En février-mars 2008, j'avais fait quelques posts sur le "repeat business", indicateur qui exprime le nombre de fois où un client revient acheter sur le site. C'est en effet un indicateur clé, gros driver de profitabilité.
Cependant, il y a une réalité en eCommerce que peu ont encore vraiment assimilé : la récurrence du client chez un e-commerçant donné est généralement faible, bien plus faible que dans le monde physique.
Prenons un cas extrême, celui d'Amazon, le plus grand hypermarché du web qui existe, autrement dit le lieu le plus propice au repeat business vu d'une part l'incroyable nombre de rayons, de références produits, mais également vu la qualité de service global (ergonomie, facilité d'achat avec le 1-click, fiabilité, etc) d'autre part.
Mes estimations me donnent un nombre moyen de commandes par client sur Amazon de 5/an, seulement. Chaque commande passée chez eux ne rapporte pas grand chose, en moyenne 10$ (alors que le coût d'acquisition d'un client pour eux doit se situer entre 20 et 30$, mes estimations), mais comme le client revient 5 fois, Amazon devient rentable et bien plus que ses concurrents généralistes.
Si un généraliste comme Amazon, proposant environ 10 Millions de produits, de surcroit excellentissime question site et service, voit revenir ses clients 5 fois par an en moyenne, vous pouvez imaginer ce qu'il en est pour les e-commerçants spécialisés dans tel ou tel domaine ! Les opportunités pour la clientèle de revenir sont mécaniquement très largement plus faible.
Donnons quelques exemples, bien réels et concrets, mais anonymes pour ne pas gêner qui que ce soit !
Une grande marque-retailer spécialisée dans un segment particulier du prêt-à-porter. Alors que dans ses magasins le client avec une carte de fidélité revient en moyenne 5x par an, le taux de récurrence sur son site n'est que de 0,2x/an, c'est à dire que seulement 1 client sur 5 au 1er janvier d'une année revient dans l'année en cours.
Un grand e-commerçant, leader de son secteur dans l'équipement de la personne. Récurrence : 0,4x seulement. Dans le monde physique, la récurrence est de 6 environ.
Encore un exemple, un e-commerçant dans le secteur des loisirs, qui a une récurrence de 0,35x/an, ce alors que dans le monde physique il y a en moyenne 5 ou 6 commandes par an par client.
VistaPrint, leader incontesté de son marché d'imprimerie en ligne, et malgré une gamme de produits extrêmement large (y compris maintenant des tee-shirts), malgré un taux de conversion excellent à 6%, a une récurrence d'environ 0,6x par an (chiffres qu'on peut déduire d'informations publiques)
Allez, un dernier pour la route, un e-commerçant leader de son secteur, sur des produits de grande consommation, pour lequel dans le monde physique un client moyen doit bien faire une bonne demi-douzaine de commandes par an. Il n'est qu'à environ 0,5x.
Où que je regarde, à l'exception de l'hypermarché web type Amazon, je ne vois que des récurrences de 0,2 à 0,5x par an environ pour des spécialistes d'une catégorie, fut-elle large. C'est-à-dire que seulement un client sur 2 à un client sur 5 va revenir dans l'année acheter sur le site en question.
Evidemment, il faut toujours benchmarker par rapport à la catégorie. Pour prendre des exemples extrêmes l'achat d'un écran plasma ou d'une voiture n'a évidemment pas la même récurrence que celui d'une baguette ! Mais globalement, si je devais avancer une estimation, je crois que la récurrence sur un site e-commerce donné doit être compris aujourd'hui entre 1/10 et 1/20ième du nombre de commandes que fait le client moyen par an dans le monde physique. C'est donc très faible, extrêmement faible.
Quand je vois des entrepreneurs e-commerce qui ont un repeat faible et qui me disent, pour me rassurer, qu'avec un bon CRM ils peuvent doubler ou tripler la récurrence, j'avoue que je n'y crois pas du tout, car il y a de très bonnes raisons objectives à ce que la récurrence en e-commerce soit et restera très faible pour un site donné.
La mécanique est imparable : aujourd'hui, l'e-consommateur (1 personne sur 2 donc) passe environ 10% de son budget par le canal web et 90% par le canal physique (voir ma note ICI, où j'expliquais que les 5% de part de l'e-commerce en France se décomposait entre 50% de consommateurs qui passent 10% de leur budget sur le web).
Prenons un secteur sur lequel il y a environ, pour simplifier, 10 commandes/an/client, en moyenne et au total. C'est donc déja un secteur avec une récurrence assez importante. Ce pourrait par exemple être le cas d'un grand généraliste de la maison et de la décoration proposant une gamme de produits très large couvrant tout le spectre de l'équipement de la maison. En moyenne, le client va passer actuellement 10% de ses achats sur le web, soit 1 commande par an seulement.
Et ce n'est pas tout, alors que dans le monde physique le consommateur a peut-être une dizaine de grands magasins d'équipement de la maison accessibles facilement par lui (dans sa zone de chalandise), il y a plusieurs dizaines voire centaines d'e-commerçants de ce domaine, certains très spécialisés dans tel ou tel segment, accessibles par un simple clic de souris. Le consommateur ne se privera d'ailleurs pas, quasiment à chaque fois, de faire un tour du marché, de voir les produits offerts, d'aller comparer les prix; c'est si facile, faire un tour du marché en quelques clics, et autrement plus simple que dans le monde physique et, de fait, ça pousse à l'infidélité !
En conséquence, cette petit commande passée sur le web en moyenne, pourra être splitée entre un très grand nombre d'acteurs web. Et, en conséquence, avoir déja une récurrence de 0,5, c'est aussi avoir 50% de part de marché chez ce consommateur pour ses dépenses de la catégorie via le web, ce qui est objectivement déja beaucoup vu la concurrence pléthorique et la facilité d'infidélité ! Si l'e-marchand généraliste de ce secteur a une récurrence de 0,3, il pourra certainement s'estimer honorable !
Alors, amis entrepreneurs e-commerce, voici un petit framework très quick& dirty, pour estimer ce que sera, à terme, une "bonne" récurrence client sur votre site. Il va vous falloir suivre.
- 1) Estimez précisément la taille globale du marché que vous visez avec vos produits, en € comme en nombre de consommateurs intéressés. Evidemment, plus vous êtes un spécialiste sur une catégorie ou un segment pointu, plus c'est facile. Quand vous êtes un généraliste ou un multi-spécialiste, c'est plus compliqué. Imaginons que votre secteur "pèse" 500M€ annuellement (donc un segment de taille intermédiaire). S'il concerne 2 millions de personnes en France, c'est donc qu'en moyenne chaque consommateur consomme pour 250€ au total de produit de la catégorie par an.
Point très important : si le chiffre de 250€/an/consommateur est une moyenne "vraie", cela ne reflète pas ce que dépense en moyenne ceux qui ont vraiment consommé, car certains ne consomment pas dans l'année en question. Si seulement un consommateur sur 2, qui est dans la cible, achète par an, cela veut donc dire que la vraie dépense moyenne par consommateur ayant consommé est de 500€/an. Il faut donc distinguer la taille du "groupe" de population intéressé par la catégorie, et le nombre de personnes qui achètent par an.
A titre d'exemple, le marché de l'automobile en France est de 30Mds€ environ, il y a 30 millions d'automobilistes mais 12 millions seulement qui achètent des voitures neuves, donc la dépense moyenne annuelle en voiture neuve est de 2500€/an pour le groupe concerné. Ce chiffre est bon, mais la réalité est aussi que 2 millions de personnes par an achètent une voiture à environ 15,000€ de moyenne.
Ceci étant, si vous aviez dans votre base les 12M d'automobilistes concernés et que vous vendiez toutes les voitures, et que vous étiez seul sur le marché, en moyenne, cette base rapporterait bien 2500€/an/client. Et la récurrence serait de 2500/15000, soit de 0,17 par an.
Aussi, le framework ne marche vraiment que pour des bases "stables", donc à terme.
- 2) Part du web actuelle : on peut partir du principe qu'à terme 80% des consommateurs intéressés passeront 25% de leurs achats d'une catégorie sur le web. Dans notre exemple, on aura donc en moyenne par consommateur de la base pour 25% de 250€ sur le web, soit 63€.
- 3) Avoir pour objectif de prendre 50% des achats d'un consommateur sur le web dans la catégorie donnée (si le segment est pointu) est raisonnable en étant très bon, et 70% très agressif mais possible si vous devenez vraiment LE référent de la catégorie. Ainsi, en moyenne, votre base doit vous rapporter entre 32 et 45€ par consommateur.
- 4) Récurrence : si vous avez un panier moyen de 80€ par exemple, vous pourrez viser dans quelques années 32/80 si vous êtes bon, soit 0,4x/an et 45/80, soit un peu moins de 0,6x/an si vous êtes le référent excellent de la catégorie.
Voila, de façon très claire, viser une récurrence supérieure à 1x/an est de l'utopie pure et simple pour l'immense majorité des e-commerçants, sauf à être un très grand généraliste proposant une immense gamme de produits ou être dans un secteur jouissant d'une très grande récurrence intrinsèquement (ie supermarché alimentaire) !
La part de marché du canal e-commerce de 25% seulement à terme, la profusion de concurrence dans ce canal, et la facilité pour le consommateur d'aller fureter à droite et à gauche et de comparer, ces 3 choses font qu'il sera tout simplement très difficile de voir le client revenir tous les ans. Il existe bien entendu beaucoup de cas particuliers, mais j'exhorte à rester très réaliste et à bien analyser le contexte général avant de prendre des hypothèses.
Bien évidemment il faut la travailler pour l'optimiser cette récurrence, en faisant tout pour que le client revienne (proposition commerciale adéquate, niveau de sevice excellent, push marketing), mais il ne faut pas non plus rêver !
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