Au total, si je mets bouts à bout les différentes levées ou opérations que j'ai faites pour Photoways et Inspirational Stores, on dépasse les 50M€...
Et tout ça m'a appris une chose, la "valo" utilisée pour l'opération ne doit pas être l'élément principal, sauf quand on vend définitivement sa société et qu'on en sort. Dans ce cas, et uniquement dans ce cas, il n'y a évidemment qu'un but à rechercher, vendre le plus cher possible.
Combien de fois ai-je entendu comme 1ère question lors de l'évocation d'une levée, et ce aussi bien d'entrepreneurs, de leveurs de fonds que de VCs, "et la valo, elle est de combien" ?
Totalement irrelevant pour moi ! Certes, ça fait plaisir de pouvoir dire "j'ai levé 10M€ sur une valorisation de 50M€", sous entendu que ma boite vaut 50M€, mais franchement le but dans les affaires n'est pas de se monter le bourrichon mais bien de faire des affaires fructueuses, de gagner de l'argent ET d'en faire gagner aux autres.
Premier point, ayez toujours en tête que beaucoup de gens, dans les affaires, ne pensent pas "total system" comme j'aime à le dire, autrement dit ne pensent pas vraiment à optimiser la valeur globale créée, mais pensent simplement à une chose : à gagner pour eux, rien que pour eux, et tant pis ce qu'il adviendra pour vous.
Gagnez et faites gagner, ne cherchez pas à gagner sur le dos des autres ! Ayez toujours ça en tête. Les stratégies court-termistes, ça peut marcher...à court terme !
Amis entrepreneurs, fondamentalement, je peux vous assurer que dans le cadre d'une levée de fonds, non seulement le coeur du problème n'est pas dans la "valo", mais de surcroit chercher à la maximiser isolément du reste ne va tout simplement pas dans le sens de vos intérêts réels. Ceux qui vous disent le contraire sont probablement plus des flatteurs d'ego qu'autre chose et cherchent leur intérêt, pas le vôtre.
Ce que je vous dis là est le fruit de mon expérience, et si dans le passé je n'ai pas toujours agi de la sorte, j'en ai aussi eu les conséquences.
Commençons par quelques évidences ou vérités pas vraiment agréables à entendre :
- Dans une société en croissance qui a besoin de cash, celui qui est le roi, c'est pas celui qui a 80% du capital mais celui qui a du cash ! En clair, ce ne sera pas vous mais les financiers, même si vous avez gardé la majorité voire 80% du capital.
- Exemple marquant : les fondateurs de Sarenza, après une levée sur une valo mémorable en août 2006 (20M€, pour un CA annuel de 1M€ à l'époque), furent 6 mois plus tard proprement mis à la porte par leurs investisseurs. Lire ICI l'article Neteco.
- Les VCs sont des hommes d'affaires, ils sont la pour gagner de l'argent, cela est sain et normal, mais comme toutes catégories d'hommes d'affaires il y en qui sont scrupuleusement éthiques (la plupart) et d'autres moins. Il y en a ainsi un dont le surnom est "le musicien" en raison des nombreux coups d'accordéon dont il a le secret.
- Les leveurs de fonds prennent une commission sur le montant de la levée de fonds (entre 2 et 6% selon votre aptitude de négociation, la période et d'autres paramètres dont je pourrais vous parler). Plus ils lèvent, plus la commission sera importante. Or, la taille de la levée, donc la commission du leveur, est fonction de la valo ! Difficile de lever 3M€ sur une valo de 3M€, mais lever 5M€ sur une valo de 10M€, ça peut passer.
- Plus la valo utilisée est élevée, plus les attentes des investisseurs sont élevées. Qui dit attentes élevées, dit risque de déceptions et de frustrations, et donc de relations difficiles, ce qui n'est jamais bon pour les affaires.
- Une valo trop élevée peut être un vrai frein pour des tours de table ultérieurs.
- Si la valo trop élevée, et la taille de la levée, a plus tard généré des frustrations, des tensions, voire des renégociations difficiles, l'intemédiaire - le leveur de fonds - aura lui pris sa dime depuis longtemps. Ainsi, le 1er et le seul pénalisé, c'est vous. En d'autres termes, vos intérêts ne sont pas toujours alignés avec ceux du leveur. Je veux bien être conseil (bénévole) en leveurs de fonds, je commence à bien comprendre le système ! Relire ma note ICI sur la valeur ajoutée bien réelle du leveur de fonds que nous avions utilisé l'année dernière.
Et continuons par quelques autres vérités neutres :
- Les VCs rêvent de faire du x5, il faut qu'ils puissent rêver de ce multiple pour payer les inévitables pots cassés qu'ils auront forcément, mais si bien concrètement ils font sur un dossier du x3 à la sortie, ils seront déja très contents. Et au dela, ils seront heureux de vous reverser une bonne partie de la plus value additionnelle.
- Il est bien plus facile de faire payer a posteriori qu'a priori. C'est même un no brainer. Celui qui fait du x5 grâce à vous ne devrait avoir aucun problème à vous rétrocéder une partie de la plus-value. Il restera encore largement gagnant.
- Moins votre valo est élevée, plus vous aurez d'investisseurs potentiellement intéressés, donc plus de choix, plus de facilité pour négocier les clauses, et le travail du leveur (si leveur il y a) est aussi moins difficile (vous pouvez alors mieux négocier avec lui, je peux même servir d'intermédiaire). A noter que quand IS a fait son étonnante levée de 10M€ en plein coeur de la crise financière en septembre dernier, on aurait sans doute pu recevoir une grosse douzaine de term sheets, soit 2 fois plus que ce qu'on a reçu, avec une valo moins élevée. Cela nous aurait peut-être permis de négocier autre chose. Au final cependant, entre OTC (Jean Marc Palhon) et Atlas (Fred Destin), on a des top guns et nous ne regrettons rien, mais si c'était à refaire, on ferait différemment, quitte, à prendre les mêmes. Je me rappelle d'un VC (lecteur de ce blog) me disant "top modèle, top équipe, mais vraiment trop cher". Grosse erreur...
- Même en étant minoritaires, les VCs doivent se mettre, et c'est normal, des clauses de protection comme s'ils étaient majoritaires !
Ce qui m'amène, pour vos levées de fonds, à vous proposer d'agir bien pragmatiquement de la sorte :
- Soyez souple, voire très souple sur la valo. Pour éviter la langue de bois, je vais vous le dire clairement, mettez la volontairement basse. Soyez réaliste, même si vous êtes enthousiaste sur votre idée : votre business a peut-être un gros potentiel, il vaudra peut-être cher demain, mais à cet instant t, c'est surtout un songe en devenir !
- Négociez de façon intransigeante un deal win/win où l'investisseur vous alloue des actions (stock options) en fonction de la performance (en TRI et/ou en multiple) que vous lui avez concrètement donnée. Vous avez ses attentes plus haut. A x3 et 20%/an de TRI, il sera très heureux déja. Pour parler clair, créez de la valeur, et négociez durement un juste retour de cette valeur
- Négociez pied à pied les clauses essentielles du pacte. Je l'ai déja dit, accompagnez vous d'un bon avocat spécialiste de la question. Si vous en cherchez un, j'en ai (Erwan, c'est vous). C'est strictement essentiel.
Au final, vous allez avoir un deal équilibré et motivant pour tous, des intérêts alignés entre tous, des sources de tensions et de conflits en moins, etc. Et faire des affaires dans ce contexte là, c'est quand même vraiment plus agréable.
Je ne crois pas que les nombreux VCs qui me lisent iront à l'encontre de ceci non ?
En ce qui me concerne, il y a une activité que je trouve passionnante et que j'entreprends sur 3 dossiers en parallèle d'Inspirational Stores :
- Travailler sur des dossiers e-commerce présentés par des entrepreneurs sur lesquels il y a un gros travail d'ingénierie économique et de repositionnement à efectuer pour en faire des modèles gagnants à la rentabilité pérenne. Je l'ai dit, je le redis, les voies de le rentabilité en e-commerce sont très étroites (pour la volumétrie, c'est par contre beaucoup plus simple, comme dans le monde physique, vous cassez les prix, vous arrosez en marketing, et en général ça marche !). Incroyable mais vrai, j'ai déja vu un entrepreneur tout heureux de faire du x2 en CA tout en perdant 2M€, et en me disant "faut pas qu'on m'attaque sur mon business plan" ! Dans ce cas, si il y en a au moins un qui pouvait se frotter les mains en coulisses, c'était son leveur de fonds, par ailleurs aussi actionnaire chez lui ! Plutôt que d'alimenter le fond de commerce de leveurs de fonds parisiens, il est plus intéressant d'imaginer de beaux modèles à la rentabilité pérenne.
- Chercher des capitaux dans le framework ci-dessus, avec des investisseurs intelligents cherchant un deal équilibré et win/win !
Tout à fait, et ce qu'il faut également retenir, c'est qu'un tour de financement entraine "mathématiquement" une dilution de 20% à 30% en moyenne (il y a bien sur des cas particuliers).
La dilution sera plutôt dans le bas de cette fourchette pour des tours de B.A. et plutôt dans le haut de cette fourchette (voire au-delà !) pour des tours de VCs.
Une manière très simple de calculer votre valorisation est donc la suivante : [valo pre-money de votre société] = [montant levé x2] soit également [valo post-money de votre société] = [montant levé x3]. Ce qui correspond à une dilution de 33% ! (sans prendre en compte les effets liés au plan de stock-options ou aux actions de préférence...)
Ils ne vous le diront pas, mais c'est le premier calcul que vont faire les investisseurs, avant de se pencher sur des modèles de TRI et sur votre dossier !
Mais... il faut que le montant levé soit cohérent avec la maturité de votre société ! (il est rare de lever 10m€ en seed ou tour A, et rare également de lever 2-3m€ en tour C ou D...)
Emmanuel
Posted by: emmanuel | May 27, 2009 at 05:41 PM
Wow ! Bravo pour ce billet et merci pour les conseils pleins de bon sens.
/Fred
Posted by: Fred Cavazza | May 27, 2009 at 10:30 PM
Merci Fred ;-)
Posted by: Michel de Guilhermier | May 27, 2009 at 11:23 PM
En résumé, ne pas attacher trop d'importance à la valorisation d'entrée mais négocier qu'à la sortie, on reçoit une partie de la plus value faite par les VC. La préoccupation de l'entrepreneur est aussi avec sa dilution, la perte de pouvoir associée alors que les VC sont surtout préoccupés de leurs plus values. Comment concilier les deux ?
Posted by: MICHELN | May 28, 2009 at 06:15 AM
Oui, mais négocier plein de choses, pas seulement la sortie !
Quant à la perte de pouvoir je le redis, dans une société qui a besoin de cash, celui qui a le pouvoir c'est celui qui a le cash, that's all !
Et au delà, même s'il n'y a pas besoin de cash de façon absolue, garder le pouvoir n'est pas toujours l'objectif.
Posted by: Michel de Guilhermier | May 28, 2009 at 07:49 AM
Pour avoir été au coeur de Sarenza, je trouve que c'est un peu court de résumer la sortie de la société des fondateurs à la valorisation. Le pb était un pb d'associés et non de valo.
Posted by: Yoann | May 28, 2009 at 10:00 AM
Merci pour ce très bon article. Vraiment très intéressant.
Posted by: Emmanuel de Saint-Bon | May 28, 2009 at 10:41 AM
Des conseils très convaincants, et qui tombent à pic. Je vais revoir ma copie moi!!!
Merci.
Posted by: Vincent | May 28, 2009 at 11:28 AM
Salut Yoann, je ne crois pas avoir dit ça du tout ?!
Ce que je dis :
- Levée grandiose en terme de valo en août 2006, donc dilution faible.
- 6 mois plus tard, les fondateurs sont out
Conclusion : ce n'est pas la valo qui protège de quoi que ce soit !
Posted by: Michel de Guilhermier | May 28, 2009 at 11:35 AM
Un deal gagnant pour l'entrepreneur est, à mon avis, avant toute chose un deal qui le laisse libre dans la gestion quotidienne de sa société. Mieux vaut parfois être un peu moins gourmand sur la valorisation (je vous rejoins Michel) et rester maître à bord en négociant un pacte d'actionnaire un peu plus "light".
Posted by: Guillaume | May 28, 2009 at 12:01 PM
Guillaume, faut pas rêver, les VCs sont des investisseurs professionnels, il est normal qu'ils soient stricts sur les clauses et ne peuvent pas laisser faire n'importe quoi !
C'est pas parce qu'on est libre de faire des conneries qu'on a un deal gagnant !!
Le seul deal gagnant, c'est quand tout le monde, in fine, gagne de l'argent parce qu'il y a eu création de valeur !
Posted by: Michel de Guilhermier | May 28, 2009 at 12:03 PM
Bonjour,
Dans la continuité de votre billet très intéressant, pourriez-vous nous expliquer comment s'enrichir à titre personnel en développant une société telle que Photoways qui à ce jour continue à perdre de l'argent et est toujours détenue par les fonds. Merci
Posted by: Adrien | May 28, 2009 at 01:41 PM
Erreur, quand je l'ai vendue , elle etait tres rentable !
Posted by: MdeG | May 28, 2009 at 01:55 PM
Bonjour,
je ne comprends pas du tout le point 3 : "Moins votre valo est élevée, plus vous aurez d'investisseurs potentiellement intéressés, donc plus de choix, plus de facilité pour négocier les clauses...".
Cela signifie-t-il que vous avez exigé une valo trop élevée ?
Comment doit-on comprende votre réflexion sur la grosse erreur de ce VC qui trouvait la valo trop élevée ?
Merci d'avance pour vos réponses.
Posted by: Clarisse | May 28, 2009 at 05:46 PM
Super ! Merci Michel. Article bookmarké !
Posted by: Olivier Levy | May 28, 2009 at 09:56 PM
@Adrien, par ailleurs, ça vous dérangerait de ne pas changer de prénom tous les 4 matins pour dissimuler votre vraie identité ?! (Etienne, Eric, Adrien...). Surtout pour poser des questions perfides. Enfin, c'est vrai que les lâches courent les rues !
@Clarisse, je ne comprends pas la question. Je ne parle pas d'erreur du VC, je parle de mon erreur ?
Merci Olivier !
Posted by: Michel de Guilhermier | May 28, 2009 at 10:09 PM
Lors d'une levée de fonds, l'exercice du Business Plan est un incontournable. Bien différent d'un Business Plan pour un banquier ou une création de société !
Vous devez être capable de l'utiliser pour répondre aux questions qui fâchent, comme par exemple :
Qui êtes vous (vous et l’équipe) pour porter un tel projet ?
Votre concept ou votre produits sont avérés ? ou innovants ?
Vous avez des concurrents qui ont réussi ? échoué ? pourquoi ?
Qu'est ce qui fera que ce sera un succès ? un echec ?
Que ferez-vous si vous ne trouvez pas les fonds recherchés ?
Comment avez-vous fait le choix de votre mode de gouvernance ? Pourquoi ?
Posted by: Catherine BRECHIGNAC | March 19, 2011 at 06:31 PM