Je lisais ce matin le magazine "e-commerce", et je m'étonnais d'y retrouver des e-commerçants que je connais bien et dont la vraie performance économique laisse à désirer. Les journalistes reprennent parfois ce qu'on leur dit sans toujours avoir du recul et mener de bonnes analyses pragmatiques...
A en croire les statistiques, il y avait fin 2007 environ 37.000 sites d'e-commerce. Pour un chiffre d'affaires global de 16Mds € environ, cela donne une moyenne de l'ordre de 430K€/site.
Pour donner du relief à ce chiffre, qui peut paraître faible, une donnée peut aider : pour le commerce de détail dans son ensemble, il existe environ 350,000 "commerçants" qui réalisent un CA total de l'ordre de je crois 400Mds€, soit une moyenne de 1M€/commerçant. Le rapport n'est donc que de l'ordre de 2, ce qui relativise...
A la différence du monde physique aussi, où les 350,000 commerçants ne sont accessibles, par définition, que par une cible plus ou moins locale et donc plus ou moins restreinte, les 37.000 e-marchands sont accessibles par tous, immédiatement, en quelques clics : le consommateur final a largement plus le choix et peut ainsi faire jouer la concurrence. Il n'y a pas en e-commerce de zone de chalandise captive.
Comme dans le monde physique, à côté des poids lourds de la profession au CA qui se compte en centaines de millions d'euro (Fnac.com, RueduCommerce, CDiscount, etc), il y a une multitude de micro sites qui ne réalisent que quelques commandes par jour. Mais à la différence du monde physique, où un magasin ne peut pas vivre avec quelques commandes ou quelques centaines d'euros de CA par jour seulement en raison des importants coûts fixes de loyer et de personnel, cela est théoriquement tout à fait possible en e-commerce, il suffit de travailler en marginal et/ou en mutualisation. Ce qui est d'ailleurs le cas certainement de la plupart des sites, souvent adossés à une autre activité.
Les economics même de l'e-commerce font que le foisonnement de sites marchand n'est donc pas près de s'arrêter, accentuant une concurrence déja intense et amplifiant alors la problématique de visibilité !
Et pour être visible, il faut être à la fois différent et pertinent dans sa proposition commerciale et son service ! Si un magasin physique faisant du mauvais boulot peut à la rigueur se maintenir pendant un certain temps parce que sa concurrence est faible dans sa zone de chalandise (voire longtemps : comme les coûts fixes d'implantation sont importants, la concurrence a d'autant plus de mal à s'installer), cela est mécaniquement impossible dans le cyber-espace.
Cependant, il faut nuancer et c'est aussi là où on arrive au coeur du débat ! Contrairement au monde physique, le chaland d'un e-commerçant, son réservoir de clients potentiels, est très largement supérieur : ce n'est pas la rue, le quartier, la ville ou la région, c'est au minimum la France entière.
Par conséquent, les volumétries peuvent être rapidement très impressionnantes, il suffit de mettre des moyens financiers, faire beaucoup de publicité, baisser ses prix, casser ses marges, etc, on devient alors rapidement bien visible et on grossit vite !
De fait, on peut voir et lire dans la presse des croissances en e-commerce de +30%, +50%, des +100% voire encore plus (et plus on part de bas, plus c'est facile !).
Et comme on est pas habitué à ces croissances, il est d'une part facile de se faire leurrer par ces chiffres et de dire "bravo", et d'autre part de se prendre la grosse tête quand on est à la tête d'un tel e-commerçant !
En réalité, pour moi, la croissance n'est absolument pas une mesure pertinente de la performance et, tout simplement, ces chiffres de croissance n'ont aucune valeur intrinsèque ! C'est juste une donnée à prendre en compte et, surtout, à relativiser avec les investissements marketing consentis. Le marketing, c'est du capital, et un mauvais retour sur capital ne crée que rarement beaucoup de valeur pour les actionnaires.
En terme de valeur et de qualité d'investissement, seule compte en fait une croissance saine et rentable, dont la base est déja, et tout simplement, une "average life time value" du consommateur très largement supérieure à son coût d'acquisition ! Back to basics.
Si j'acquière un client disons 30€ et que chaque commande ne me rapporte que 20€ de marge nette, et qu'en moyenne un client ne va revenir que 2 fois chez moi au cours des 5 prochaines années, je vais avoir du mal à dire que j'ai un bon business (cf mes posts sur le repeat business) !
Un bon business, bien plus qu'une croissance explosive, ce sont surtout des clients qui viennent en nombre suffisant le plus naturellement possible, attirés qu'ils sont par la proposition commerciale du marchand (produits, prix, service, ambiance et qualité du magasin, etc), et qui reviennent régulièrement !
Alors, plutôt que de demander à un e-commerçant sa croissance de CA, demandez lui plutôt quel est son coût d'acquisition client, sa marge nette par commande et son taux de retour de la base, vous pourrez ainsi apprécier la qualité de son business de façon bien plus pertinente !
Un entrepreneur qui me disait une fois quelque chose comme "avec la croissance que je délivre, je suis un bon, il ne faut pas qu'on m'attaque sur mon business plan", ce alors qu'il perdait une fortune à cause d'un marketing colossal et d'un repeat déplorable, m'a surtout montré qu'il n'avait finalement rien compris !
Bravo Michel pour ce billet plein de bon sens. J'adore quand ce blog revient au basics comme tu le dis, c'est à dire quand il parle plus d'eCommerce que de Ladurée ou encore d'Apple ;).
L'équilibre me semble à nouveau respecté...
Avec des points de vue comme cela, nul doute que le Club des Panthères se ferait un plaisir de te coopter. Prochaine édition à Lyon le 1er Avril (la date s'imposait), mais on sera de retour à Paris d'ici la fin de l'année...
Si l'envie t'en dis, n'hésites pas (mail à pantheres(at)altics.fr pour s'inscrire...).
/Olivier
"G.O. Panthère's Club"
Posted by: /Olivier le G.O. | March 30, 2008 at 05:34 PM
Olivier, si je ne peux plus parler d'Apple, je vais me sentir bridé et frustré ! D'ailleurs, je ferai demain matin une note sur mon nouveau MacBook Air !
Posted by: Michel de Guilhermier | March 30, 2008 at 09:46 PM
OK Michel (rires) allez, c'est parti pour un crédit de 10 articles sur Apple, son action, son MacBook Air sans oublier bien sûr l'iPh...je laisse aux lecteurs le soin de deviner la suite...
D'un autre côté j'ai un iPod Touch et puisqu'une partie de mon travail est lié à l'ergonomie des interfaces et à la simplicité d'utilisation, je dois dire que l'iPod Touch met la barre assez haut. Il réhabilite le "plaisir" dans la navigation et cela ce n'est pas donné à tt le monde, non (hein Bill). L'expérience utilisateur y est sublime.
Allez, fin de ce squatting de blog ;).
/olivier
"blogge depuis un MacBook sans air ;"
Posted by: /Olivier | March 30, 2008 at 10:12 PM
Ton billet me fait penser à un billet (de Daniel Broche me semble t il), où il rapportait qu'une marque avait annoncé un progression de +150% du nombre de visiteur sur leur site depuis l'ouverture...
Moi, j'ai fait, au moins, +10 000% depuis l'ouverture... en partant de zéro c'est très facile !
Mais j'ai une question complémentaire : est ce que cette possibilité d'avoir une boutique sur le web dans dégager une marge net important est un bien ou un mal ?
Est ce que l'on va retrouver le modèle du commerçant de quartier ?
Moi, je pense que oui, au travers des communautés.
Posted by: olivier - 42stores | March 30, 2008 at 10:46 PM
Une boutique sur le web doit, in fine, dégager un bénéfice ! S'il n'est pas direct (ce qui est déja ennuyeux) alors il faut qu'il y ait un bénéfice indirect.
Posted by: Michel de Guilhermier | March 30, 2008 at 10:50 PM
Moi ce qui m'amuse le plus c'est la communication sur la performance...
Je fais 150% de croissance : super ! Super pour qui ? Pour mon ego, car les seuls qui lisent ces informations, qui plus est dans des magazines professionnels, sont mes concurrents. Alors finalement, ces chiffres sont uniquement là pour faire baver mes concurrents ? Oui, en tout cas pour le e-commerce B2C, car je connais peu de consommateurs qui font la démarche d'un service achat, et qui regardent la performance financière des sites sur lesquels ils achètent.
Mais tant qu'à faire, autant communiquer sur des indicateurs qui font sens dans un e-commerce où tout est encore à faire... J'aimerai bien voir, par exemple, publier les indices de notoriété, là ça risque d'être amusant.
Par ailleurs, si les e-commerçants veulent donner des chiffres, qu'ils arrêtent de communiquer sur le nombre de visiteurs (c'est pas des sites à modèle publicitaire) et qu'ils communiquent plus sur le nombre de clients, et la rentabilité de leur société.
Posted by: Raphael | Blog-Conversion | March 31, 2008 at 08:33 AM
Entièrement d'accord Raphael !
Posted by: Michel de Guilhermier | March 31, 2008 at 08:59 AM
J'ai constaté qu'entre le moment ou j'ai lancé Discounteo et aujourd'hui, il y a tout de même beaucoup moins de communication de la part des très gros sites autour de leur croissance
D'ailleurs toute cette réflexion est directement applicable à la mode du moment: création de places de marché
une façon simple et rapide de faire encore de la grosse croissance
Posted by: Daniel | March 31, 2008 at 09:07 AM
qui de la création de places de marché communautaires (dans le sens de communautés de sites) ? des alliances stratégiques de e commerçants à audience moyenne autour d'une clientèle commune ou semi commune.
ne serait-ce pas un moyen de garantir le sésame :
- de cout d'acquisition
+ de CA généré
?
Vincent
Posted by: vincent | March 31, 2008 at 05:44 PM