S'il y a bien une chose que je trouve désagréable dans les affaires, ce sont les gens qui raisonnent par analogie hâtive ou, pire, par généralité !
Rien ne vaut une bonne analyse pragmatique approfondie, si possible appuyée par des chiffres et des faits. Les situations sont parfois comparables, mais chacune est spécifique dans ses composantes : les hommes, les moyens, les concurrents, les technologies, l'environnement, les clients, etc...
Un des grands poncifs qu'il semble politiquement correct d'énoncer actuellement est que "l'idée n'est rien, 80% repose dans l'exécution" !
Bon, je pars en guerre contre cette généralité, oh combien hâtive, car la réalité doit être très largement nuancée.
Bien évidemment, il ne s'agit pas ici de discuter du sexe des anges. Il est évident qu'une bonne idée mal exécutée est du pur gâchis, nul ne le contestera. Et inversement, à quoi sert de bien exécuter une mauvaise idée ?
Le point est plus de tenter d'apprécier le poids relatif de l'idée vs l'exécution dans la création de valeur économique.
Prenons pour commencer un homme plein de bon sens, au flair assez peu souvent mis en défaut et qui a largement fait ses preuves depuis 4 décennies : Warren Buffet. Il a coutume de dire qu'il vaut mieux un lousy manager dans un superbe business aux economics béton, plutôt qu'un top manager dans un lousy business. N'est-ce pas quelque part reconnaître que l'idée, qui découle sur un modèle de business rentable, a plus de valeur intrinsèquement que le management en terme de création de valeur ?
Prenons encore le cas de Steve Jobs qui revient aux commandes en 1997, après avoir été brutalement écarté en 1985 par un "seasoned executive" de PepsiCo, John Sculley (l'homme qui avait d'ailleurs eu au milieu des années 70 la brillante idée du Pepsi Challenge qui propulsa la part de marché de la marque).
Quand Jobs arrive en 1997 et remplace Gil Amelio, un excellent manager qui avait su précédemment redresser NCR mais qui pataugeait avec Apple, il va en 10 ans décupler la valeur d'Apple avec quelques grandes idées : retour du design, renforcement de la valeur inspirationnelle de la marque (il fallait quand même avoir les corones pour investir 100M$ dans une campagne institutionnelle alors qu'Apple était au plus mal), virage vers la musique en ligne et les lecteurs MP3, virage vers la téléphonie mobile (iPhone), création d'un réseau de distribution intégré, etc...
Qui peut contester que la valeur d'Apple aujourd'hui n'est pas directement issue de ces grandes idées ?
Et quid de Philippe Spruch quand il revient aux commandes de LaCie qu'il a fondée, tombée aux mains de gestionnaires sans inspiration qui mettent la société en perte, et décide d'accentuer le design ? Qui peut contester que c'est cette idée même qui est à l'origine du spectaculaire redressement de la société ?
Inversement, prenons Dell, un modèle d'exécution parfaitement huilée : la société se retrouve aujourd'hui dans une posture peu favorable car ils n'ont pas su se réinventer au fur et à mesure où le monde et la concurrence bougeaient et l'écart de prix se resserait mécaniquement.
Au milieu des années 80, le fameux livre du gourou de management Tom Peters "le Prix de l'Excellence" connaissait un succès planétaire et mettait en exergue IBM et son excellence d'exécution. Quelques années plus tard, Big Blue allait connaître de gros problèmes, non pas pour un problème d'exécution, mais parce que l'entreprise ne s'adaptait pas assez vite à une nouvel environnement et manquait d'idées de renouvellement. Il a alors fallu quelqu'un de l'extérieur pour amener du sang neuf, des idées fraîches et la redresser (Lou Gerstner).
L'histoire économique est finalement jonché d'exemples qui prouvent que les gros leviers de création de valeur reposent avant tout sur des idées et des concepts innovants, sur de brillantes visions, ainsi que sur des virages pris au bon moment, etc.
On a coutume de dire en distribution qu'on gagne de l'argent en amont, aux achats, et on évite de le perdre en aval, dans le magasin. Il me semble qu'on pourrait reprendre ce principe pour établir la relation entre l'idée et l'exécution :
L'idée, le concept, est bien ce qui crée de la valeur, mais c'est par l'exécution qu'on réalise celle-ci (ou qu'on évite de la perdre). Une bonne exécution ne crée pas de valeur mais évite d'en perdre ! Entre un concept génial développé de façon brouillonne et un lousy concept bien appliqué, je n'ai pas d'état d'âme ni de doute sur ce qui créera le plus de valeur !
Dans des métiers fortement balisés, oui l'exécution devient la chose capitale. Mais j'avoue que c'est un cas de figure assez théorique, dans ce monde qui change si vite, à l'heure de l'Internet, du web 2.0 qui donne du pouvoir au peuple, où de nombreux modèles disruptifs apparaissent, où les modes de consommation évoluent si vite, où la concurrence évolue également vite, j'ai un peu de mal à imaginer ce qu'est un métier "fortement balisé", qui pourrait avoir simplement besoin d'une bonne exécution pour réussir à en extraire toute la valeur ?
Et en matière de création de valeur, il ne s'agit pas non plus de dire simplement "je vais accentuer l'innovation". La vraie valeur viendra essentiellement de la qualité et de l'intérêt des innovations, du public qu'elles trouveront, ou ne trouveront pas. Et là, c'est un peu une question d'études marketing, mais surtout beaucoup de flair, d'intuition, de sens consommateur.
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