2006 fut une année record pour le Private Equity et les LBO sur de nombreux plans - plus grosses transactions jamais enregistrées, montant d'investissement record, etc - mais 2007 part aussi très bien.
Si la distribution est devenue depuis plusieurs années un secteur de prédilection pour le Private Equity (lire le post de décembre dernier où j'en parlais, et notons aussi que KKR a racheté il y a quelques semaines Boots, l'importante chaîne de pharmacies/drugstores anglaise), l'industrie automobile n'y échappe pas non plus.
De nombreux équipementiers de 1er ou 2ième rang sont ainsi possédés par des acteurs du Private Equity depuis de nombreuses années. A noter ainsi qu'en France c'est avec l'équipementier AFE qu'ABN-Amro a réalisé le premier "P to P", Public to Private, au milieu des années 90. Et toujours en France, il y a actuellement le dossier Valeo dont le fonds américain Appolo étudierait un LBO avec le Président actuel, Thierry Morin (un autre fonds, Pardus, possédant un peu plus de 10% du capital et qui conteste ouvertement la gestion actuelle, tenterait de s'y opposer)
Mais le Private Equity s'intéresse aussi maintenant aux constructeurs eux-mêmes : après le niche-constructeur Aston Martin, racheté en mars dernier sur une valorisation de 900M$ par un consortium koweitien emmené par David Richards de Prodrive (écurie de course opérant en rallye WRC avec Subaru, en endurance avec Aston Martin et en Formule 1 dés 2008), voila maintenant le 1er constructeur d'importance, Chrysler, 3ième acteur américain, qui vient d'être revendu en majorité (80%) au fonds d'investissement Cerberus par DaimlerChrysler pour environ 7Mds$ (5.5Mds€).
Pour Daimler qui avait acheté Chrysler 37Mds$ en 1998, et y a injecté quelques dizaines de plus par la suite, l'opération se révèle être finalement une très mauvaise affaire financière. Vu d'ailleurs leurs engagements, il y a peu de chance qu'ils récupèrent un centime de la vente, mais je les imagine très heureux de se débarasser d'un foyer de pertes comme de problèmes. Enlever le "Chrysler" de "DaimlerChrysler" ne devrait pas non plus les émouvoir, même s'il faut refaire la signalétique, les papiers à entête et les cartes de visite !
Pour le fonds Cerberus, gros acteur du LBO (23Mds$ d'actifs gérés), qui a déja racheté moultes sociétés du secteur automobile depuis plusieurs années et en a ainsi une bonne connaissance (location automobile avec National et Alamo, divers équipementiers, 51% de la GMAC la filiale financement de General Motors, etc), il acquiert un actif très intéressant à bon compte.
Mais, le dossier est loin d'être simple et va être intéressant à suivre.
Si Ford après 20 ans a revendu un Aston Martin tout fringuant à Prodrive (gamme renouvellée, usine flambant neuve, réseau de distribution élargi et modernisé, marque valorisée avec également un retour en compétition, société désormais très rentable, on parle de 70M€ de RN pour 700M€ de CA), Cerberus rachète un Chrysler disposant d'une gamme inadaptée, de syndicats puissants, et d'un outil de production plombé par de lourds engagements sociaux (on estime le delta avec les constructeurs asiatiques à 30$/heure de travail !), avec des pertes récurrentes depuis plusieurs années, etc...
Cerberus est cependant un expert des situations de retournement et des restructurations musclées. Il avait déja tenté de reprendre le gros équipementier Delphi en 2006, puis avait fait marche arrière devant le refus des syndicats de lui laisser les coudées franches. Cette fois-ci, sur Chrysler, l'UAW a approuvé le deal, ce qui semblerait indiquer une attitude plus coopérative, par réalisme sans doute pour sauver l'entreprise.
Cerberus va devoir faire à la fois de la chirurgie lourde et musclée en restructurant profondément l'entreprise et son système de production, mais également de la chirurgie fine, investir pour sortir des produits plus excitants et adaptés, ainsi que valoriser les marques du groupe (Chrysler, Dodge, Jeep).
Sacré et passionnant boulot de management !
Petit retour sur le rachat d'Aston Martin dont la problématique suite au rachat est finalement tout aussi challenging, mais dans un registre totalement différent.
Si l'entreprise, juste sortie du giron de Ford qui a lourdement investi en 20 ans pour la développer (quelques dizaines de véhicules au début des années 80, 7000 aujourd'hui), est devenue très rentable, il est légitime de se poser des questions sur le modèle économique et la survie à terme d'un petit constructeur automobile de niche indépendant, qui ne disposerait ni de la surface R&D d'un grand groupe, ni forcément de la surface financière pour renouveller les gammes et développer de nouveaux modèles. Ainsi, Ferrari, Lamborghini, Maserati, Bentley, Bugatti, Rolls Royce, etc, tous ces niches players du haut de gamme automobile, ont été rachetés par des constructeurs généralistes, que ce soit Fiat, VAG ou BMW.
On imagine volontiers que si Cerberus arrive à restructurer comme il le souhaite Chrysler, il disposera de la taille critique pour être pérenne sur le terme, mais pour Prodrive et Aston, c'est la question même du modèle d'un tout petit constructeur indépendant qui mérite d'être posée.
Porsche, le plus rentable des constructeurs automobiles, avec ces 100,000 véhicules par an, n'est plus vraiment actuellement un "niche player", contrairement à des Ferrari, Maserati ou Aston qui naviguent entre 6 et 7000 véhicules par an environ. Sans parler des 300 unités de la Bugatti Veyron qui constitue essentiellement une vitrine pour VAG qui ne cherche pas à gagner de l'argent avec cette marque !
Si la gamme Aston est récente (2004 pour la DB9, fin 2005 pour la Vantage et fin 2007 pour la nouvelle DBS) et a donc encore quelques belles années devant elle, quid à plus long terme ? Est-ce que l'entreprise peut être suffisamment rentable pour auto-financer elle-même le renouvellement des générations ?
Et soyons clair, actuellement, tous les constructeurs automobiles très haut de gamme, comme le secteur du luxe en général, ont le vent en poupe, mais quid de la solidité des acteurs indépendants dans les creux de cycles économiques, qui surviennent nécessairement (il n'y a quasiment pas de secteurs non cycliques) ?
A ma connaissance, tous les exemples passés dans l'automobile nous ont montré que ce n'était pas viable, mais l'avenir nous dira si un nouveau modèle économique pérenne ne peut pas être trouvé pour Aston. En ce qui me concerne, oui, j'y crois, car il est possible de quasiment tout sous traiter au niveau R&D et industriel, mais en conservant la maîtrise de l'essentiel : la marque et le marketing.
Mais, quoi qu'il arrive, une belle marque reste une belle marque, et il se trouve toujours un homme d'affaire ou un groupe estimant que malgré les difficultés le potentiel est bien là. Aston a ainsi été rachetée une dizaine de fois au cours de ses 90 ans d'histoire, agréementée de nombreux dépôts de bilan mouvementés !
Et en ce qui concerne la valorisation d'une marque au potentiel intact mais enfoui, demandez d'ailleurs à Bernard Arnault quel était son feeling lorsqu'il a racheté Boussac St Frères au début des années 80, essentiellement pour la pépite qui s'y trouvait, Dior !
Et quand un certain Steve reprend les rênes de la marque à l'agonie qu'il avait créée, et la fait en quelques années passer du rang d'underdog à celui de star, et au passage d'une capitalisation de 5 à quasiment 100Mds$...
Une très belle marque peut perdurer à travers le temps, mais il y a des investisseurs qui font des bonnes affaires et d'autres pas ! David Brown (dont les initiales siglent les "DB" des Aston), a racheté Aston Martin et Lagonda (séparée à l'époque) pour 75,000£ en 1947, et a revendu le tout pour 100£ 25 ans plus tard...
Michel
en fait Cerberus va recevoir du cash de Daimler pour les débarrasser de Chrysler et l'essentiel des 7 bn va etre injecté dans le business. Voir article du FT ci apres.
Laurent
DaimlerChrysler paid $650m (£328m) to unwind its $35bn tie-up with Chrysler as the most high-profile transatlantic deal ended with the sale of the US carmaker to private equity on Monday.
Cerberus, the US private equity group, will pay $7.4bn, but most of that will be injected as new equity into the separated Chrysler group. Daimler will retain a 19.9 per cent stake but will end all responsibility for the $17.5bn in unfunded healthcare liabilities that had worried investors.
Posted by: Laurent | May 16, 2007 at 07:50 AM
Il avait déja tenté de reprendre le gros équipementier Delphi en 2006, puis avait fait marche arrière devant le refus des syndicats de lui laisser les coudées franches.
Posted by: dodge ram parts | July 20, 2012 at 04:07 PM