Avec la crise, le consommateur "trades down", c'est-à-dire que de façon générale il se porte plus vers des produits moins chers, vers les marques distributeurs, vers les formats discount, vers la restauration à petit prix, etc.
Ainsi, McDonald's se porte à merveille (+7% actuellement à périmètre comparable, dans le jargon on parle en S3, "same stores sales"), Walmart résiste bien mieux que les autres distributeurs, le hard discount progresse, les boulangeries proposant des formules sandwich ne connaissent pas la crise, etc.
Chemin faisant, le consommateur découvre aujourd'hui que pour un prix parfois bien moindre, il accède à des produits/des services de qualité honorable voire très bonne et comparable à ce qu'il payait avant bien plus cher.
La grande crainte aujourd'hui des marques et des distributeurs haut de gamme, c'est que lorsque les beaux jours économiques reviendront le consommateur ne fasse pas lui le chemin inverse, habitué qu'il est devenu à avoir de la qualité pour moins cher. "L'image de marque" ne suffit et ne suffira plus pour faire vendre, le consommateur ayant expérimenté qu'il pouvait parfois avoir aussi bien sans passer par une marque haut de gamme et un prix élevé.
Et, dans le même temps, de façon amusante, les distributeurs discount ont peur que les consommateurs acquis durant la crise les quittent pour "trader up" quand les beaux jours reviendront. Bien que Walmart résiste bien à la crise, son cours de Bourse ne s'envole pas en raison d'anticipations modestes sur l'après crise.
De fait, je crois que les 2 camps ont raison, et de nombreuses marques et distributeurs ont du souci à se faire, car il va leur falloir se repositionner juste, et vite.
En transversal de toute cela aux cours de ces années, la pénétration généralisée d'Internet - avec ses comparateurs de prix et ses moteurs de shopping, ses forums, ses réseaux sociaux, etc - ainsi que la progression de l'Internet mobile, qui permettent aux consommateurs de s'enquérir en permanence et en tout lieu de l'intérêt, de la qualité globale et de la compétitivité d'une offre fournisseur.
Ce qui me semble acquis, c'est qu'au cours de ces années de crise, le consommateur sera devenu bien plus exigeant, sur la qualité, sur le service, sur le prix, mais aussi sur l'information transmise et sur les valeurs portées par la marque ou le distributeur.
Il n'acceptera plus de payer une fortune pour des produits "moyens", de même qu'il n'acceptera plus de mauvais produits, quel que soit leur prix; de même, il se méfiera des marques avec un service réputé faiblard et sans respect du consommateur, ce quel que soit le rapport qualité/prix des produits proposés. Ce n'est pas seulement le "bling bling" qui est mort, mais aussi le "trop cheap", le "sans service", le "sans valeur", etc.
Exigence large, généralisée et grandissante du consommateur, voila le phénomène de fond qui va amplifier les écarts entre les bons élèves et les autres, car être bon partout, c'est extrêmement difficile et ça ne s'obtient pas d'un coup de baguette magique. Et à l'heure des forums et des réseaux sociaux, il ne suffit pas de proclamer ceci ou cela pour séduire le consommateur, il faudra aussi réellement assurer derrière pour être à la hauteur de ses promesses et de ses claims ! Si je connais certains e-commerçants qui ont fait pression sur des forums consommateurs (bravo l'éthique) pour faire supprimer les avis négatifs, il sera demain impossible de tout contrôler.
Le consommateur privilégiera ainsi les sociétés qui offrent bien tangiblement des produits et des services de qualité pour une excellente "value for money", ce qui ne veut pas dire le prix le plus bas (l'iPhone et Nespresso sont la pour le rappeler), avec un fort relationnel client et une communication transparente, le tout sur un fond de vraies valeurs.
Positionnement et merchandising adéquat, ouverture, transparence et éthique, proximité et relationnel clients, cela fait au final un sacré programme de fond, difficile, pour les marques et distributeurs leaders de demain. Mais au final certainement des écarts de CA et de rentabilité de plusieurs milliards pour une multinationale.
Certaines marques et distributeurs se retranchent actuellement derrière la crise pour expliquer leurs mauvais résultats, demain ils devront se rendre à l'évidence, ce n'était pas seulement la crise la cause de leurs problèmes, mais également, et plus fondamentalement, un décalage grandissant avec les attentes et les besoins des consommateurs.
Le problème c'est qu'en sortie de crise les munitions financières sont réduites, et il n'en restera donc plus beaucoup à ces entreprises décalées pour entreprendre un lourd travail de fond et de repositionnement (produits, image, service, coûts, etc) qui leur permettrait de s'adapter à la nouvelle donne consommateur. Et les acteurs qui dès aujourd'hui n'investissement pas pour adapter leur offre et coller aux attentes des consommateurs se mettent hors jeu.
Probablement, celles qui se révèleront décalées disparaîtront demain assez rapidement. Les mauvais retailers pourraient se faire racheter une bouchée de pain pour leurs emplacements physiques, mais les marques décalées, celles qui n'auront pas su avoir l'offre, le service et l'image adéquats, n'ont juste aucun avenir et disparaîtront. Il sera sans doute plus facile de créer une marque ex nihilo que d'en reprendre une avec un passif d'image, de produits et de valeurs.
Comme vous pouvez l'imaginer, nous rencontrons chez Inspirational Stores de très nombreuses marques pour d'éventuels partenariats e-commerce. Bien souvent, je ne peux que constater une sacrée "auto satisfaction" sur la supposée force de la marque et son attractivité. C'est même presque amusant, mais aussi touchant, de voir autant d'assurance dans ce monde que je vois changer à grande vitesse...
Auto-satisfaction, ou besoin de se convaincre, ou envie de se faire plaisir, ou inconscience, je ne sais pas mais ce que je sais, c'est que cette attitude est dangereuse voire mortelle dans le nouveau contexte consommateurs qui se développe actuellement. Elle porte en germe la future chute.
Car une marque ce n'est ni un concept abstrait ni un actif impérissable ! Fondamentalement, c'est le produit, le service, l'histoire et les valeurs qui avec le temps font une marque, toutes choses qui doivent s'adapter en permanence aux besoins, aux goûts et aux comportements de consommateurs. Les grandes marques, qui durent, ont compris qu'il fallait régulièrement se réinventer. Relire ICI mon post de septembre 2008 et quelques quotes du CEO de PepsiCo.
Il y a 30 ou 40 ans, il fallait changer son magasin et son merchandising tous les 7 ou 8 ans. Il y a 20 ans, c'était tous les 5-6 ans, il y a 10 ans, tous les 3-4 ans. Mais d'internet découle aujourd'hui un monde qui va encore plus vite, où les consommateurs sont de plus en plus exigeants, parfaitement informés, avec un accès facile et immédiat à une offre pléthorique. Il faut donc être encore plus réactif et se remettre en cause plus régulièrement.
Et vu du côté fournisseur, Internet offre une sacrée opportunité également : pour se développer dans le passé, les marques devaient construire patiemment un réseau de distribution physique, programme long et difficile. Aujourd'hui, en e-commerce, le CA obtenu est très largement fonction de l'investissement en e-visibilité, ce qui va de fait bien plus vite que de construire une visibilité physique.
Ainsi, les possibilités qu'Internet offre aux consommateurs et aux marques, choix quasi infini, comparaison, immédiateté, visibilité, etc, conduisent mécaniquement à ce que beaucoup d'acteurs restent sur le carreau et que d'autres émergent encore plus vite que par le passé.
Les marques sont mortes, vive les marques !
Et, comme toujours, pour s'adapter, il faut constamment rester avec humilité et pragmatisme à l'écoute des consommateurs et appréhender leurs nouvelles attentes avec finesse.
Je suis une fois resté scié lorsque le CEO d'une marque qui, après un échec cuisant de développement en Allemagne, me donnait la raison suivante "Michel, le problème c'est que les allemands ils n'ont pas compris notre marque" !
Le marketing de l'arrogance, jusqu'au bout des ongles...qui pouvait marcher dans le passé !
Ce même acteur qui déclarait que ses clients internet n'étaient pas des "vrais clients" de la marque !
Dans le fond, si beaucoup de marques veulent aller en e-commerce, "parce que c'est la tendance et c'est l'avenir", il y en a assez peu qui en ont vraiment compris les risques, les opportunités, les implications et les exigences.
Part II mercredi : des exemples de sociétés (marques et distributeurs) bien positionnées pour demain, et des recommandations concrètes pour ne pas louper le virage.
Cette arrogance, à laquelle vous faites référence, ne me semble pas réduite aux seuls CEO de marques, mais hélas, partagée par beaucoup de monde : analystes, banquiers, traders, économistes, syndicalistes, bloggers, hommes politiques.
L'humilité requise face à l'inconnu et aux changements est devenue une denrée rare. Trop souvent les voeux (même pieux) engendrent les raisonnements qui conduisent ensuite à la prise de décision. D'où des déceptions cuisantes par la suite.
J'y vois un phénomène de société très largement répandu. Et quand on a tort, on cherche des explications farfelues ou on accuse les autres. Dans les cas extrêmes, le déni va jusqu'à imaginer des complots.
Ca peut faire sourire, mais récemment j'ai lu sur certains blogs de trading que la grippe H1N1 avait été conçue en labo pour sauver l'industrie pharmaceutique. Pathétique.
Posted by: Fut.bot | June 21, 2009 at 11:11 AM
@Fut bot, ce n'est pas totalement faux, mais 2 choses :
- je ne voulais pas lancer ici un vaste débat sociétal, mon point était spécifique et économique.
- il ne s'agit pas tant d'humilité devant l'inconnu que d'humilité devant le changement ! Il est plus facile de se dire que rien ne change que d'accepter le changement et ce qu'il implique comme remise en cause.
Posted by: Michel de Guilhermier | June 21, 2009 at 11:38 AM
Michel,
revenons 5mn aux hommes car ce sont eux qui forment in fine l'entreprise. Cette résistance au changement que vous dénoncez, n'est elle pas aussi liée aux places dorées qu'occupent certains cadre de world companies grassement payés et qui n'ont d'autre objectif que de préserver leur job le plus longtemps possible ? Conflit de génération? Pour ma part, je constate que si je me tiens pas au courant régulièrement de ce qui change autour de moi, je suis très vite largué (en fait même en le faisant je suis largué!). Je suppose que cela est le cas pour d'autres mais combien l'avouent et se donnent les moyens de combler les écarts...?
Posted by: Brice | June 21, 2009 at 07:56 PM
@Brice, l'essence du post n'est pas de dénoncer la résistance au changement mais bien de pousser à sentir les modifications dans le comportement et les attentes des consommateurs.
Sur votre point, très franchement, non, ce n'est pas lié je crois aux positions dorées et aux salaires de certains.
Je crois plus simplement que beaucoup n'ont pas une très grande capacité à sentir les changements et appréhender les cycles.
Posted by: Michel de Guilhermier | June 21, 2009 at 10:59 PM
Merci de partager cette excellente analyse.
Qlq commentaires sur le leadership d'abord...
Trop peu d'Executives ont ce sens de l'observation et de l'analyse que vous partagez ici. Le manque de clairvoyance conduit a des prises de decision / d'adaptation qui vont a contre courant des marches. Trop d'entreprises leaders d'un temps ont ignore les vrais desirs et attentes des consommateurs (GM, Starbucks...). Je pense que l'Executif de nombre d'entreprises fait preuve de trop d'arrogance, voulant (re)eduquer le consommateur, et oubliant de l'ecouter d'abord. Il y avait un tres bon papier du Harvard Business Review qui remettait en cause certaines "valeurs" eduquees aux etudiants MBA (http://twitter.com/fredkzk/status/2031385284 le papier complet n'est plus accessible helas).
Voici une stat qui illustre les failles communes des leaders http://cli.gs/top.leader.flaws
Now this being said et pour revenir au sujet de ce post, j'ajouterai que la crise a forcé les consommateurs a revoir leur mode de consommation en operant des depenses plus terre a terre, qui ont un sens (acheter bio, fair trade, local, eco, hors fantaisie...) (au final c'est un peu comme la fin d'une guerre qui pousse le bouton "reset"). Il s'agit d'un changement fondamental, structurel plus que conjoncturel. Ceci a donc un impact long terme.
Les gros perdants sont les marques decallees du marche qui ne reverront jamais la masse totale de clients perdus pendant la crise. Certes une partie reviendra aux sources, mais les marques comme Starbucks vont devoir travailler encore plus dur pour s'adapter et reseduire le consommateur perdu.
L'acces au credit est maintenant plus difficile car davantage reglementé, jamais les marques comme GMC, Ford ou Hummer retrouveront leur niveau d'actvite d'avant crise (le prix de l'essence n'aidant pas).
La fin de la crise ne va pas couper le formidable elan des Toyota Hybrid par example (certes un essouflement est plus que probable). La fin de la crise ne va pas deteriorer les fondamentaux de McDo qui sert un cafe honnete mais bien moins cher que chez SBUX. Parmis tous les clients que McDo a pris a SBUX, seulement une portion retournera aux origines plus fantaisistes. A grande majorite des nouveaux clients acquis par Amazon le sont pour de bons (si le service se maintient).
A la reponse "que va faire le consommateur", je dis qu'il a deja fait l'essentiel du changement (vers des depenses plus rationnelles) et qu'il va y rester fidele dans sa grande majorite.
Posted by: Fred | June 22, 2009 at 02:31 AM
Merci pour cette analyse, très intéressante.
Par contre, je crois peu à la fidélité des consommateurs envers une marque.
Avec cette surabondance d'offre, ils sont de mieux en mieux informés des meilleurs offres du moment (je parle de ecommerce uniquement). Surtout que de nombreux outils apparaissent et vont apparaitre pour aider le client à choisir. (exple: workit)
Posted by: Wall | June 22, 2009 at 09:04 AM
Finalement, les décennies se suivent et se ressemblent. "Probablement, celles qui se révèleront décalées disparaîtront demain assez rapidement. Les mauvais retailers pourraient se faire racheter une bouchée de pain pour leurs emplacements physiques, mais les marques décalées, celles qui n'auront pas su avoir l'offre, le service et l'image adéquats, n'ont juste aucun avenir et disparaîtront." Cela a toujours été le cas quelle que soit l'époque ou la structure du marché.
Posted by: Matthieu | June 22, 2009 at 10:40 AM
Mathieu, oui, c'est la loi de l'evolution, ceux qui ne s'adaptent pas meurent. Assez intemporel en effet. Mais ca risque d'etre plus rapide cette fois ci
Posted by: MdeG | June 22, 2009 at 10:54 AM
Wall, je ne crois pas non plus a une fidelite beate et systematique. Mais pour avoir une chance de continuer a capter le client, il faudra toujours s'adapter a ses attentes
Posted by: MdeG | June 22, 2009 at 10:57 AM
"There is no customer loyalty"
La réponse à cela est "Value for the money".
J'apprécie tes messages Michel, j'ai souvent l'impression de lire mes pensées....
Début mars 2009, j'ai fait 10 prédictions sur mon blog, je trouve intéressant de les poster ici.
Prédiction 1 : Une crise repositionnant durablement le style de vie occidental. Nous serons moins consommateurs, plus responsables écologiquement, moins endettés, encore plus épargnant. C'est la fin d'un cycle de 60 années de développement ayant abouti à l'accession par les salariés occidentaux à un confort jamais atteint dans l'histoire de l'humanité. Une sorte de pause.
Prédiction 2 : Une revalorisation de la valeur travail accompagné d'un repli sur les valeurs familiales. Un certain retour aux sources, après des excès indécents et vulgaires notamment dans des villes comme Paris, Londres, New York ou Hong Kong. Je vous conseille de revoir American Psycho pour comprendre de quoi je parle.
Prédiction 3 : Avec l'étatisation de la dette pour financer l'économie nous éviterons peut être le pire aujourd'hui, mais tôt ou tard cela entraînera un plan de rigueur qui va peut-être nous amener à connaître 10 ans de croissance très molle. (Election 2012 : le thème sera la dette)
Prédiction 4 : Je suis persuadé que le chômage des cadres Français va EXPLOSER, souvent trop chers, pas assez efficaces, pas assez rentables. Middle Manager dans les grandes entreprises, attention à vous... Se cacher dans les bureaux derrière quelques jolis Powerpoints ou tableaux Excel va devenir notablement insuffisant pour justifier son salaire.
Prédiction 5 : Forte remontée mi-2009 du brut entraînant une remontée de l'inflation, mais pas d'augmentation salariale en vu...
Prédiction 6 : Augmentation du $ par rapport à l'Euro . L'EuroZone va souffrir trés fortement de l'Europe de l'Est surendettée et de certains pays déjà en faillite. Nos subprimes à nous !
Prédiction 7 : Baisse continue des marchés boursiers (jusqu'en Août ? crystal ball please !) et une hausse en fin d'année quand le marché aura tellement dégradé les cours qu'ils deviendront des opportunités historiques de placement à long terme.
Prédiction 8 : Pas d'effondrement immobilier en France, mais au moins 25% de baisse supplémentaire en 2 ans. Ca c'est une très très bonne nouvelle.
Prédiction 9 : Une forte rationalisation des coûts de fonctionnement des Entreprises. Elles sont entrain d'apprendre à vivre de manière beaucoup plus frugale. Elles ne reviendront pas sur ce principe avant de nombreuses années. Cela va mettre durablement la pression sur toute la chaine (salariés, sous-traitants, fournisseurs, intérimaires, matières premières).
Prédiction 10 : Une redéfinition de la valeur. Le low cost est une vague de fond qui s'appliquera à tous les compartiments de l'économie. Auparavant on recherchait à acheter ce que le voisin ne pouvait pas acquérir. Maintenant la mode c'est de se vanter de dépenser moins que son voisin. Le low cost c'est IN.
Posted by: Philippe | June 22, 2009 at 05:18 PM
Eh bien voila le bref resume d'une etude fraiche de Rabobank pour confirmer ma precedente conclusion:
http://cli.gs/rabobank.food.trend.study
Le timing ne pouvait etre meilleur.
Posted by: Fred | June 22, 2009 at 08:16 PM
La génération qui arrive aussi sur le marché de la consommation et celle qui suivra aura a relever des défis incroyables, notamment au regard de l'impact écologique. Elle va grandir avec ces enjeux et devra aussi adapter son comportement d'achats. On a encore du mal à comprendre ce que cette vague de fond va révolutionner mais je partage votre avis sur la quête de sens dans la consommation alliée à un besoin de réalliance.
Posted by: laurence-aboneobio | July 12, 2009 at 08:28 PM