Je lisais récemment un article intéressant sur Coach. J'ai déja parlé de cette marque dans ces colonnes, pour ceux qui ne connaissent pas encore : c'est de la maroquinerie haut de gamme avec réseau de distribution propre intégré, implantée essentiellement aux Etats-Unis. C'est une entreprise importante avec 3Mds$ de CA environ pour une market cap de l'ordre de 8Mds$.
Cela fait bien longtemps que je m'intéresse à cette superbe chaîne américaine qui a connu une très belle croissance (+50% sur les 2 dernières années), et le fait qu'Inspirational Stores a dorénavant repris l'e-commerce des marques de maroquinerie Delvaux et Lamarthe fait que je m'y intéresse d'encore plus près.
La chaîne dispose aujourd'hui de près de 300 magasins classiques et a ouvert, au cours de ces dernières années, une centaine de ce qu'elle appelle des "factory stores", dont la vocation est non seulement d'écouler les sur-stocks, mais aussi d'attirer un autre type de clientèle.
Lors de la parution de ses résultats annuels fin juin, elle dévoilait un élément très intéressant, signe du contexte général : alors que les magasins classiques - au positionnement prix plus élevé - avait attiré moins de visiteurs qui avaient en moyenne dépensé moins que l'année précédente, les factory stores avaient attiré plus de visiteurs et ceux-ci avaient également dépensé plus.
Coach utilise judicieusement les 2 canaux, et comme le résume très bien son CEO, Lew Frankfort : "we use the full-price channel to drive the brand forward...We have more marketing flexibility in our factory stores."
Pragmatisme de bon aloi, qui montre qu'il est possible de construire, gérer et développer une marque haut de gamme tout en offrant aux consommateurs des bonnes affaires. Il faut cependant que cela soit pensé globalement et que chaque canal soit bien distinct, avec une politique de prix cohérente.
Pour une marque haut de gamme, je crois qu'il est essentiel de parfaitement maîtriser sa distribution, soit par un réseau propre, soit par un réseau de franchisé mono-marque sous contrôle strict. L'initiative Coach d'également maîtriser la distribution de ses sur-stocks via les factory stores me paraît légitime, logique et même nécessaire.
Je note également que Saks Fifth Avenue, autre retailer haut de gamme, a maintenant aussi une stratégie claire d'expansion de ses "factory stores" dénommée"Off Fifth": alors qu'elle n'avait ouvert qu'un seul magasin de ce type l'année dernière, elle en ouvre 3 coup sur coup cet automne et en prévoit 3 autres pour 2009. Avec un même pattern que pour Coach : plus de gens viennent et ils dépensent plus qu'avant. "We're clearly seeing continued outsized growth in our Off Fifth business," dit sobrement sans trop de détail son CEO Stephen Sadove.
Les "ventes-privées" sur Internet, quant à elles, qui écoulent les stocks des saisons passées (normalement...), ont connu chez nous en France un essor considérable sous l'effet, notamment, du leader de la catégorie qui va dépasser cette année 500M€ de CA, mais il me semble qu'un réseau d'écoulement propre à la marque serait encore plus efficace économiquement pour de nombreuses marques qui disposent de la taille critique pour l'opérer efficacement.
Les economics sont clairs : pour schématiser, VP.com achète à 25 ce qu'elle revend à 50 et qui valait 100 auparavant. VP est très rentable, car en tant que canal d'écoulement hyper efficace (en moyenne 1M€ par vente, en seulement 48h), et donc apportant une superbe solution à un vrai problème des marques, celui du sur-stock - elle peut imposer ses conditions à l'amont : marges confortable, achat après la vente (merci pour le BFR) et donc pas de risque, etc.
En l'absence de canal d'écoulement propre des sur-stocks par les marques, les ventes privées sur Internet sont de facto la meilleure alternative actuelle pour écouler les volumes. Pas de débat la dessus. Néanmoins, les limites du modèle, pour les marques comme pour les opérateurs, sont limpides :
- Pour les opérateurs, avec 2 ventes par jour, ils disposent d'un maximum de 700 fenêtres de tirs par an environ. La base après se lasse et/ou s'épuise.
- Pour les marques, une opération coup de poing de déstockage en 48h apporte certes de la volumétrie, mais en terme de capacité à minimiser la réduction de marge globale, ce n'est pas clairement pas idéal. J'ai également quelques doutes en terme de maintien de l'image d'exclusivité vs un réseau d'écoulement propre.
J'attire également l'attention sur une réalité qui doit faire réfléchir : malgré son superbe succès, Ventes Privées.com a une base d'environ 5M de personnes (et même un peu moins), mais qui n'évolue de fait plus tellement. En comparaison, voyagessncf.com, leader de la vente en ligne en France, a une base de l'ordre de 15 ou 16M de membres actuellement. Autrement dit, ce dernier a un reach bien plus universel que l'autre. Le système VP plait, mais il semble qu'il ait déja fait le plein de sa cible.
Ce n'est de fait pas l'ensemble de la population qui est intéressée par avoir du -50% sur la collection passée, avec la contrainte du délai d'attente de la marchandise plus le stress du rush lors de l'ouverture ! Je fais partie de ceux qui ne sont d'ailleurs pas intéressé !
Ceci étant, on vient juste d'assister (avant hier 24 septembre) à une très belle levée de 7.3M€ d'un nouvel opérateur de ventes privéees, Private Outlet. Pour autant, je suis très dubitatif sur leur modèle et leur positionnement qui se veut hyper exclusif avec relativement peu de membres souhaités par pays, mais en couvrant 10 pays. Il me semble d'une part que la volumétrie est nécessaire dans ce business, et d'autre part 7M€ sur 10 pays, ça ne fait finalement pas une grosse force de frappe par pays. Je note d'ailleurs qu'il y a 1 an, le PDG de l'affaire, Cyril Andrino, déclarait vouloir ne chercher que 200,000 membres par pays, et qu'il en annonce aujourd'hui près de 400.000 en France (dans l'article). A noter que la levée de 7M€ ne concerne pas seulement la partie online, très minoritaire de fait, mais aussi la maison mère, présente depuis 1977 sur le créneau du destockage physique. Comme pour les fondateurs de Ventesprivees.com, on a affaire à des pros du destockage, ce qui est pour le coup un atout fondamental.
Sur le fond aussi, le destockage, qu'il soit physique ou par internet, répond au problème du sur-stock. Celui-ci existe parce que le réseau a été stuffé avec de la marchandise en début de saison qu'il n'est pas arrivé à écouler. Internet arrive, et permet un push régulier et fin des stocks par des promos ciblées, sans attendre les soldes d'ailleurs. Aussi, ma conviction est que le canal Internet, s'il est bien géré, permettra justement de réduire les sur-stocks de fin de saison et donc, logiquement, limitera l'intérêt et le marché du destockage (je ne dis pas que celui-ci n'existera plus).
Internet va aussi donner une grosse prime à ceux qui maîtrise leur production, et encore plus ceux qui l'ont intégrée. Le système qui consiste à produire pour l'ensemble de la saison en stuffant le réseau, et en se lavant ensuite les mains de ce qu'il peut arriver, est pour moi archaïque et condamné.
Zara, qui est parfaitement intégré industriellement, fonctionne d'ailleurs quasiment en just-in-time : obsédés qu'ils sont par la rotation des stocks, il produisent des séries courtes, si ça part bien ils reproduisent vite et si ça ne part pas bien ils réduisent rapidement le prix pour liquider les stocks en magasin. En clair, il n'y a jamais de besoin de destockage massif. Et bottom line, Inditex (Zara) est fantastiquement rentable avec 10% de marge nette (de mémoire).
J'avais oeuvré il y a une dizaine d'années au rachat de la chaîne Mim, prêt-à-porter pour jeunes filles 10-20 ans, et les fondateurs m'expliquaient que finalement ils géraient comme un magasin de fruits et légumes (ça me parlait ça !) : c'est du frais, il faut que ça parte très vite et si ça commence à mal partir, il faut vite écouler en faisant ce qu'il faut (têtes de gondole, promos, etc), mais il ne faut pas laisser du stocks sur les étagères !
Dans la problématique d'écoulement régulier des stocks sans attendre la fin de saison, je suis convaincu que l'e-commerce, et donc aussi le rôle et la maîtrise de ce canal par Inspirational Stores, deviennent clé !
Mais on est finalement qu'au tout début de l'aventure ! Les canaux de distribution ne muent pas en un jour et les opérateurs jouent chacun leur jeu. Pour émerger, il faut un une vision et un positionnement justes, des talents, et des capitaux.
Beaucoup de capitaux d'ailleurs car l'e-commerce n'est pas de l'artisanat mais une vraie industrie qui demande finalement, au delà des infrastructures matérielles, un incroyable nombre de compétences différentes, en technologie, en marketing online, en commerce et animation d'e-stores, en logistique, etc. Monter et recruter l'ensemble des moyens et des expertises nécessaires à un e-commerce de grande qualité n'est ainsi clairement pas à la portée de la 1ère société venue..
500Mds€ de CA pour VP ? Y'a pas un "ds" de trop ?
Posted by: Alex | September 26, 2008 at 10:49 AM
je partage complètement votre analyse, je rajouterai que le canal des ventes privées a permis à de nombreuses marques d'élargir leur gamme et de prendre des risques de stocks plus importants. Concernant l'avenir des ventes privées, c'est difficile à prévoir mais je pense que cela pourrait, comme vous le souligner, venir des marques qui décident de gérer eux même leur surstock. Mais concernant VP.com, je suis quand même bluffé par la rentabilité de ce site. C'est une machine à cash impressionnante, ils ont les moyens de se diversifier.
Posted by: fx | September 26, 2008 at 11:53 AM
Votre analyse est très pertinente .
VP de plus de par sa puissance de frappe et le différentiel avec le peloton de ses challengers - 10 à 20 fois moins puissants que lui - arrive à imposer des contrats d' exclusivité aux marques .
En échange , il est vrai qu'il soigne particulièrement la présentation de leur produits et leur image .
Je ne partage pas complètement votre pronostic sur la volonté des marques de faire leur propre déstockage :
qui a les moyens de constituer une base de 5 millions de personnes intéressées par des achats en discount?
Qui peut en 2 à 3 jours faire venir sur son site plusieurs centaines de milliers de personnes et ceci de manière très sporadique ??
Cela ne me semble pas évident du tout ....
Posted by: positivattitude | February 07, 2009 at 01:36 PM