Deuxième follow-up après le 1er où j'avais évoqué le choix du leveur de fonds.
En 1998, ayant un appareil numérique (depuis 1994 en fait, avec le QuickTake 100 d'Apple que je garde toujours comme une relique), et n'ayant jamais voulu m'encombrer d'une imprimante ni acheter des consommables, je passais par un service de développement photo sur Internet aux Etats-Unis, en l'occurence printroom.com, société qui existe toujours mais qui s'est maintenant focalisée sur le B2B.
Après avoir lu début 1999 que Jim Clark, l'iconique entrepreneur de la Silicon Valley (Netscape, Silicon Graphics, MyCFO, etc) allait lancer Shutterfly, je me suis simplement dit qu'il fallait que je me décide à développer ce concept en France dans lequel je croyais. De là est née Photoways que je démarre, en parallèle de ma société de conseil en LBO, dès l'été 1999. Durant cette période, jusqu'au début 2000, une dizaine de services se sont aussi lancés en France, reprenant ce qui existait déja aux USA.
En clair, aucun effort intellectuel, j'ai copié un modèle, aucune gloire à ce niveau !
Le concept Inspirational Stores s'inscrit dans un contexte différent, car il est vraiment issu d'analyses, de réflexions et de rencontres sur le terrain et non pas d'une inspiration américaine, même si nous nous sommes rendus compte à la mi 1997, que des entreprises reprenant ce concept existaient déja aux US.
Juillet 2006, nous prenons avec Martin Genot la décision de quitter Photoways pour monter autre chose et négocions, tant bien que mal, une période de transition jusqu'à janvier 2007. En parallèle, nous phosphorons beaucoup, nous rencontrons pas mal d'entrepreneurs, nous confrontons nos idées : ça foisonne de partout mais rapidement une évidence se dégage : il existe de très nombreuses niches potentiellement intéressantes, mais il est économiquement difficile de les attaquer efficacement car elles n'ont pas une taille suffisante pour justifier des lourds investissements requis en infrastructures et compétences pour faire un bon e-commerce.
Alors, logiquement mais progressivement, le modèle devient celui d'attaquer de très nombreuses niches sectorielles en même temps, ce en mutualisant un pool central de compétences e-commerce : on règle ainsi la quadrature du cercle, on peut déployer pour chacune de ces niches tout ce qu'il faut pour faire un e-commerce parfait, ce alors qu'aucune ne le permettrait vraiment individuellement. C'est l'état du concept tel qu'il est en septembre 2006.
Durant l'automne 2006, je rencontre par le biais d'un ami les actionnaires ou managers de Ladurée, Caviar Kaspia et Daniel Crémieux, et là une évidence s'impose aussi : ces belles marques ne savent pas, ne veulent pas ou ne peuvent pas faire d'e-commerce efficacement. Les plus convaincues sont d'ailleurs les 2 1ères, qui opèrent déja leur site e-commerce et comprennent donc naturellement la complexité de la chose. Elles nous disent quelles seraient prêtes à nous confier la gestion de leur canal.
C'est ainsi qu'en décembre 2006 le concept prend une nouvelle tournure, celui d'aller dans des niches de marques, même si l'option d'attaquer des niches sectorielles sans marque reste encore au programme. Pour quelque temps seulement, car en avril ou en mai 2007 nous abandonnons totalement l'idée d'attaquer des niches sectorielles pour nous concentrer sur le développement du canal marchand officiel de belles marques.
Voila pour la genèse. Et fondamentalement, le principe de mutualisation des moyens et des compétences e-commerce imaginé initialement pour la "long tail" et les niches sectorielles, s'applique totalement à l'e-commerce officiel des marques.
Et, du côté de celles-ci, l'externalisation complète de la gestion de leur boutique web me paraît être une tendance de fond, étayée par 3 raisons principales :
Un problème de taille critique :
Quiconque travaille quotidiennement dans l'e-commerce connaît l'incroyable nombre de compétences différentes qu'il faut pour créer, gérer et développer efficacement un e-commerce de qualité. Une ribambelle de compétences en IT, en web design, en e-marketing, en web merchandising, en call center, logistique, en juridique, etc. Une armée de spécialistes en fait !
Bien sûr, on peut tout à fait gérer cela à la petite semaine, en temps masqué, faisant éventuellement appels de façon ponctuelle à quelques prestataires externes, à des stagiaires, etc, mais ça c'est pas du travail de qualité pérenne !
Le problème du recrutement des compétences e-commerce est encore plus délicat quand on réalise 2 choses : d'une part elles sont actuellement assez dures à trouver, et d'autres part elles évoluent sans cesse. A noter d'ailleurs que dans l'IT spécifiquement, ce problème de l'évolutibilité rapide et de la rareté des compétences n'est vraiment pas nouveau, ce pourquoi l'externalisation de cette fonction existe depuis belle lurette.
Ainsi, on peut arriver à prouver que, pour la plupart des marques, le seul problème d'une taille critique insuffisante les empêche mécaniquement de développer en interne un e-commerce interne dynamique, efficace et rentable. Elles ne peuvent tout simplement pas rentabiliser la série de compétences nécessaires à un bon e-commerce.
Un problème de gestion de fournisseurs multiples qui facturent de façon certaine
On rétorquera qu'une marque peut très bien externaliser les différentes fonctions de la chaîne de l'e-commerce en ayant recours à plusieurs partenaires spécialisés, web agencies, online marketing agencies, logisticien, hébergeurs, etc.
Certes, mais pour la marque, on va alors avoir :
- Une facturation par le fournisseur 40 à 100% supérieure au coût de la prestation
- Des fournisseurs non motivés au chiffre d'affaires
- Une coordination délicate de plusieurs "corps de métiers" qui parfois se renverront la balle
Bottom line : solution possible, mais ça finit par coûter finalement très cher, ce pour un résultat incertain.
Autre, l'e-commerce est un monde ou l'hyper réactivité est absolument nécessaire. Je crois qu'un fournisseur, en place depuis plus de 2 ans, aura une tendance naturelle à s'assoupir voire à s'endormir et sera moins efficace. Et changer toute une série de prestataires tous les 12 ou 18 mois pose un réel problème.
Un problème de gestion d'un canal minoritaire et très spécifique
Vous êtes à ce stade sans doute convaincu qu'une "petite" marque ne peut pas internaliser son e-commerce - à moins de vouloir tomber dans l'artisanat - et que passer par plein de prestataire ne sera pas économiquement intéressant pour elle, imposant de facto la solution de l'externalisation.
Mais les très grandes marques, celles qui peuvent demain faire disons 50, 100, 200M€ et plus en e-commerce, qu'en est-il ?
Le magasin officiel web d'une marque est l'un des 3 canaux de vente sur Internet. En parallèle, il y a les multi-marques sur le web (pure players, grands magasins, retailers spécialisés qui se lancent sur Internet, peu importe) et le canal de la vente privée. A moins d'empêcher la vente par des multi-marques (on ne voit d'ailleurs pas comment, à moins de travailler dans l'ultra frais comme avec Ladurée) et de ne pas passer par des ventes privées web externes, peu de chance que la boutique web officielle d'une marque fasse plus de 30% du total du CA généré par l'Internet.
Supposons enfin que dans quelques années la part de l'e-commerce au total se cale sur 15% du retail : c'est ce que donne Forrester, hors biens dématérialisés (bien plus), hors alimentaire et hors voitures (bien moins).
Bilan, la boutique online officielle d'une marque devrait représenter 30% de 15% du CA total de la marque, soit environ 5% d'ici 3 à 4 ans. Dans un élan d'enthousiasme débordant, on supposera même que dans 10 ans ça peut monter à 10%, et après moi je suppose que la répartition web/retail physique sera à peu près stable.
Voila la réalité, voila ce qu'on peut espérer du magasin officiel online, un grand maximum de 10% du CA total de la marque. Encore une fois, je ne parle que des ventes "normales" en excluant les ventes privées. Dans la vraie vie, les très nombreux multi-marques online indépendants représenteront nécessairement plus de CA que le .com marchand officiel de la marque.
Ces multimarques online indépendants sont des acheteurs comme les magasins physiques et n'appellent pas de stratégie web particulière au delà du choix de leur vendre ou de ne pas leur vendre.
En ce qui concerne le magasin online officiel de la marque, se pose la question fondamentale de comment gérer un canal très minoritaire - re 10% à long terme - et en plus très spécifique en terme de types de compétences nécessaires ?
1er cas, vous mettez à la tête de ce canal un vrai "pro" de l'internet. Très bien, mais c'est quoi son futur à lui dans une organisation où il ne gère, et ne connaît, qu'une partie marginale ? Dans mon ancien secteur, Kodak a ainsi totalement raté l'intégration d'Ofoto et les fondateurs, noyés dans une organisation où ils n'étaient pas du tout considérés et valorisés, s'en sont logiquement allés. Rappelez-moi aussi ce qu'il est advenu du patron de l'e-commerce de Dior ?
La vérité est qu'un pro de l'Internet sera satellisé au sein d'une grosse organisation dont l'e-commerce officiel est ultra minoritaire aujourd'hui, et restera toujours très minoritaire demain.
Vous mettez maintenant à la tête un bon cadre de la marque qui connaît bien le retail phyique. A supposer qu'il ne prenne pas comme une punition d'aller gérer ce "petit" canal, comment va t-il faire pour le gérer efficacement ce alors que dans ce milieu spécifique il est facile de se faire pipeauter par pas mal de monde, que ce soit en IT ou en marketing online, notamment.
In fine, même dans le cas de grosses marques pouvant espérer des dizaines de millions € de CA via le canal online officiel, il se pose un problème fondamental de management de ce canal.
Tout cela explique pourquoi l'externalisation du canal marchand online d'une marque répond à un vrai besoin économique et s'inscrit forcément dans une tendance lourde.
Pour avoir un e-commerce efficace, il n'y aura pas mieux que de le confier - sous contrôle - à une organisation qui a l'infrastructure et les compétences spécialisées pour cela, qui vit et vibre tous les jours, dans son ADN, par et pour l'Internet, et dont la rémunération est mécaniquement et constamment indexée sur sa performance.
Aux Etats-Unis, ce modèle d'externalisation de la boutique e-commerce d'une marque est déja bien développé (des centaines de marques outsourcent), mais ça, encore une fois, nous ne l'avons découvert que bien après !
Bonjour Michel,
Même si mon entreprise est concurrente de la tienne, je suis aussi et avant tout un confrère dans la même profession.
Et je prends exceptionnellement la parole sur ton blog pour souligner la qualité de ton post : tout est dit, et bien dit.
A faire lire aux quatre coins du monde du luxe.
Cordialement.
Posted by: Christophe Davy | October 11, 2008 at 11:28 AM
Bonjour,
Vous écrivez : "Je crois qu'un fournisseur, en place depuis plus de 2 ans, aura une tendance naturelle à s'assoupir voire à s'endormir et ne sera plus efficace."
Concept intéressant et certainement très motivant pour vos propres fournisseurs.
J'espère que vous êtes plus pertinents dans vos relations avec vos collaborateurs que vos fournisseurs...
Alain
Posted by: Alain | October 11, 2008 at 01:09 PM
Alain, que vous le preniez mal parce que vous défendez votre paroisse, je comprends, mais il n'empêche pas moins que je mets le doigt sur une vraie réalité des affaires avec les fournisseurs.
Par ailleurs, je suppose que vous savez faire la différence entre un fournisseur et un collaborateur qui progresse dans une organisation par son expérience et ses qualités.
Posted by: Michel de Guilhermier | October 11, 2008 at 01:14 PM
Est ce que les ventes générées par IS pour ces marques de luxe augmentent globalement le chiffre d'affaires de chaque marque ou est ce un chiffre d'affaires de substitution ? peut être est il trop tôt pour le dire...
Posted by: MichelN | October 11, 2008 at 02:35 PM
@Michel,
La problématique est tout simplement celle-ci : si une marque n'est pas présente sur Internet, elle perdra des ventes au profit de ses concurrents !
Posted by: Michel de Guilhermier | October 11, 2008 at 08:45 PM
Bonjour Michel,
Bravo pour ce post qui est clair, complet et didactique. Je trouve que tu as aussi raison d'insister sur le fait que cette idée est "home made", c'est-à-dire qu'il ne s'agit pas d'un me-too (ou copy cat).
J'attends avec impatience la Part III.
David
Posted by: David | October 12, 2008 at 12:16 AM
Merci David,
Je crois pas que je n'insiste tant que ça sur le fait que l'idée I.S n'a pas été "copiée" à quiconque !
After all, ce n'est pas si important que ça ! Le point principal pour réussir est de :
- bien executer
- etre très rigoureux
- rester pragmatique, jamais dogmatique sur son modèle, le faire évoluer quand il faut
- etre malin
Posted by: Michel de Guilhermier | October 12, 2008 at 06:49 AM
Pourrais tu nous citer ton concurrent américain?
Posted by: Le Tribulateur | October 13, 2008 at 06:16 PM
Salut Michel,
Bravo pour cette opération! Tu nous as devancé de quelques jours, mais tu as été rapide à commenter!(http://cornillot.typepad.com/laboipo/2008/10/le-lutinrouge-l.html).
Je pense qu'au-delà du modèle d'IS et de tous les éléments quantitatifs, les VCs parient beaucoup sur l'équipe, et qu'à ce niveau celle d'IS est une des Top10 du web. Bon courage et encore bravo!!
Posted by: Jean-Denis | October 13, 2008 at 06:46 PM
Salut Jean Denis,
thks !
Je ne saurais que recommander aux entrepreneurs qui cherchent à lever de te mettre en haut de leur short list !
Je connais Jean Denis depuis plus de 10 ans, son professionalisme et son éthique sont au top.
Acta Finance : http://www.actafinance.com/
Posted by: Michel de Guilhermier | October 13, 2008 at 06:50 PM
"Rappelez-moi aussi ce qu'il est advenu du patron de l'e-commerce de Dior ?"
Sauf erreur de ma part, il s'agissait de Laurent Malaveille. Il a rejoint ses copains McKinsey chez Pixmania pour prendre la Direction d'emerchant leur département service.
D'après les premiers échos, ce n'est toujours pas avec lui que cette activité emerchant va démarrer. Il semblerait qu'en plus de manquer cruellement de compétences, tous ses collaborateurs ne le supportent plus.
Le Luxe attire et refoule des spécimens ...
Posted by: Jeremy Furetet | January 22, 2009 at 03:22 PM
Jeremy, vous avez l'air d'en savoir des choses sur ce qu'il se passe chez Pixmania !!
A quelques bemols près...
Posted by: Michel de Guilhermier | January 22, 2009 at 03:29 PM