La formule n'est pas de moi, mais elle émane d'un de mes amis VC (et puisqu'il m'autorise expressément à le nommer, il s'agit de Marc Oiknine d'Atlas Ventures) qui me l'a sortie récemment, et j'avoue qu'elle me plaît bien car elle reflète totalement ce que je pense et ce que j'ai distillé à maintes reprises ici !
Au delà de cette profession de foi pragmatique que je partage (bien entendu, pris hors contexte c'est très réducteur car pour bien marcher, un e-commercant doit avant tout savoir regrouper et doser avec finesse de très nombreuses compétences : des épiciers terrain, des technologistes, des sociologues, des logisticiens, etc), il est intéressants de noter la vision de l'e-commerce qu'il avait :
- C'est un canal de distribution incontournable, qui représentera en effet une part importante du commerce (Forrester annonce 16% hors alimentaire dans 5 ans).
- Mais c'est peu rentable, c'est difficile d'y gagner de l'argent.
En gros, il aimerait bien y faire quelque chose, mais il a quelques PIF sur le secteur (Peurs, Inquiétudes, Frayeurs, histoire de reprendre un acronyme retail).
Cela me rappelle que le monde du LBO a eu dans le passé une approche un peu similaire vis à vis du retail (en fait, il considérait presque avec dédain ce peu sexy secteur du retail), jusqu'à ce qu'il se rende compte des qualités de cash flow de ce secteur !
Pour la rentabilité, il est clair qu'aujourd'hui les exemples ne sont pas toujours engageants en e-commerce : Amazon dégage une marge nette de 0,8% (après 7 ou 8 ans de pertes) et plus près de nous les grands de l'e-commerce en France (CDiscount, RueduCommerce, LDLC, etc) n'affichent rien de très brillant.
Maintenant, soyons un peu plus fin :
- Le commerce dans son ensemble pris de façon "monolithique" ne dégage pas une rentabilité sur CA fantastique, c'est un fait. Arriver à 5% d'EBIT est déja une grande performance. Quand on part d'une marge brute de 20 à 25%, on ne peut pas arriver beaucoup plus haut au final !
- Mais un investisseur n'a pas tant à se soucier de la rentabilité sur CA que du retour sur capitaux propres investis. Et là, le retail peut devenir très intéressant car il n'est pas si capital intensive que cela comparé à d'autres industries. Ainsi, Walmart affiche un ROS (return on sales) de l'ordre de 3% mais un ROE (Return on Equity) très honorable de l'ordre de 22%. Microsoft affiche lui un superbe ROS de 28% mais un ROE un peu supérieur seulement à celui de Walmart avec 30%. Et je connais en France de nombreuses chaînes de distribution spécialisées qui jouissent de retours sur capitaux propres supérieurs à 20%.
- Quasiment toutes les industries sont cycliques, mais le retail est un secteur qui amortit bien les fluctuations et qui jouit d'une bonne stabilité. La meilleure preuve étant sans doute qu'il attire maintenant beaucoup les acteurs du LBO (revoir la note sur Toys R Us qui a été racheté l'année dernière par 3 firmes de Private Equity). Aux Etats-Unis, c'est pas compliqué, je pense que les 3/4 des dernières transactions dans le domaine du retail (dont Toys R US) impliquent des acteurs du Private Equity. En France, la chaîne spécialisée en surgelés, Picard, fut ainsi l'objet d'un LBO il y a quelques années. Mais on pourrait aussi citer Afflelou, Sephora, Autodistribution, Fauchon, Cojean, Camaieu, Du Pareil au Même, 1000 Amis (Pet Store), Carré Blanc, Marc Orian, Histoire d'Or, Morgan, Mondial Tissus, etc. Et bien sûr, Photo Service et Photo Station dont j'ai parlées récemment, mais pour le coup, la stabilité n'était pas vraiment là ! Investir dans le retail dans un contexte de rupture technologique était un pari risqué de la part de Cinven.
- Comme dans le commerce, tous les secteurs n'affichent pas la même rentabilité, certains étant extrêmement bataillés. L'e-commerce ne pouvant pas arguer de la proximité et de l'immédiateté qui permet, parfois, de vendre un peu plus cher, le consommateur ayant à sa disposition des outils immédiat de comparaison des prix sur le web (du genre de Kelkoo), la lutte sur les grandes catégories y est par nature bien plus âpre et les marges par nature plus faibles. Il n'est pas compliqué de réaliser qu'en vendant de l'électronique grand public sur le web on ne peut pas, et c'est mécanique, arriver à faire un modèle très rentable. Mais le commerce ne se résume pas à quelques grandes catégories mass market hyper bataillées !
- Et, comme toujours, il faut valoriser les projets de e-commerce de façon sensée ! Arrivé à maturité, un e-commerçant vaudra entre 0,5 et 2 fois son CA dans le tout meilleur des cas (lié à l'EBIT et la croissance potentielle future), avec une moyenne tournant autour de 1x sans doute. Il faut garder cela en tête lors de l'investissement !
A terme, il n'y a aucune raison qu'un consommateur ne considère pas un e-commerçant comme un commerçant comme un autre. Il s'y rendra par habitude car il y trouve ce qu'il cherche, à savoir un choix large de produits de qualité, parfois des produits très spécifiques ou en exclusivité correspondant exactement à son besoin personnel, des prix adéquats, du conseil, un accueil chaleureux, une atmosphère agréable, etc.
Est-ce qu'il sera zappeur ? Non, je ne pense pas. La majorité d'entre nous n'a pas que ça à faire que de passer son temps à "réapprendre" un magasin. Si son spécialiste habituel lui apporte ce qu'il veut, il ne perdra pas de temps à en changer.
Mais encore faut-il savoir ce que le consommateur veut ! Et ça, cette proximité avec lui c'est tout simplement le mindset commerce !
"Nous réalisons de nombreuses enquêtes auprès des consommateurs qui nous donnent l'ADN des clients. L'ère est au suivi technique avec statistiques et chiffres à l'appui. Et si rien ne remplace l'intuition des commerçants, ces méthodes apportent un plus indéniable pour anticiper les besoins de nos clients".
Jean Charles Naouri, patron de Casino (lu dans le Point de cette semaine, article par ailleurs très intéressant sur ce brillantissime cerveau qui a finit comme patron dans la distribution).
Il y a aussi dans mon secteur d'activité une société d'édition de logiciels d'apprentissage des langues www.rosettastone.com aux USA qui ouvre des corners dans les centres commerciaux et qui est cette année dans le classement des 500 + fortes croissances de Inc. Cette société a suivi cette stratégie après avoir été racheté par des fonds de pension... Il y a des rumeurs d'une introduction en bourse pour 2007! Ceci valide que le retail ce n'est pas ringard!
Posted by: m | December 09, 2006 at 02:17 PM
Dans l'e-commerce, Atlas y va avec "l'incubateur" de Moo, Qoop etc...
Posted by: J. | December 09, 2006 at 09:20 PM
Article passionnant. A lire, je trouve des parallèles avec la distribution dans le Tourisme Marge faible mais finalement c'est un secteur qui ets moins cyclique qu'auparavant.
Posted by: Christian Bodier | December 11, 2006 at 06:11 PM