Alors que la plupart des analystes voient l’action Apple monter au dessus de 200$ dans les 12 mois à venir, certain la voyant même à 260$ (contre environ 160$ actuellement), une voie discordante s’élève pour annoncer une division par 2 avant la fin 2009, pour tomber aux alentours de 80$ seulement !
Si j'ai souvent l'impression que 95% des analystes ont un comportement moutonnier, ne faisant que suivre la tendance – consciemment ou inconsciemment – en voilà un qui se situe aux antipodes de la pensée ambiante. Rien que ça vaut qu’on s’y attarde un peu ! Surtout qu’Apple vient juste d’annoncer de superbes résultats pour son 3ième trimestre fiscal 2008, au dessus des attentes du marché !
Le rapport de l’analyste en question, Per Lindbergh de MG Global, est sur une vingtaine de pages, mais voici en synthèse les fondements de sa réflexion :
- En ce qui concerne la ligne de produits “Mac”, sous l’effet d’une concurrence renforcée, la croissance des volumes va fortement décélérer (passant de +40% en 2008 à +17% en 2009 et +10% en 2010) et l’ASP (average selling price) va chuter de l’ordre de 15% sur les 4 ans à venir, faisant alors baisser les marges. Au final, après 40% de croissance des revenues en 2007 et 2008, ce ne sera plus que 8% par an seulement environ sur les 4 années à venir, et avec une croissance de la marge brute encore bien plus faible.
- La ligne iPod va souffrir fortement, sous l’effet et d’une part de la concurrence et d’autre part de la cannibalisation de l’iPhone. Les volumes vont décliner et, combiné avec la baisse de l’ASP (-20% entre 2008 et 2012), les revenues de cette ligne passeront de 9Mds$ environ en 2008 à seulement 5.3Mds$ en 2012 !
- Enfin, la ligne iPhone ! Si l’analyste reconnaît que le produit est fantastique, s’il anticipe une très forte croissance des volumes (75M d’iPhones vendus en 2012 vs 20M en 2009 et 8.5M en 2008), s’il concède même qu’Apple dominera à terme le marché des smartphones, devant Nokia, RIM (Blackberry), Microsoft et les autres, il parie sur une terrible érosion du prix de vente en raison d’une foire d’empoigne entre ces mastodontes, avec une baisse du prix moyen de plus de 40% d’ici 2012. Ce qui n’empêchera cependant pas les revenues iPhone de passer de 9mds$ en 2009 à 22Mds$ en 2012 (et un déclin après).
Au final, pour la période 2009-2015, l’analyste calcule une croissance moyenne des ventes d’Apple de 5% seulement, passant de 41Mds$ à 55Mds$ environ, avec une évolution du bénéfice par action dans ces mêmes eaux.
Et sa conclusion est logiquement qu’avec une croissance aussi faible Apple ne mérite absolument pas un multiple de 30 comme actuellement mais plutôt de l’ordre de 12 ! Avec un bénéfice par action qu’il anticipe à 7$ environ en 2010, il arrive ainsi à un prix par action de 80$...
Bon, voilà qui jette un sacré froid...
Steve Jobs a relancé Apple en 1997 en revitalisant la gamme Mac avec l’iMac original, particulièrement sexy et innovant sur son concept à l’époque. L’élan iMac a duré quelques années, mais une grave crise a débuté en 2000. A partir de 2001, l’iPod a revitalisé Apple et a également contribué à la croissance des Mac par ce que Jobs a appelé l’effet ‘halo”. Au delà, la gamme de portables Apple a toujours été innovante et a connu un grand succès, et actuellement la firme vend bien plus de portables que de desktops, dans une proportion 62/38%. L’iPod commence maintenant à décliner, mais l’iPhone prend aujourd’hui le relais et devrait représenter 50% des ventes et un peu plus des profits totaux d’ici à quelques années.
Au final, comme je l’avais exprimé il y a quelque temps, Apple n’est pas un modèle “mécanique” qui se déroule et s’étend inexorablement avec le temps. Sa croissance est très fortement liée à sa capacité d’innovation et nous ne connaissons pas à ce stade les nouveaux produits, les nouveaux services, ou simplement les innovations plus ou moins majeures sur les produits existants – s’il y en a - qui pourraient éventuellement dynamiser les volumes et/ou soutenir les prix de vente.
S’il n’y en a pas, alors oui on se dirigerait directement sur le scénario, ou plutôt l’extrapolation, décrit par Per Lindbergh dans son analyse. Apple opère sur des marchés connus, à croissance négative (lecteur MP3), faible (ordinateurs personnels) ou raisonnable (smartphones) et toujours extrêmement concurrentiels.
Mais on peut aussi faire le pari qu’Apple, qui a fait la preuve depuis le retour de Steve Jobs qu’elle savait sortir des innovations comme aucune autre société de consumer high tech, saura dans le futur lancer suffisamment de nouveautés plébiscitées par le marché, régulièrement, pour soutenir les prix de vente et les volumes.
En définitive, acheter Apple au cours actuel, plus qu’un acte d’analyse, c’est un acte de foi dans la capacité de la firme à continuellement innover et maintenir la forte désirabilité – et le premium - de ses produits. C'est un pari raisonnable au vu de l'historique récent.
Ceci étant, je vois quand même 3 réalités incontournables :
- Le cours actuel d’Apple, même s’il est aujourd’hui en repli de 20% environ sur ses plus hauts, anticipe déjà qu’il y aura un bon nombre d’innovations importantes pour soutenir la croissance des volumes, des ventes et des profits.
- Une bonne partie de l’innovation Apple repose sur l’imagination et les directions données par Steve Jobs qui n’est pas éternel et dont la santé est aujourd’hui sujette à pas mal de rumeurs, même si elles ont été démenties.
- Pour les 18 mois à venir on est dans une période économique difficile, ce qui ne va pas aider les produits premium à se vendre en masse.
Apple est une société extrêmement spéculative et volatile. Sa liquidité est l’une des 1ères si ce n’est la 1ère de Wall Street – 3 à 4% du capital change de main chaque jour – et début octobre 2000 son cours avait été divisé par 2 en une seule journée (passant à l’époque de 50$ à 25$ environ). A l’époque, certes, Apple était à la fois plus petite et bien moins diversifiée avec une seule ligne de produits (les ordinateurs personnels).
Alors en conclusion, je dirais qu’à 160$ l’action actuellement il y a bien toujours un upside potentiel sur le titre, mais que celui-ci est conditionnel et incorpore également un risque non négligeable avec pas mal d’inconnues qui pourront se clarifier – partiellement - dans les 18 mois :
- Dans un contexte macro-économique difficile qu’on connaît, Apple va t’elle réussir à croître tout en maintenant ses prix premium.
- Quelle va être la réaction des Nokia, Samsung, RIM, etc, sur le marché des smartphones ? Que va donner Google et sa plateforme Android ?
- Sur le marché des ordinateurs personnels, Apple a t’elle réussir à endiguer l’érosion des prix de vente, provoquée par la concurrence et la chute du prix des composants, grâce à de superbes innovations ?
- A quelle vitesse vont chuter les ventes d’iPod - certes cannibalisées en partie par les smartphones – et leurs ASP ?
Avant d’avoir plus de réponses à ces questions, le bon sens commanderait de ne pas trop se charger en Apple aux cours actuels, même si j’estime que le scénario de Per Lindbergh est clairement un “worst case”.
Il y a actuellement des valeurs de distribution, des valeurs financières (certaines, pas toutes qui ont encore des bilans trop peu nettoyés), voire des valeurs Internet (pas vraiment Shutterfly actuellement : bien que l'action ai perdu 70% sur ses plus haut elle reste chère en terme de PE et PEG. Shutterfly reporte ce soir après la clôture), qu’on peut acheter avec une décôte particulièrement importante vs leurs plus hauts et qui me semblent présenter un rapport gain/risque plus favorable.
Je répète cependant qu'il n'y a aucune raison cependant de se presser ! Même avec certaines sociétés à des cours attractifs, je ne parierais pas sur un marché bullish avant de longs mois, probablement pas avant la 2ième partie de 2009.
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