J’ai évoqué hier la formule de “Kelly”, elle est à mon sens tout à fait fondamentale en matière d’investissement. Les concepts qu’elle met en jeu étant à la fois intuitifs, simples et pertinents, je crois que vous ne perdrez rien à suivre les quelques lignes ci-dessous, voire même à les relire plusieurs fois ! Pour ma part, j’essaye aujourd’hui de l’appliquer quasi systématiquement, et ce dans le plus de domaines possibles.
A noter que Warren Buffet en reprend aussi le principe qui s’illustre par la quote de Charlie Munger que j’ai déjà citée : “the wise ones bet heavily when the world offers them the opportunity. They bet big when they have the odds. And the rest of the time, they don't. It's just that simple !".
John Kelly (1923-1965) était un chercheur aux fameux Bell Labs quand il a sortit sa "formule" en 1956, initialement développée pour maximiser les gains dans les paris des courses de chevaux.
La formule de Kelly indique le % de son capital à allouer sur un pari, et ce % est : espérance mathématique de gain sur le pari/gain maximal potentiel permis par ce pari.
Exemple chiffré :
Soit un pari avec les caractéristiques suivantes :
- 20% de chance de perdre 10€
- 80% de chance de gagner 20€.
L'espérance mathématique est de –20% x 10 + 80% x 20, soit 14€
Espérance mathématique/gain maximal = 14/20 soit 70%. Vous devez/pouvez allouer 70% de votre capital sur ce coup.
Dans des cas mathématiquement binaires, comme l’exemple ci-dessus, parfaitement adaptés aux jeux de chance où il existe une probabilité mathématique intrinsèque parfaitement définie (ie, à la roulette, vous avez bien une chance sur 37 de tomber sur un numéro donné, et en jouant un dé vous avez une chance sur 6 de tomber sur un chiffre précis !), il est facile de prouver que la formule de Kelly maximise parfaitement la croissance de votre capital sur le long terme.
La Formule de Kelly fut ensuite appliquée aux investissements financiers, mais il convient d'abord de dire que c’est quelque part une extrapolation “mathématiquement hasardeuse” :
- D’une part il n’y a pas de binarité mais une quasi infinité de possibilités de gains et de pertes. On peut bien entendu simplifier et modéliser sur une petite dizaine de cas (ie 10% de chance de perdre 20%, 10% de chance de perdre 10%, 10% de chance de gagner 10%, etc).
- Les probabilités de gain ne sont pas mathématiques mais subjectives. C’est a priori anybody’s guess que de savoir que, par exemple, l’action VistaPrint a 20% de chance d’atteindre 50$ sous un an par exemple !
- Le paramètre temps vient mettre son grain de sel, ce qui n'est bien entendu pas le cas d'un pari avec résultat immédiat : à quel horizon peut-on avoir une croissance de x% de son investissement ?
Les résultats que donne la formule doivent donc être pris avec circonspection et recul mais, ceci étant, ils donnent je pense néanmoins des ordres de grandeur pertinents.
Si l'application de la formule de Kelly à l'investissement est compliquée, j’estime que son principe fondamental reste juste et que la formule doit être une vraie ligne de conduite et une vraie règle d'allocation de son capital : il faut l'allouer dans une proportion croissante aux investissements dont l’espérance mathématique de gain est forte relative au gain maximal potentiel, ce qui veut aussi dire que leur rapport rendement/risque est favorable !
On comprend ainsi que plus une action est “chère” (notion bien entendu très relative), ou pour reprendre une expression à la Warren quand elle est déconnectée de sa “valeur intrinsèque”, moins le ratio est bon et moins il faut allouer du capital sur cette action. La règle dans certains cas est tout simplement de ne rien faire et d’attendre ( “...they bet big when they have the odds. And the rest of the time, they don't. It's just that simple !”).
La formule de Kelly est de fait une méthodologie qui permet de d'apprécier le % de son capital que l'on peut raisonnablement allouer sur un investissement donné : elle force ainsi à analyser à fond et donner des probabilités d'atteinte de telle ou telle valorisation à un horizon fixé.
J'aime les situations où l'on a 20% de chance de perdre 20% et 80% de chance de gagner entre 30 et 100% sous 12 mois, ceci parce que la société est en croissance significative, rentable, leader sur son marché avec un avantage concurrentiel solide (une "moat" comme dirait Warren) mais que son cours de Bourse a été récemment affecté pour quelques raisons que ce soit et que la société est donc devenu relativement peu chère (ie Apple qui a perdu 40% en 2 mois alors que son business est toujours florissant). En prenant 5 ou 6 sociétés dans cette configuration, on a une probabilité forte d'arriver à une excellente performance !
Pour être un bon investisseur, il faut aussi être un bon probabiliste ! Sur les investissements envisagés, on arbitre et on alloue son capital en fonction des probabilités potentielles de gain de chacun.
Je n'ai pas raisonné différemment avec la vente de mes actions Photoways en 2007 : vu l'offre reçue d'HarbourVest, j'ai estimé que les probabilités futures n'étaient tout simplement pas attractives et qu'il fallait tout vendre, et vite ! Plus exactement, la Kelly me recommandait d'allouer 2% maximum de mon patrimoine dans Photoways, mais 2% au Delaware sans grande visibilité, je préfère passer mon tour ! Je connais le marché, le connais les economics, je connais l'intérieur...
Petite disgression pendant que j’y suis, on peut appliquer la Kelly Formula à l’énergie qu’on entend passer à telle ou telle activité. Il faut en allouer d’autant plus que le ratio espérance de valeur/valeur maximale gagnée est importante. Sachant que le bénéfice peut ne pas être financier, mais tout autre grandeur intéressante.
Les amis, la Bourse va ainsi, ça baisse et ça monte, si elle est peut-être globalement efficiente il y a constamment de très nombreuses zones d’inefficiences, reflétant notamment les peurs, les excitations et le caractère fondamentalement suiveur de 99% des investisseurs. Aussi, il faut savoir patienter et attendre les opportunités, qui surviennent fréquemment. Ceux qui ont acheté de l’Apple à 200$ fin 2007 n’ont pas fait une très bonne affaire à court terme, ceux qui l’ont achetée à 120$ 2 mois plus tard ont certainement fait une bien meilleure affaire !
Pour revenir sur la Kelly Formula, dont j’insiste encore sur le fait que son principe doit être une vraie ligne de conduite, pour l’appliquer rationnellement il faut extrêmement bien connaître les sociétés de manière à pouvoir en extrapoler les résultats et les probabilités de cours de Bourse. On en revient au principe de Warren Buffet : n’investir que dans ce que l’on comprend vraiment et que l’on peut analyser à fond.
Investir en Bourse, ce n'est pas jouer çà la roulette, mais bien passer du temps à analyser des sociétés, en comprendre intimement le modèle, les paramètres, les opportunités et les risques, etc.
Je donnerai bientôt un exemple concret d'allocation de capital et d'investissement en utilisant la formule de Kelly avec...VistaPrint ! Je reste dans ce que je connais et que je peux analyser correctement !
Ci-dessous un petit texte issu du New York Times au sujet d'un certain Thorp...
"In the early 1960's, Thorp believed he could find statistical methods of winning at blackjack and roulette. He teamed up, improbably, with a bookie and gangster named Manny Kimmel to test his theories at the real-world blackjack tables in Reno. Over all, Thorp's sophisticated card-counting methods worked very well indeed. "According to plan, Thorp did the counting and signaled to Kimmel. It took 30 minutes to clean out the table's money tray. . . . 'Oh, help me, please help me,' the dealer pleaded."
Later in life, Thorp's methods made him (and his investors) fantastically wealthy at the wildly successful Princeton-Newport hedge fund. Poundstone generally seems to agree with his experts that you'd find more profitable stocks by throwing darts at the stock market pages than by asking an investment adviser. Yet Thorp's fund somehow managed to beat the odds, year in, year out, averaging 20 percent annual return over nearly 30 years. "The inexplicable aspect of Thorp's achievement," Poundstone writes, "was his continuing ability to discover new market inefficiencies, year after year, as old ones played out. This is a talent, like discovering new theorems or jazz improvisations."
Given this astronomical success, readers will be understandably eager to find out what, exactly, Thorp's method was. As it turns out, it was based on the work of John Kelly, a Bell Labs researcher in the 1950's, but be warned - it's not simple".
Concepts intéressants, mais comme vous le dites, clairement pas à la portée de tout le monde pour une application concrète à l'investissement boursier.
Posted by: Jean-Baptiste MERILLOT | March 07, 2008 at 10:07 AM
pour aller plus loin, a lire un jour le livre qui a incité Monish Pabrai a parler de la formule de Kelly: The Fortune's Formula, sur l'histoire des liens entre mathematiques et Las Vegas.
Posted by: sebastien (ny) | March 08, 2008 at 04:22 PM
Thks Sébastien, ça a l'air en effet passionnant !
Posted by: Michel de Guilhermier | March 08, 2008 at 04:51 PM
Tombant par hasard sur votre blog en cherchant Kelly, je le trouve très intéressant.
La théorie de Kelly est certainement d'une très grande utilité aujourd'hui en matière de capital management.
Posted by: Alumni | March 16, 2008 at 08:30 AM
Longue traine again
Posted by: azeaze | May 24, 2008 at 05:51 PM