de Châlon sur Saône pour cause de restructuration drastique de ses activités. Dans certains cas, on les aime quand même bien ces américains !
Tout aussi ironiquement, s'il y en a qui se réjouissent de tout cela, se sont les actionnaires qui ont vu le cours de l'action Danone prendre 30% sur les 15 derniers jours !
Seul le ministre des Petites et Moyennes Entreprises, Renaud Dutreil, a donné un son de cloche un peu différent, et très étonnant, dans
ce concert de protestations hexagonales. Il a fait remarquer que Danone
est avant tout «un groupe international dans le secteur de l’agroalimentaire» et qu’il ne fallait donc pas «surestimer sa capacité à privilégier les intérêts nationaux». La France ne représente plus dorénavant que 22 % des ventes du groupe. Très concrètement il s'est même autorisé à préciser que «l’Etat n’est pas actionnaire de Danone» et qu’il n’a donc pas «à s’immiscer dans les affaires des entreprises privées» !
Ca c'est un pragmatisme de bon aloi même si politiquement très incorrect (soit il s'est fait tapé sur les doigts, soit il a agit sur instruction) ! Car la vérité est bien là : Danone privilégie logiquement les intérêts de ses actionnaires qui demandent dividendes et appréciation de la valeur de l'entreprise. Ses dirigeants sont nommés et payés par les actionnaires pour cela, et rien que pour cela. S'il faut fermer des usines en France et mettre des salariés au chômage pour améliorer la rentabilité, le management de Danone n'hésite pas à le faire car c'est son job, tout simplement. Cf notamment la division biscuits il y a 3 ou 4 ans de cela. Entre 1983 et 2004, les effectifs de Danone en France sont passés de 27.000 à 12.000 environ, pendant que les effectifs globaux passaient de 38.000 à 90.000 !
Le capitalisme n'a pas de frontière. Non seulement les actionnaires de Danone ne sont pas que français, très loin de là (et il y a même déja plusieurs fonds d'investissement US), non seulement les emplois de Danone ne sont maintenant plus que marginalement en France (12.000 salariés sur 90.000 environ), mais Danone ne recherche aussi aucunement l'intérêt national (sauf s'il y a convergence d'intérêts), mais bien celui de ses actionnaires...
Que le management de Danone n'ai pas envie de voir l'entreprise se faire croquer car il a peur de perdre sa place, son pouvoir et son autonomie, je comprends. Que l'on souhaite conserver par simple cocorico national un drapeau bleu blanc rouge sur l'entreprise Danone, je comprends aussi. Que les politiques tirent habilement parti de la fierté nationale en défendant un Danone français, je comprends toujours !
Tout cela est bien humain, mais soyons réaliste. Ce n'est pas une affaire d'Etat, ce n'est pas le psychodrame qu'on voudrait nous faire croire, il s'agit avant tout d'une histoire de fierté, de chauvinisme et de pouvoir !
Ce qui m'embête aussi, c'est que cet interventionnisme et cette mobilisation politique, sur ce qui n'est encore qu'une OPA virtuelle, donnent vraiment de la place de Paris une image tout à fait ringarde.
Pour finir, je conclurais en disant qu'il faudrait quand même laisser aux actionnaires leur liberté de choisir. Si PepsiCo lance une OPA sur Danone, et si elle la réussit, c'est que ces mêmes actionnaires de Danone, qu'ils soient français ou étrangers, particuliers ou institutions, auront été d'accord, et ce en toute liberté et connaissance de cause, pour vendre leurs titres ! Il ne faudra pas en vouloir à PepsiCo car personne n'oblige les actionnaires actuels à vendre !
Et si ces mêmes actionnaires sont au contraire intimement convaincus que Danone a des perspectives plus alléchantes en restant indépendante, alors ils garderont leurs titres.
Ni plus, ni moins ! Alors que chaque camp présente ses arguments aux actionnaires et que ceux-ci décident alors de ce qu'ils veulent faire de leurs titres ! Si Franck Riboud peut convaincre ses actionnaires que leur intérêt est de les garder car ils vaudront plus que les X€/action potentiellement donnés par PepsiCo (encore une fois, simple supposition), et bien qu'il le fasse !
Je ne suis pas actionnaire de Danone, mais si je l'étais, à voir les résultats actuels de la société et ce que je peux analyser des perspectives, à 110€ l'action je vendrais sans aucune hésitation car ce serait vraiment très très bien payé !
Tout ceci devrait cependant à mon avis rester de la fiction, car je ne vois pas trop dans le contexte actuel PepsiCo lancé une vraie OPA hostile sur Danone. Je crois que la digestion serait un peu trop douloureuse et pour le moins risquée.
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