Shutterfly, leader américain et mondial du développement photo en ligne (son positionnement officiel est cependant aujourd'hui d'être un site de "social expression") annonçait cette semaine ses résultats trimestriels Q4 2008. Trimestre clé puisqu'il fait en gros la moitié du CA annuel de la firme.
En analysant en détail les comptes et surtout les transcripts de la conference call, un certain nombre de points marquants permettent de se faire une idée précise de la valeur de Shutterfly :
- La croissance au Q4 2008 fut finalement de l'ordre de 10%, ce qui est supérieur à ce qu'ils avaient initialement annoncés au dernier trimestre (-10 à +7%, j'en avais parlé ici). On est très loin du rythme incroyable de VistaPrint (+32% au Q4, ici) mais il faut se rappeler que l'e-commerce américain dans son ensemble a régressé de 4% sur le dernier trimestre de l'année vs la même période de 2007. En clair, c'est mieux que la moyenne, mais pas au niveau d'autres stars de l'Internet et de l'e-commerce, telles VistaPrint (c30%), Google (c20%), Amazon (c20%) et Netflix (c20%).
- Le taux de retour de la base de clients est excellent, preuve de produits et d'un service globalement de grande qualité. En 2008, en moyenne, chaque client est revenu près de 3 fois, ce pour un panier moyen de 28$ environ. Shutterfly démontre sa capacité à retenir et faire revenir ses clients. Un client Vistaprint ne revient lui qu'environ 0,7 fois par an (pour un panier un peu supérieur, de l'ordre de 35$).
- Si le taux de retour de la base est excellent mais que la croissance globale est faible...c'est que l'acquisition clients n'est par contre pas très dynamique. Ce malgré des produits et un service superbe, malgré une "relentless attention to customer satisfaction", ce qui montre certainement la difficulté d'adoption massive par les consommateurs de ce genre de service. Je déduits des informations disponibles que Shutterfly n'aurait recruté qu'environ 600,000 clients en 2008, à comparer aux 6M de VistaPrint. Depuis plusieurs années, Jeff Housenbold, le CEO de Shutterfly, affirme qu'on en est qu'aux préludes du marché, mais la volumétrie d'acquisition clients montre clairement qu'il n'y a pas de vrai boom. J'avais fait un post la dessus en évoquant 'Animoto, les livres photo sont un superbe produit, mais dieu que c'est long et compliqué à faire, ce qui constitue un puissant frein à un réel marché de masse. J'ai personnellement plusieurs albums "en préparation" depuis bien longtemps...je n'ai jamais trouvé le temps et le courage de les finaliser...
- Des marges brutes excellentes : 61% sur le Q4 (mix qui est en prépondérance en produits à valeur ajoutée, seulement 9% de 10x15 qui ne représente d'ailleurs que 18% du CA sur l'ensemble de l'année), en amélioration sur 2007 et très au dessus de leurs propres attentes. Sur l'ensemble de l'année, la marge brute s'est établit à un bon 55%, stable sur les années précédentes ce alors que Shutterfly a abaissé ses prix sur le 10x15 (15c tarif de base, et jusqu'à 10c dans le cadre d'un pack).
- Très bonne mécanique de création de valeur par client : quelques calculs à partir des chiffres que donne Shutterfly permettent d'arriver à un COCA (cost of customer acquisition) inférieur à 30$ pour 45$ de marge brute annuelle la 1ère année : l'acquisition client est donc payée en 9 mois. C'est mieux que VistaPrint dont le payback est d'environ 1 an. En effet, le client VistaPrint acquis (autour de 30$ également) ne reviendra ensuite que 0,7x/an en moyenne, pour un panier à 35$ environ. Le fait est qu'on surconsomme du service photo quand on a de très jeunes enfants et qu'on est moins consommateur après. Sur une période de 5 ans, en prenant un total de 12 commandes (et non pas 15), le client Shutterfly rapportererait environ 180$ de marge, le client Vistaprint va lui générer 100$ de marge brute (4,5 commandes de 35$ à 63% de marge). Sur cet aspect, on peut en déduire que le client acquis crée 2 fois plus de valeur que VistaPrint...mais Shutterfly en acquière 10 fois moins...
- Shutterfly est devenu free cash flow positif sur l'année ! Pour la 1ère fois, c'est une vraie bonne nouvelle qui a de quoi réjouir les investisseurs. Ils passent de -2M$ en 2007 à +15M$ en 2008. Pour rester dans la partie cash, Shutterfly dispose d'environ 50M$ de trésorerie et n'a quasiment aucune dette. Une balance sheet solide en conséquence.
- Shutterfly se met en ordre de combat pour une année 2009 qu'ils entrevoient compliquée : ils anticipent une baisse du CA entre 2 et 11% (on est encore une fois très loin de la dynamique de VistaPrint qui annonce une nouvelle forte croissance) mais ils mènent les initiatives nécessaires pour réduire les coûts - lay off de 5% des effectifs, fermeture du laboratoire historique de Hayward (que j'avais visité) et transfert dans des usines aux coûts inférieurs (Charlotte, North Carolina et Phoenix, Arizona) - afin d'une part de rester rentable et d'autre part d'être de nouveau free cash flow positif. Ils ont également signé des accords de licensing de leurs technologies, ce qui contribuera à apporter quelques millions de $ de revenus avec très peu ou pas du tout de coûts associés.
Au final, l'impression qui s'en dégage est qu'on a une société de très bonne qualité, financière comme opérationnelle, mais qui opère dans une niche de marché aux economics attractifs mais à faible croissance intrinsèque. Un bon acteur comme Shutterfly sait rendre sa base de clients très rentable en la faisant revenir souvent avec des produits à forte marge. Payer aujourd'hui 5 ou 6 fois l'EBITDA dans ce contexte est déja bien, ce qui correspond à environ 0,7 - 1x le CA 2009 (EBITDA 2009 entre 14 et 18% des revenus), ce qui nous mène à une valorisation de l'ordre de 175-210M$, niveau approximatif où Shutterfly est actuellement.
En définitive, j'estime que Shutterfly est aujourd'hui "à son prix" !
J'en profite pour revenir sur Amazon : à 24 fois l'EBITDA, pour une croissance du CA de l'ordre de 20% (et des profits de 10% au dernier trimestre), c'est beaucoup trop cher actuellement en Bourse, même si c'est une très très belle société !
A 11 fois l'EBITDA, avec une croissance du CA supérieure à 30% (les earnings ont eux cru de plus de 60% au Q4), une position concurrentielle unique, j'estime que VistaPrint a par contre encore du potentiel devant elle.
Quant au dernier que j'ai cité dans ce post, Netflix, il est actuellement valorisé 12 fois l'EBITDA, ce qui me paraît un peu cher. La croissance aussi bien du CA que des profits est inférieure à VistaPrint et il me semble qu'il y a aussi un peu plus d'interrogations stratégiques avec une concurrence plus forte sur la VOD (Apple, Amazon, etc).
Comments