Fin janvier dernier, j'expliquais la difficile position des business angels, coincés entre l'entrepreneur et les VCs et j'annoncais que, sauf exception rarissime, il y avait peu de chance que j'investisse de nouveau.
Depuis, j'ai reçu 6 ou 7 autres dossiers, et à chaque fois l'analyse est la même : le dossier est intéressant, les entrepreneurs sont bien - souvent jeunes cependant, ce qui veut dire objectivement plus de risques - mais la valorisation proposée ne fait aucun sens rationnel.
A noter que, pour un VC, la valorisation n'est pas forcément un gros problème en soi : je répète une loi imparable, dans une entreprise qui a des besoins de trésorerie : celui qui est le roi est celui qui a le cash.
A titre d'exemple, faut-il rappeler cette société de e-commerce qui a réussit à lever en août 2006 4M€, sur une valorisation extra-terrestrielle de 16M€ pre-money (ce qui ne concédait donc que 20% du capital) et qui, à peine 6 mois plus tard, était refinancée sur des niveaux extrêmement bas par les VCs, qui en prenaient alors de facto le contrôle complet.
Si la situation est difficile, mais qu'il y a du potentiel, les VCs remettront, à leurs conditions, ce qui pourra compenser largement les niveaux d'entrée des tours précédents. Le business angel qui n'a pas cette capacité se fera lui diluer et lessiver, de même que l'entrepreneur (mais qui lui aura généralement moins mis, ou au nominal).
Ce pourquoi il m'apparaît aujourd'hui tout simplement absolument essentiel pour un business angel d'investir à des niveaux rationnels, en rapport avec les actifs (tangibles ou intangibles), la situation économique (CA, marges brutes, marges nettes), ou bien sûr au nominal pour des projets à l'état de powerpoint).
Un exemple très concret, toujours sans donner de nom :
Je reçois il y a quelques jours un business plan d'une jeune société de e-commerce dont le dirigeant lui-même admet que dans quelques années, si tout va bien, il pourrait atteindre 10M€ de CA.
En prenant cet objectif, j'en déduis que la valorisation potentielle à terme de la société, à maturité, ne dépassera pas 10M€ : je prends en effet comme règle qu'une société de e-commerce avec des marges brutes de 25% (le cas présent) ne peut valoir plus de 1x son CA (ce qui est dèja bien).
Si la valo maximale à terme est de 10M€, compte tenu du niveau de risques du projet (very early stage, jeunesse des dirigeants, etc), et compte tenu qu'il faudra de nouveaux investissements, qui induiront une dilution supplémentaire de 20 ou 30%, tout ce qui est supérieur à 1.5M€ comme valo d'entrée pre-money ne fait aucun sens pour moi en tant que business angel.
Encore une fois, la situation est différente pour le VC : il pourrait par exemple mettre 500K€ et ne prendre que 10% du capital (donc venir sur une valo de 4.5M€ pre-money), si après la situation est difficile, il pourra remettre encore 500K€ et prendre 60% du capital, si bien qu'il pourra finir par faire une bonne affaire si la société est bien vendue à terme pour 10M€.
Des cas comme celui-ci, j'en connais plusieurs : la société devra être refinancée, les VCs finiront sans doute par gagner de l'argent, l'entrepreneur qui se fera diluer devrait en gagner aussi et comme il n'a pas mis grand chose de sa poche il s'en sortira financièrement bien, mais celui qui ne va pas gagner grand chose voire perdre, ce sera le business angel qui n'aura pas pu remettre au pot !
Une règle de Barenton confiseur : ne jamais faire affaire avec ceux qui pourrait perdre moins que vous si les choses tournaient mal !
Excellent post Michel, qui a le mérite d'ouvrir les yeux à quelques personnes qui veulent devenir BA après un certain succès dans les affaires...
Les mathématiques jouent à plein quand on fait ce genre d'opération, et la passion (et le travail) ne suffisent pas à assurer un beau deal.
C'est une conversation que j'ai eu hier avec un ami wanabe-BA, mais je n'ai vu ton post que ce matin. Dommage :-)
PS : Je viens d'apprendre que l'on allait se rencontrer le 19 juin. Je serai très heureux de discuter quelques minutes à l'occasion, si l'idée te séduit...
Posted by: Pierre-Olivier Carles | May 22, 2008 at 09:19 AM
Très intéressant. J'ajouterais comme conseil de fuir également les investissements dans les projets pour lesquels l'entrepreneur attend de lever des fonds avant de démissionner. Bien que cette stratégie soit sage pour un(e) pére/mére famille, elle montre que le porteur du projet ne croit pas assez à son idée (ou son exécution) pour prendre juste un risque d'emploi alors qu'il/elle demande aux BA de se séparer de leur cash.
Posted by: jerome camblain | May 22, 2008 at 10:55 AM
@ Jerome : c'est ce qu'on appelle de la gestion des risques - si la personne a un job qui lui permet de tenir financièrement le temps de faire ses levées de fonds, c'est un confort appréciable : pas de pression sur le délai qui peut être de plusieurs mois, en cas d'échec pas de perte de temps à trouver un job "alimentaire". Il faut toujours avoir un plan B pour se refaire en cas d'échec. Un dirigeant ne doit pas avoir (trop) de soucis matériels en tête pour pouvoir se livrer totalement dans sa mission.
Après, comme toujours, c'est un compromis : avoir un jeune sans expérience mais disponible ou avoir une personne expérimenté mais avec des contraintes qui le rende moins mobile quitte à douter sur sa motivation...
Posted by: Stephane | May 22, 2008 at 11:36 AM
Merci pour cette autre vision du sujet... très éclairante ;)
Posted by: Zippy | May 22, 2008 at 12:31 PM
Ceci est très pertinent pour le ecommerce de biens physique
Mais si on parle de sociétés avec une techno ou du e-commerce immatériel, la valorisation "rationnelle" est beaucoup moins simple car les effets de levier sont plus importants et le(s) entrepreneurs(s) peuvent à juste titre craindre de perdre leur savoir faire/compétence
Posted by: Daniel | May 22, 2008 at 04:53 PM
Salut Daniel,
Plus généralement, il faut en effet pouvoir essayer de valoriser "rationnellement", ce qui n'est en effet pas toujours simple !
Dans ces cas la, comme Warren Buffet, je m'abstiens et laisse à d'autres le soin de prendre les paris qu'ils veulent !!
Posted by: Michel de Guilhermier | May 22, 2008 at 05:00 PM
Pierre-Olivier, ah bon, on doit se voir le 19 ??? Je ne comprends pas ?
Posted by: Michel de Guilhermier | May 22, 2008 at 05:00 PM
Ah, Barenton confiseur, ça nous manquait Michel.
Posted by: Pascal ALBOUY | May 22, 2008 at 05:22 PM
C'est une vraie bible !!
Posted by: Michel de Guilhermier | May 22, 2008 at 05:29 PM
Je viens de t'envoyer un email, histoire de ne pas dévier la conversation intéressante qui se tient ici :-)
Posted by: Pierre-Olivier Carles | May 23, 2008 at 06:20 AM
merci pour votre post, c'est hyper intéressant.
j'ai du mal à comprendre un point: pourquoi de tels écarts de valo pre money entre BA et VC? (vous parlez d'un ratio *3!)
Faut-il comprendre que l'entrepreneur a intérêt a attendre les vc pour une valo maximale tout en faisant tout pour ne pas tomber dans le cas que vous décrivez du passage à vide qui profite aux VC (facile à dire;)?
Posted by: vincent | May 24, 2008 at 02:17 AM
Vincent, il ne faut pas voir les choses comme cela ! J'illustrais par un exemple, mais en aucun cas ce delta de valo acceptable est une norme !!
Ce que je veux dire, c'est qu'un business angel ne doit jamais prendre le risque de payer sur une valo "déconnectée", sauf éventuellement à avoir les poches aussi profondes qu'un VC !
Car celui-ci, même s'il paye très cher au départ (ce qui n'est de toute façon jamais bon), pourra se rattraper lors des tours futurs, surtout si ça va mal.
Posted by: Michel de Guilhermier | May 24, 2008 at 06:39 AM
ok. C'est trés clair. Merci
Posted by: vincent | May 27, 2008 at 01:35 PM
Capital Risqueur Tv lance à la rentrée http://www.business-angels.tv
Posted by: Business Angels TV | July 24, 2008 at 12:53 PM
Tout à fait d'accord, Michel.
Au fait, je me spécialise de + en + dans les dossiers d'amorçage en intervenant le + en amont possible et en investissant au nominal. C'est ce que j'aime faire et que je sais faire ! Si tu as tes dossiers,merci de me les transmettre. Bel été !
Posted by: Patrick | July 27, 2008 at 06:46 PM