Pour schématiser, comme je l'ai formalisé dans un post récent, le CA dans le commerce (ou l'e-commerce) repose sur 2 facteurs, la visibilité et le merchandising (quels produits on met sous les yeux des consommateurs, à quel prix, etc), et la profitabilité dépend d'une part des marges brutes et d'autre part des coûts qu'on aligne pour être visible et pour opérer ses ventes.
Dans le physique, la visibilité c'est des magasins placés là où il le faut (artères passantes ou shopping malls), les coûts, ce sont des droits au bail, des loyers, des aménagements de magasins, des platerformes logistiques, des équipes au siège et dans les magasins, des systèmes informatiques, etc.
En e-commerce, la visibilité on l'obtient par "l'e-marketing", dont le nom même est en fait un peu confusing et misleading, autrement dit une multitude de points de contact avec les internautes via des mots clés/"liens sponsorisés", de l'affiliation, des emailings, des bannières, etc; les coûts, c'est ce qu'on payera pour cette visibilité sur la toile (l'exploitant de péage, Google, se régale !), mais aussi la technologie et le web design, la logistique/fulfilment, le call center, etc.
Avec ces 3 grands paramètres - marge brute sur le produit, coûts de la visibilité et coûts opérationnels - on formalise assez simplement les choses. Un retailer ou un e-tailer qui jouit de très bonnes marges brutes, avec des dépenses de visibilité et des coûts opérationnels extrêmement faibles en % du CA sera très rentable.
Volontairement, j'ai pris un schéma extrême, mais on peut également avoir un modèle correct (je précise bien, pas top, mais correct) avec des marges brutes très faibles, compensées en face par des coûts de visibilité faible et une structure de coûts fixes très légère.
Prenons en exemple, dans le retail, le modèle Costco (club entrepôt à la Metro) : une marge brute "exécrable" d'une dizaine de % seulement, mais des coûts de visibilité faibles car les entrepôts sont en périphérie et non pas dans de coûteux shopping malls ou des high streets, et des coûts d'exploitation extrêmement faibles (ce sont des entrepôts basiques). Faible retour sur vente, très bon retour sur investissement, Costco est un succès.
Un exemple en e-commerce, bien réel et avec qui je discute quasiment au quotidien actuellement : un business avec des marges brutes de l'ordre de 25% (sur des paniers à 50€, donc vraiment des economics très difficiles), mais aucune dépense d'e-marketing grâce à un "baron du web" qui est un vrai dieu du référencement naturel, et une structure de coûts d'exploitation réduite à sa plus simple expression (pas de bureau, très peu de personnel, etc).
On peut aussi trouver un modèle gagnant avec des coûts de visibilité très importants en raison d'emplacements aussi fantastiques que coûteux, et aussi de lourds frais d'exploitation, mais cela peut être compensé par de grosses marges brutes et une belle volumétrie obtenue par des produits à succès. Je pense aux Apple Stores par exemple, qui affichent une incroyable rentabilité de l'ordre de 20% du CA. Pas la peine de faire un dessin pour expliquer que le loyer des unités à Regent Street à Londres, sur la 59ième rue ou Soho à New York, dans le quartier de Ginza à Tokyo et au Carrousel du Louvre à Paris sont exhorbitants. Et quand on voit l'abondant staff des magasins, on extrapole les coûts d'exploitation. Mais la volumétrie obtenue, car les produits plaisent et sont uniques, avec une bonne marge brute dégagée (la meilleure du secteur), font que le modèle est très rentable.
Ainsi, si ces 3 grands paramètres (re, marge brute, coûts de visibilité et coûts opérationnels) permettent de formaliser un système de commerce, on comprend alors très vite ce qui se passe en e-commerce entre des pure players et des retailers :
- Les gros et bons retailers maîtrisent très bien l'amont, le sourcing, et leur taille leur donne un avantage de marge brute.
- Les bons pure players maîtrisent eux la technologie, les techniques de visibilité web, la logistique one-to-one, etc, et savent donc acquérir de la visibilité et exploiter un site de façon extrêmement efficace cost-wise.
Pour schématiser, les uns achètent très bien, les autres savent exploiter efficacement le canal e-commerce...
Si Amazon est le roi de l'e-commerce, maîtrisant comme personne les technologies et techniques de ce canal, ce n'est encore qu'un nain en terme de volume d'achat global comparé au roi du retail, Walmart. Segment par segment, électronique grand public, ameublement, alimentaire, habillement, etc, le gros retailer est largement plus important que le pure player question volume d'achats, quand bien même ce dernier serait leader du segment sur Internet.
Alors, si ces gros retailers, aussi bien les généralistes (Walmart, Carrefour, etc) que les category killers (Toys R Us dans le jouet, Castorama dans le bricolage, Darty dans l'électronique et l'électroménager, Ikea ou Conforama dans le meuble, etc) intégraient parfaitement les compétences web et les ajoutant ainsi à leur avantage aux niveaux des marges, pourraient-ils aussi devenir dominant en e-commerce et marginaliser les pure players ?
Réponse claire pour moi : OUI, c'est possible, en théorie... !
Oui, mais... !
Oui mais, car ce n'est en fait pas qu'une question de compétences. Celles-ci, aussi bien au niveau de la technologie que des techniques diverses (e-marketing, CRM, logisiques, etc) sont de fait maintenant très largement diffusées.
La problématique pour qu'un retailer se hisse au niveau de l'efficacité opérationnelle d'un pure player se situe essentiellement au niveau de l'organisation et de la culture.
Au niveau de l'organisation : comment positionner la division e-commerce, à qui va t-elle reporter, quelle autonomie lui donner (au niveau du pricing, du marketing, du produit, etc), quel profil de manager pour la gérer, quel carrière pour les hommes de cette division, et aura t'elle un département IT propre ou devra t-elle utiliser l'IT du Groupe qui a peut être, voire certainement, d'autres priorités, etc
Au niveau de la culture : l'e-commerce est un canal qui évolue très très vite et drivé notamment par l'hyper réactivité à la concurrence, omni présente et mouvante, bien plus grande qu'en retail (one click away, diable). Comment acquérir et garder cette culture de réactivité et d'agilité bien spécifique, et la faire cohabiter avec le reste de l'organisation, mue par une inertie différente ?
Et il ne faut pas publier que, en parallèle d'investir le canal e-commerce correctement, le retailer a toujours aussi gérer les éventuels problèmes qu'il rencontre dans son core business, alors que le pure player n'a qu'une seule chose en tête (cf ci-dessous avec Carrefour par exemple). Le pure player peut être totalement focalisé, le retailer doit gérer plusieurs priorités en même temps, ce n'est pas forcément un avantage.
En clair, oui, un retailer peut s'imposer sur un marché s'il acquière les bonnes compétences e-commerce, mais surtout s'il arrive à parfaitement les intégrer culturellement et organisationnellement de façon à ce qu'elle s'expriment parfaitement, sans biais, sans frein, sans entrave.
Et la partie s'avère fondamentalement extrêmement difficile.
Avec Inspirational Stores et maintenant avec GSI Commerce, je peux vous dire que j'en ai pitché des marques et des retailers, par dizaines, et j'observe que le gap culturel vis-à-vis de l'e-commerce est parfois colossal. Incompréhension sur les mécanismes et les facteurs clés de succès de ce canal, arrogance parfois quant à leur force dans le retail physique, on comprend assez facilement pourquoi de nombreux retailers se plantent en e-commerce.
Mais si le retailer, le bon retailer (on y reviendra dans une Part II) arrive à faire ce qu'il faut pour acquérir et intégrer parfaitement ces compétences e-commerce, alors il y a de très forte chance pour qu'il s'impose dans sa catégorie, ou tout du moins qu'il y réussisse très bien et devienne un redoutable challenger.
Avec plusieurs milliards de $ en CA e-commerce, Walmart est de fait maintenant dans le top 5 des e-commerçants au monde, même si encore à lointaine distance d'Amazon.
A l'opposé, Carrefour, pourtant 2ième retailer au monde (un peu moins de 100Mds€ de CA en 2009), n'est qu'un nain en e-commerce, il a pour l'instant totalement raté son entrée sur ce canal. Il faut aussi réaliser qu'ils a plusieurs autres axes stratégiques à gérer en même temps : en France par exemple, il doit dans le même temps lutter contre le déclin du format hypermarché et un certain retour vers des consommateurs vers le centre ville, canal bien investi par Monoprix qui développe aussi ses Monop et Daily Monop.
Et Carrefour n'est pas non plus Walmart, une entreprise qui depuis des décennies à toujours cherché à optimiser ses process, et pas uniquement à presser ses fournisseurs.
Toys R Us, 1er retailer de jouets au monde, est un vrai succès sur le web avec 500M$ de CA online rien qu'aux Etats-Unis. Il faut dire qu'ils ont eu le pragmatisme de totalement déléguer leur e-commerce à nos amis de GSI Commerce qui maintenant vont le dérouler en France, au Japon, en Allemagne, au UK, etc.
Que dire d'Apple, devenu depuis 2001 tant une marque qu'un puissant et successful réseau de retail (250 magasins et 7 ou 8Mds$ de CA) qui a aussi un CA e-commerce de plusieurs milliards actuellement ?
En France, Kiabi, succès du monde physique, a réussi en quelques années une percée remarquable au niveau de l'e-commerce, et il en va de même de Decathlon. Pour rester dans la galaxie Mulliez, Boulanger est par contre un échec alors que Chronodrive est un autre succès. Fnac.com n'est qu'un lointain suiveur vs Amazon ou d'autres pure players.
Ainsi, oui le bon retailer dominant dans son segment peut s'imposer sur le web, ou au moins devenir un challenger très sérieux, mais que de problèmes d'organisation et de culture à surmonter : de fait, seuls les tout meilleurs y arriveront, ceux qui sauront bien s'y prendre, bien s'organiser, mettre les bonnes priorités aux bons endroits et au bon moment, foncer sans états d'âme, comprendre que le web est un monde hyper concurrentiel aux règles du jeu différentes, où le client à un choix large à un clic de souris.
Bien souvent, une réussite sur le web nécessitera pour les retailers une remise en cause profonde de ses modes de fonctionnement, et de fait rares sont les êtres ou les entreprises capables de faire cela.
Dans certains segments, si le ou les retailers dominants ne font pas ce qu'il faut, cela donnera l'opportunité aux bons pure players de grossir, d'améliorer progressivement leur sourcing et leurs marges brutes, de bénéficier à leur tour d'économies d'échelle, et de devenir alors incontournable et pérenne sur le canal web.
Entre les retailers qui doivent intégrer des compétences et une culture pour s'imposer sur le web, et des pure players qui doivent gagner en taille pour améliorer leur sourcing et leur marge brute pour se pérenniser, la page est blanche, l'histoire est encore à écrire, le combat se décidera segment par segment, au cas par cas.
Au delà du dynamisme et de la compétence des acteurs, la structure actuelle même des secteurs jouera un rôle : dans les secteurs où il y a un acteur archi leader avec 40% de part de marché, même si à terme le canal web représente 20% du total, ce leader physique sera quoi qu'il arrive plus gros que le leader du canal web, donc bénéficiera, dans la plupart des cas, de meilleures conditions d'achat. Par contre, les secteurs fragmentés, où aucun retailer physique n'aurait dépassé, par exemple, 10% de parts de marché, sont vulnérable à l'émergence d'un puissant pure player.
De nouveau, une solution que je recommanderais à de nombreux retailers pour réussir leur e-commerce, sans débourser et prendre de risques, est de déléguer ce canal vraiment très spécifique à GSI Commerce, leader mondial de l'e-commerce délégué. 800 informaticiens travaillant à la technologie, 500.000M2 d'entrepôts, une demi-millier de spécialistes e-marketing, une culture et un modèle totalement centré autour de la performance e-commerce (pas de set up cost, commission sur le CA uniquement, donc à la performance).
Mais le point ici n'était pas vraiment de promouvoir mon groupe auprès des retailers de France et de Navarre. D'ailleurs, certains retailers n'ont vraisemblablement aucune chance sur le web pour des raisons assez fondamentales que j'exposerai dans une part II. Et là, on arrivera dans l'essence même du problème.
J'expliquerais ce que je voulais dire (post ci-dessous) par "la taille, la taille, la taille" et "la différenciation, la différenciation, la différenciation".
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