Je recevais il y a quelques jours le Business Plan d'un jeune e-commerçant qui réalise déja plus de 100K€ de CA mensuel après seulement quelques mois d'activité !
Débuts donc impressionnants, avec de plus un coût d'acquisition client est parfaitement maîtrisé - inférieur à la marge brute dégagée par la 1ère commande - et un "repeat" qui semble déja bon. Contrairement à l'e-commerçant que j'évoquais dans mes articles sur le repeat business, la mécanique commerciale est ici positive : on gagne des sous dés la 1ère commande, et les clients reviennent régulièrement. Bottom Line positif : la proposition commerciale est forcément pertinente !
Pourtant, si je me place maintenant en tant qu'investisseur, le fait d'avoir une proposition commerciale pertinente est un pré-requis nécessaire, mais elle n'est pas suffisante. Ce qui m'intéresse, c'est de miser sur un actif qui va fortement s'apprécier avec le temps, et donc m'apporter un retour sur investissement confortable.
Inutile d'évoquer ici les valorisations d'entrée, que je trouve souvent ahurissantes pour des modèles qui sont encore loin d'être affinés ni prouvés. Le point est ici d'apprécier la valeur potentielle à terme de cet actif.
Pour disposer à terme d'un actif de qualité, l'essentiel réside pour moi dans le fait de posséder un avantage concurrentiel pérenne. C'est de cet avantage que découlera une bonne partie de la rentabilité et assurera la solidité de la société. Et ainsi la valeur de la société.
Entre un Auchan et un Carrefour, il n'y a pas de différences majeures, on retrouve à 90% les mêmes produits , avec des delta prix marginaux globalement. Même si ces distributeurs aimeraient dire que leur marques propres créent une différenciation, dans les faits, elle est minime : le vrai avantage concurrentiel de ces chaînes repose beaucoup sur leurs emplacements.
Pour un distributeur e-commerce, qui n'a pas contrairement à un retailer physique le bénéfice de l'emplacement, je ne vois que 4 ou 5 axes :
- Disposer d'un volume d'achat qui permette des prix plus bas (tout en conservant sa rentabilité). Dans la réalité, il faut vraiment que les volumes soient très importants, car généralement un gros pure player restera bien plus petit qu'un distributeur physique de 1er plan. Pixmania et RueduCommerce, par exemple, sont bien plus petits que la Fnac (ou que l'anglais DSG qui a justement racheté Pixmania et lui a certainement fait bénéficier de ses conditions d'achat).
- Avoir une structure de coûts très légère qui permette là aussi d'avoir des prix plus bas (idem pour la rentabilité).
- Disposer de certains produits en exclusivité. Cela est surtout possible pour des producteurs-distributeurs intégrés, ie Ladurée (même si l'e-commerce est confié à Inspirational Stores).
- Avoir un service réellement hors pair, différenciant, perçu comme tel par la clientèle et assez difficilement répliquable par la concurrence. Le service Amazon, à de nombreux égards, rentre pour moi dans cette catégorie.
- A cela, on pourrait rajouter éventuellement le fait de possèder une marque de distributeur connue qui attire et rassure le consommateur. Pour un produit donné, à prix et service comparable, certains préfèreront s'approvisionner ainsi chez Fnac.com ou un Amazon.com - devenue elle aussi une marque connue qui rassure - qu'un e-commerçant lambda.
Pour le reste vous pouvez bien être dans un segment donné le 1er, avoir 2 ou 3 longueurs d'avance sur la concurrence, jouir déja de plusieurs millions d'Euro de CA, si vous ne disposez pas d'un ou plusieurs de ces avantages, ou si vous ne les acquérez pas rapidement, vous ne survivrez pas sur la durée.
En tant qu'investisseur, je garde donc un oeil assez dubitatif sur nombre de pure players e-commerce qui se lancent et qui, initialement, connaissent d'excellents succès commerciaux. Tant qu'ils ne m'ont pas montré où et comment ils comptent acquérir un vrai avantage concurrentiel pérenne, l'investissement a très peu de chance d'être attractif.
Ce que j'aime, ce sont les distributeurs qui au fil du temps se créent et renforcent leur(s) avantage(s) concurrentiel(s), d'une façon ou d'une autre.
Bien entendu, le jeu peut aussi être d'acquérir rapidement une part de marché et de la revendre à un acteur qui aura les conditions pour l'exploiter efficacement. On vend ainsi non pas un bon business rentable et pérenne comme je les aime, mais d'une part de la valeur temps, d'autre part un potentiel et enfin une position stratégique.
Ca peut marcher (ça a d'ailleurs marché pour certains), mais la fenêtre de rachat est généralement courte. Et ça ne marche qu'à partir d'une taille vraiment significative et à condition d'être vraiment bien plus important que vos concurrents, ce afin de devenir une cible incontournable.
Prenons, par exemple, un secteur qui "pèse" au niveau du retail une dizaines de milliards d'Euro de CA : à moins de réaliser plusieurs dizaines de millions d'Euro de CA en e-commerce, vous n'avez je pense aucune valeur stratégique.
Il ne faut pas se leurer, à terme, dans un marché e-commerce mature, les valorisations des e-commerçants se rapprocheront de celle des retailers classiques, on oscillera en général entre 0,3 et 2x le CA dans le meilleur des cas - ce dernier chiffre pour de la distribution spécialisée bénéficiant d'une rentabilité forte - avec une mediane autour de 0,7/0,8 sans doute.
Amazon vaut actuellement un peu moins de 2x son CA, non pas parce qu'elle est très rentable, mais parce qu'elle est encore en phase de croissance importante (disons 25% par an) et non pas de maturité. Mais si on prend Walmart, 1er distributeur mondial, il ne vaut pas plus de 0,6x le CA actuellement. Whole Foods, dont j'ai déja parlé plusieurs fois ici, vaut a peu près dans les mêmes eaux.
Excellent !
Posted by: Filmail | May 14, 2008 at 02:15 PM
du vrai Michel avec "le bon sens paysan" comme on l'aime...bravo
Posted by: Pascal ALBOUY | May 15, 2008 at 09:04 AM
comme c'est vrai et bien écrit
Posted by: Daniel | May 15, 2008 at 01:05 PM
Très bon article, bravo!!!
Posted by: Pascal | June 01, 2008 at 09:47 AM