J'évoquais il y a 3 mois le rachat de Chrysler à Daimler par le fond de Private Equity Cerberus, un spécialiste des situations de retournement, déja présent par ailleurs dans le secteur automobile.
Pour redresser le constructeur au bord de la faillite, avec une gamme décalée vs les attentes des consommateurs américains, Cerberus vient de nommer Bob Nardelli, ex CEO de Home Depot, une très grosse chaîne de distribution américaine (90Mds$ de CA) et...totalement novice à l'automobile grand public.
Les réactions sur le fit entre l'homme et le business sont pour le moins partagées :
- D'un côté Jack Welch, ex CEO emblématique de GE dont Nardelli était l'un des 3 ou 4 top executives qui aurait pu lui succéder, disant : "I don't know if the company is fixable, but if there is anyone who can fix it, Bob can". Avis partagé et renforcé par le fondateur de Home Depot, Kenneth Langone, autre boss de Nardelli, disant de lui : "he's probably the best operating executive I've ever known".
- Mais si l'on écoute Gerald Meyer, ex Chairman d'American Motors et donc homme du sérail : "Cerberus has the right idea, but the wrong guy...Nardelli is not a car guy…he could take 18 months to get his wheels out of the sand in terms of learning what he needs to know…and Chrysler doesn't have a lot of time".
Comme James McNerney, autre GE top executive dont j'avais parlé ici, Bob Nardelli a été à l'école Jack Welch, dont les maîtres mots sont rigueur, efficacité (6 sigma), productivité, focus sur la qualité totale, dans une atmosphère de management militaire et une pression intense. Cela a largement fait ses preuves sur GE, une des plus belles sociétés au monde, mais comme je l'évoquais pour 3M avec McNerney, la méthode a ses limites quand il s'agit avant tout d'innover. Innover fortement ne fait pas forcément bon ménage avec rationaliser et couper les coûts.
Extrait de Business Week : "...further torment for shareholders who felt Nardelli's deep cost-cutting and demand for centralized operations had destroyed customer service and harmed the company's long-term prospects".
Chez Home Depot, Nardelli est crédité pour avoir sauvé la chaîne de ses déboires sud américains. Clairement, on a un executive de top niveau, sachant prendre les décisions rapides qu'il faut quand il le faut dans des contextes de crise, ce qui est aujourd'hui le cas de Chrysler et encore plus dans le cadre d'un actionnaire Private Equity à la recherche du retour le plus rapide possible, notamment en coupant ce qu'il faut couper.
Si l'homme sait donc restructurer à la hussarde, couper les coûts et réorganiser une société, il reste à voir s'il aura le "sens du produit", point essentiel. Rien ne sert d'avoir une organisation parfaitement huilée, des coûts totalement optimisés, si en bout de chaîne ne sortent pas les voitures que les consommateurs souhaitent. A la limite, comme l'explique Nicolas Hayek dans "au delà de la saga Swatch", product & positioning first, et après on règle les problèmes d'organisation. Je mets bien sûr un bémol en cas de crise grave, ce qui est tout de même le cas chez Chrysler.
Est-ce que Nardelli a le sens du produit automobile, "that's what we'll have to find out" comme le reconnaît lui-même Jack Welch. Il y a une inconnue à ce stade, le fait de ne pas être du sérail automobile ne me semble pas un problème du tout, peut-être même au contraire pour apporter un oeil et du sang neuf, mais il lui faudra prouver que par dessus ses excellentes compétences de gestionnaire, Nardelli a bien aussi le sens du produit automobile.
Pour rester dans le secteur, on apprenait récemment qu'après avoir revendu Aston Martin en mars dernier à un consortium financier, Ford mettait maintenant officiellement en vente Land Rover et Jaguar (après l'avoir initialement réfuté). La encore, des fonds de Private Equity s'y intéresseraient.
Je pense clairement qu'il n'est pas nécessaire d'avoir fait sa carrière dans l'automobile pour faire sortir des voitures qui plaisent au consommateur. Au contraire même peut-être! Un regard neuf et la compréhension des besoins de consommateurs qui pour la plupart ne connaissent pas grand chose à l'automobile ne peut-être que bénéfique.
C'est plus au niveau de la connaissance de ce marché très complexe et des différents acteurs qu'il va avoir besoin d'être au top très rapidement.
Posted by: Jean | August 08, 2007 at 10:21 AM
Un grand merci pour cet article! Une vrai bonne analyse de la situation.
Posted by: Bmf2000 | August 08, 2007 at 10:55 AM
Très intéressante analyse, j'irais même jusqu'à faire le parallèle avec Nissan ou plus récemment Fiat. 2 marques au bord du gouffre il n'y a pas si longtemps et qui ont connu des redressements spectaculaires en suivant exactement le même modèle (européen ?) :
Rationalisation des coûts
Augmentation de la qualité des produits
Enfin et surtout des produits "sexy" (voir la nouvelle Fiat 500 qui fait déjà un carton et qui est basée sur la Fiat Panda...)
La seule vraie nouveauté est que Chrysler a été rachetée par un fond PE et pour l'instant reste à savoir comment un financier peut relancer une marque automobile sur le long terme... En tout cas les américains ont un réel besoin d'une révolution de leur industrie automobile depuis plus de 20 ans, pourquoi ne pas croire alors en des financiers ?
Posted by: footrix47 | August 08, 2007 at 11:09 AM
Le redressement de Chrysler ne depend que marginalement des produits. bien sur, ca aiderait bien la firme si les ventes redecollaient, mais le vrai probleme c'est la structure des couts du fait d'enormes engagements en matiere de retraites et de securite sociale. ce probleme n'est pas liee a Chrysler mais a toute l'industrie automobile de Detroit (GM, Ford, Delphi...). Le pari de Cerberus est d'obtenir de l'UAW (Union Auto Worker)de nouvelles concessions. Nardelli n'est pas un creatif, mais un pro du six sigma (toujours bon pour redresser les couts) et il n'a rien a perdre a des negociations dures avec les syndicats (il a deja une image deplorable de fat cat apres son passage a Home Depot, ou il s'est honteusement enrichi alors que l'action plongeait). Ce n'est que dans une seconde phase que Chrysler se posera vraiment la question des modeles, etc...Vraiment j'ai l'occasion de parler souvent a des gens de cette industrie, et le souci ici c'est de se sortir de cette melasse de dettes et d'engagements vis a vis des employes. Sans ca, il n'y a malheureusement aucune marge de manoeuvre pour relancer une nouvelle startegie marketing.Le challenge de Nardelli est plus proche de celui de Sarkozy que de celui de Ghosn !
Posted by: sebastien(ny) | August 08, 2007 at 03:43 PM
"Je pense clairement qu'il n'est pas nécessaire d'avoir fait sa carrière dans l'automobile pour faire sortir des voitures qui plaisent au consommateur"
en effet, un constructeur auto c'est toute une organisation et non pas un type et une equipe.
Qui plus est le cycle de dvpt des produits est long (au moins 30 mois). Si le PDG est la pour indiquer la direction, il ne peut cependant pas dans ce genre de sociétés lutter contre l'impossible.
Or, l'histoire de Chrysler, elle est double : problemes de produits et problemes financiers.
Le mismatch produit/marché est connu, on s'y attarde pas, encore qu'il faut quand meme souligner que
1. Chrysler a ete presenté comme un modele de retournement entre 1992 et 1999, rappelez vous
2. TOUS les constructeurs nord americains ont un probleme de produit notamment a cause de la tres forte hausse du cout de l'essence aux Etats Unis et ont ete attaqués sur l'entrée de gamme par les japonais et sur le haut de gammme par les allemands Audi Porsche BMW Mercedes et par Acura (Nissan) et surtout Lexus (Toyota)
par contre, plus interessant et moins commenté : le probleme financier.
On souligne souvent que les grandes entreprises US sont recentes (MSFT, Apple, Cisco etc etc). Inversement les Big 3 de l'auto comptent parmi les boites US les plus anciennes. Or ce pays a fait le choix des retraites par capitalisation (ok) + de complementaires payées par l'employeur et non pas par des acteurs specialisés.
La faillite de Ford, GM et Chrysler correspond a ce fardeau des retraites, qui en Europe a été provisoirement évincé car la charge est reparti non pas sur le consommateur (libre) mais sur le citoyen contribuable. Soit les retraités de Chrysler acceptent de reviser leurs droits et alors ils donnent une chance durable a Chrysler de faire de la R&D, soit ils preferent conserver les avantages acquis et donner des parts de marché supplémentaires a Toyota.
Posted by: A-C | August 08, 2007 at 03:51 PM
@A-C, l'avantage des fonds de retraite privés, c'est que ça finance de gigantesque fonds qui après se payent nos entreprises du CAC 40...
De tête, la moitié du CAC 40 appartient à de tels fonds.
Posted by: Michel de Guilhermier | August 08, 2007 at 04:03 PM
Sébastien, pour payer des retraites, c'est quand même mieux quand il y a des ventes générées par des produits qui plaisent non ?
Posted by: Michel de Guilhermier | August 08, 2007 at 04:04 PM
Il y a au moins 3 exemples notables en France de managers arrivant à la tête de constructeur mais venant de l'extérieur :
1) Louis Schweitzer, était un pur fonctionnaire, ancien Dircab de Fabius je crois, sans aucune notion de l'automobile avant d'arriver chez Renault.
2) Jacques Calvet, ancien PDG de Peugeot, venait de la BNP et ne connaissait rien non plus à l'automobile.
3) Le nouveau PDG de Peugeot, Christian Streiff, que tu connais je crois (prof à HEC comme toi) vient de St Gobain.
Posted by: Pascal ALBOUY | August 08, 2007 at 06:16 PM
l'avantage des fonds de retraite privés, c'est que ça finance de gigantesque fonds qui après se payent nos entreprises du CAC 40... OUI et ils constitunt ce qu on pourrait appeler la deuxieme couche du systeme de retraite, ils sont a prestation "non definies" dans une certaine mesure.
mais la je ne discutais pas de l'avantage ou de l'inconvenient des fonds (d'ailleurs il n'y a que des avantages : ils isolent le cout de la retraite en + de creer du cash a investir), je parlais du fait que tant en systeme par capitalisation que par repartition, necessairement si le nombre de retraités s'accroit, alors le prelevement sur les actifs (cotisations retraites des salariés, impots) ou sur les entreprises (pression pour generer plus de dividendes et de shareholder value) s'acroit. Apres la capitalisation permet un usage plus intelligent des sommes en jeu.
Posted by: A-C | August 09, 2007 at 09:02 AM
ca reflete finalement les differents style de management, Pascal :
Aux Etats Unis les marketeurs passés par GE ou Procter peuvent gerer toutes les boites, mais pas uniquement eux. Alan Mullaly (Ford) a etudié l'aeronautique et le management
En France les X-enarques svt anciens dir cab (Louis Schweitzer, Jean-Martin Folz, Jacques Calvet) peuvent gerer toutes les boites.
En Allemagne pour gerer une boite auto il faut etre un pro en ingenierie auto (Joachim Milberg et Norbert Reithofer chez BMW, Ferdinand Piech chez Porsche et VW.
Les constructeurs auto etant par leur taille svt les compagnies les plus importantes de leurs pays respectifs, leurs dirigeants reflete de fait assez fidelement le mode typique de nomination des PDG du pays.
Posted by: A-C | August 09, 2007 at 09:18 AM
C'est vrai que Nardelli a aussi l'image d'un dirigeant "greedy", ce qui n'est pas incompatible avec une capacité d'excellent manager et de redresseur.
Encore une fois, les packages des CEO sont fixés par les Boards. S'il y a des abus, il faut s'en prendre aux Boards en 1er lieu. Ce sont eux qui, espérant tenir dans leurs mains l'homme providentiel, négocient n'importe comment.
Posted by: Michel de Guilhermier | August 13, 2007 at 08:28 AM
"il faut s'en prendre aux Boards en 1er lieu" : lol...
Posted by: A-C | August 14, 2007 at 12:15 PM
Oui, ils sont rarement payés à la performance (en stock options), et quant à la valeur qu'ils créent réellement...
10 cerveaux et 10 "experts" mis autour d'une table ne pond pas nécessairement des conseils avisés tout le temps, ni ne prend de bonnes décisions stratégiques.
Posted by: Michel de Guilhermier | August 14, 2007 at 12:19 PM
La "méthode GE" a largement fait les preuve de son inéfficacité..
Qui est le constructeur automobile qui a su allier le meilleur niveau de qualité, une innovation reconnue et la fierté de ses employés? Toyota!
Le plus drole c'est que Chrysler prenait apparement la même voie que Toyota avant le rachat par Daimler..
Posted by: Stephane | August 17, 2007 at 10:52 AM