Je rebondis sur le passionnant article de TechCrunch d'avant hier, ici, "Did Amazon Miss the Boat on Social Commerce ?", même si mon but n'est pas de parler des modèles "grégaires" comme Groupon ou ventes-privées, mais plutôt de la stratégie de "l'e-commerçant de base" !
Amazon, à l'instar d'un hypermarché, est bien le roi de l'e-commerce de commodités, offrant aux consommateurs convenience et fiabilité comme personne : du choix, des prix, et un service au top.
Maintenant, ça reste un hypermarché, ce n'est pas sexy, l'article parle de "boring way of shopping". Boring mais en tous cas redoutablement efficace, tant pour les consommateurs qui reviennent assez souvent (4 à 5x par an en moyenne) que pour les actionnaires d'Amazon qui apprécient une rentabilité et un retour sur investissement tout à fait appréciable (mais au prix actuel en Bourse, je m'abstiens de mon côté et attends patiemment le prochain gros dip).
Le consommateur a besoin d'hypermarchés, de convenience, mais il n'a pas que besoin de cela.
Lors de la conférence e-commerce et rentabilité, Antoine Lemarchand de Nature & Découverte a exposé de façon magistrale tout ce que l'enseigne faisait et investissait pour rendre l'expérience client en magasin la plus agréable et addictive possible, précisant que les investissements au M2 étaient très au dessus des moyennes du secteur. Et au bottom line une rentabilité enviable pour un retailer !
Et je ne m'étendrais pas trop non plus sur les Apple Stores, avec leur univers très travaillé, le Genius Bar, le personnel pléthorique, repérable facilement (actuellement en tee-shirt bleu) toujours prêt à vous aider sans insister, les sessions de formation en groupe ou en one-to-one, les interventions d'artistes, les caisses mobiles si pratique, etc. Avec 20% d'EBIT et un CA/M2 hallucinant, le retail d'Apple est un modèle économique très enviable.
Au delà de l'offre produits elle-même, le retailer physique investit dans l'expérience sensorielle pour donner de la valeur supplémentaire à son offre et se différencier : dans ce qui se voit (le display), ce qui se sent (les odeurs chez Nature & Découvertes par exemple) ou ce qui s'entend (la musique ou les conseils des vendeurs). Et dans le cas d'Apple, on peut aussi allègrement toucher et essayer, les machines sont là pour cela !
En e-commerce, encore plus que dans le monde physique car la concurrence pléthorique est juste one-click away, la nécessité de différenciation est impérieuse. Et évidemment ce ne sera pas par le sensoriel.
Si on peut se différencier par l'offre produits/services, tant mieux : une offre spécifique et unique, ou le choix le plus large, les meilleurs prix, le service le plus fiable, ce pour un segment donné. Mais pour les biens de commodités, tôt ou tard Amazon sera là et lutter frontalement contre lui au niveau de l'offre produit/service est juste un combat vain qui ne créera pas beaucoup de valeur : il est ou sera meilleur, end of story, sa taille lui assurant un bargaining power, des économies d'échelle et des capacités d'investissement techno et logistique à faire baver d'envie 99,999% des e-commerçants. Même Zappos, roi de la chaussure en ligne aux US, avec tous les attributs d'une offre superbe (prix, choix et service) a préféré se vendre à Amazon.
Comme selon toute vraisemblance, à moins d'être déja un retailer physique avec une offre propre spécifique (ie un Kiabi, un Decathlon, un Nature & Découvertes) la différenciation par l'offre est difficile, il faut se différencier par autre chose.
Et cet autre chose, pour moi, c'est dans le relationnel et le ton. Ma conviction est que l'e-commerçant qui veut une pérennité doit se différencier et doit investir dans une image spécifique, un ton spécifique, et un relationnel de proximité.
L'exemple de Patrice Cassard, dans le tee-shirt avec LaFraise puis la chaussette avec ArchiDuchesse est assez symptomatique : il a construit un business intéressant à partir de produits tout ce qu'il y a de plus simple et commodité, en misant essentiellement sur le ton et le relationnel.
Les "trublions du goût", Michel & Augustin, sont du même accabit ! Les produits sont bien, mais ce n'est pas forcément l'essentiel. Tout est savamment travaillé, le ton, la typo, les actions commerciales, etc.
Photoways n'avait en son temps pas opéré différemment non plus, quand je m'investissais très lourdement dans la communication directe avec les clients, donnant un ton particulier : on a été la 1ere entreprise en France à avoir un blog, dès 2004, que j'alimentais presque tous les jours, j'organisais tous les dimanches le "jeu du dimanche" (à partir d'une photo qu'il fallait reconnaître), j'organisais des sessions de chat collectifs, etc. Au final, une image sympathique, différente des autres, un excellent bouche à oreille et des coûts d'acquisition clients limités et donc une marque très rentable !
Ma conviction est qu'il y a une nécessité pour tout e-commerçant de travailler de façon très pointue son image, son ton et son relationnel, ce au delà d'une offre produit de qualité et adéquate, évidemment !
Que ce soit pour Patrice Cassard, Michel & Augustin ou moi-même avec Photoways, l'un des piliers du succès a été un ton un peu décalé et une proximité relationnelle. Dans un monde d'uniformité, être un peu décalé, façon "vache pourpre" de Seth Godin (à lire ou relire), n'est pas une mauvaise chose.
Décalé, tout en ayant un humour de bon aloi et le ton juste n'est pas toujours facile : j'avais ainsi refusé chez Photoways une publicité et une image créée par un marketeux, montrant un chauve avec le message suivant "la beauté sans pellicule"...Je ne trouvais pas le jeu de mots si fin que cela !
Avec la profusion des e-commerçants (la croissance du nombre de sites marchand est supérieur à la croissance du CA e-commerce, donc un CA moyen/site en baisse !), la nécessité de se différencier au delà de son offre va de nouveau faire émerger ceux qui sauront avoir une image, un ton et un relationnel de qualité, de vrais commerçants quoi !
Les techneux et les webeux aiment bien inventer de nouveaux noms, "social e-commerce" sonne bien, mais faire du commerce repose quand même depuis toujours sur l'empathie consommateur et le relationnel, des clients qui aiment revenir chez vous et pas seulement pour votre offre produits. L'humain valorise aussi l'intangible, et de plus en plus à offre produits comparable. Ce qui me permet de vous conseiller de nouveau cet autre excellentissime livre "vendre l'invisible". D'ailleurs, comme ce doit être un livre de chevet, et pas seulement, à lire et relire, je vais me le prendre en version e-book sur le Kindle store s'il est dispo, direction iPad ensuite.
J'en profite d'ailleurs pour vous annoncer à ce sujet la naissance de Dino & Dino, petit site e-commerce pointu dont je ne vous dirais que plus tard ce que cela fait ! Ce sera un cas d'application, avec une image, un ton et un relationnel sur lequel je travaille actuellement avec un associé, Marc, rencontré à l'occasio de mon "Appel aux Entrepreneurs" de février dernier ! Et bien entendu, pré-requis, l'offre sera sympathique, de qualité, donnera envie...
Bonjour Michel,
Post très intéressant et très bien argumenté!
Je dirais même qu'il y a une redondance dans le terme social commerce puisque le commerce est, par nature, social car implicant différentes entitées / personnes.
Pour les Apple store, je ne peux qu'être d'accord au regard de mon expérience familiale: Après avoir mis un macbook dans les mains de mes parents, ils ont maintenant acheté d'autres produits de la marque pour eux-mêmes et leurs entourages. La raison? Tout simplement l'existence du genius bar où mon père peut passer lorsqu'il rencontre un souci...
Etant déjà un très grand fan des différents livres de Seth, ce "vendre l'invisible" m'intrigue et va très bientôt finir dans mon salon!
Personnellement je recommanderais également "blue ocean strategy", une référence.
Posted by: antoine grillon | June 01, 2010 at 12:27 PM
Très bon article.
Posted by: Emmanuel | June 01, 2010 at 01:24 PM
Bonjour Michel,
Je suis d'accord à 100% avec ce billet. Toute solution qui apporte de l'humanité au e-commerce va apporter le plus appréciable qui manque vs la boutique classique, j'avais en son temps relayé sur mon blog l'expérience Ril shopping dans Second Life : le e-commerce en univers immersif, avec en plus l'utilisation d'un agent conversationnel en live pour aider à utliliser second life...
Je sui aussi une adepte de la vache pourpre de Seth Godin et de quelques autres de ses ouvrages. Je suis d'ailleurs en train de réfléchir à "ma vache pourpre" pour mon futur projet...et tes propos sur la différentiation de l'offre nourissent ma réflexion, me recadrent vers le bon chemin de la rentabilité !
Posted by: zanskar | June 01, 2010 at 05:13 PM
Quand Google Traduction va proposer une version "Michel de Guilhermier" ?
Si Amazon est imbattable sur de nombreux points, les "petits" e-commerçants peuvent miser sur la proximité par la séduction du consommateur.
Posted by: Good Luck Ecommerce | June 01, 2010 at 10:29 PM
En matiere de traduction, c'est pas tout a fait ce que j'ai dit !
Qq chose comme "...miser sur la seduction par la proximite consommateur" (donc l'inverse de ce que tu dis) serait a la limite plus proche...
Car Amazon aussi seduit, mais pour d'autres raisons !
Je parle surtout de ton et d'image specifique...
Posted by: MdeG iPhone | June 01, 2010 at 10:49 PM
Un bonjour d'un fidèle du jeu du dimanche chez Photoways ;=)
Posted by: Laurent | June 01, 2010 at 11:21 PM
La différenciation par l'offre n'est pas suffisante... Ca c'est pour Adrien et moi je crois! Merci pour tes conseils Michel, ton post a déclenché un débat de 2 heures durant notre réunion sur le projet. Le "moat" ne pourra effectivement jamais se résumer à cela, et heureusement nous avons d'autres idées en stock.
Posted by: Arnaud | June 02, 2010 at 12:53 AM
Bonjour Laurent, ça me fait plaisir ;-)
Posted by: MdeG iPhone | June 02, 2010 at 06:13 AM
Chaque marque est en compétion pour capter l'attention du consommateur dont le temps n'est pas extensible. Des marques citées, seule Amazon vous fait gagner du temps, les autres vous en font perdre sauf à considérer l'acte d'achat comme une forme de loisir à part entière ?
Posted by: MichelN | June 02, 2010 at 07:25 AM
@Michel
J'avais repéré l'article sur Techcrunch en me disant que les gens qui l'ont écrit n'ont jamais dû faire d'e-commerce ou que c'étaient des agences là pour vendre du concept en attaquant frontalement le leader (certitude d'avoir du retweet).
Je pense comme Antoine qu'il y a répétition entre commerce et social, il y a forcément relation avec le marchand (satisfaction maximum à chaque fois que j'ai eu affaire au service client Amazon) et avec les autres acheteurs (merci à tous les autres fans de lecture SF de me faire découvrir et aimer de nouveaux auteurs grâce aux avis déposés). Comme j'ai écrit un livre, j'ai aussi pu tester la relation "marque" et commerçant. Amazon a mis à jour des informations erronées en 12h là où j'ai dû faire marcher des relations chez d'autres libraires en ligne.
Posted by: Raphael | Blog-Conversion & Web conversion | June 02, 2010 at 11:07 AM
A mon avis, commerce social désigne tout de même quelque chose de particulier sur le net, il y a l'offre bien sûr, la façon dont elle est présenté (le ton, les valeurs transmises), et la façon dont l'offre est diffusée : bouche à oreille, blog, réseaux sociaux.
Cette dernière partie, est le social commerce sur internet, pour une boutique normal, ce sera son emplacement, et ses outils de com, incluant internet.
Enfin, pour continuer dans la critique d'Amazon, Amazon ne propose pas d'offre commerciale très pointue, il a tout, mais par exemple, ne propose pas de pack ou de conseil. On ne peut pas les appeler pour être conseillé sur les produits etc...
Donc oui, il y a de la place à prendre, avec les outils que nous offres le web aujourd'hui et c'est ça finalement la vrai nouveauté.
Posted by: François | June 02, 2010 at 02:36 PM
Sauf que le vrai business d'Amazon est de capitaliser sur le cash. C'est un modèle vraiment différent du e-commerce "traditionnel".
J'en parle dans un billet récent
http://www.laurentbourrelly.com/blog/698.php
Au fait, tu as vu l'Aston de James Bond qui est à vendre ?
http://www.rmauctions.com/FeatureCars.cfm?SaleCode=LF10
Posted by: LaurentB | June 02, 2010 at 09:17 PM
Salut Laurent (avec bcp de retard, la semaine fut intense !), oui, j'ai repéré, on en attend 3,5M€ je crois ! De la folie !
Posted by: MdeG iPhone | June 05, 2010 at 02:07 PM