Comme vous le savez certainement, les grandes surfaces alimentaires sont soumis à des autorisations administratives d'ouverture, ce qui revient souvent à figer les parts de marché locales qui se répartissent alors entre 2 ou 3 distributeurs seulement...
Le système des "drive", commande sur Internet et enlèvement des marchandises en voiture par le consommateur dans un entrepôt, qui n'était au départ qu'un système de livraison original et efficace, se révèle être une véritable arme disruptive et stratégique pour les distributeurs.
Car, au delà de l'intérêt pour le consommateur (prix "magasin", "gratuité" du service, plus besoin de passer des heures dans les rayons, pas de file d'attente, achat mis à disposition au moment où on le souhaite, etc) ce concept ne nécessite pas d'autorisation !
Cela permet ainsi à des distributeurs d'aller chatouiller les acteurs locaux d'un marché dans lequel ils ne pouvaient avant pas pénétrer, bloqués qu'ils étaient, comme le résume parfaitement Michel-Edouard Leclerc : "à Rouen, nous n'obtenions pas l'autorisation d'implanter un Leclerc, nous avons donc placé un Drive au milieu de 3 Carrefour" !
AInsi qu'à Caen où ils ont implanté un Drive à 300m du parking d'un Carrefour...
Bien que le concept ait été lancé par le Groupe Auchan il y a maintenant 10 ans (d'abord Auchandrive, puis en standalone avec Chronodrive), il n'a vraiment pris de l'ampleur que depuis 2 ans et c'est Leclerc - qui a ouvert son 1er Drive en 2007 et n'a pas de site internet marchand "classique" façon auchan.fr, ooshop.fr (Carrefour) ou houra.fr (Cora), qui s'impose aujourd'hui comme le plus dynamique à ce petit jeu, avec une cinquantaine de nouveaux drives ouverts en 2010 (dont 6 sur Octobre 2010) et une centaine prévus pour 2011 !
Economiquement, le concept s'avère rentable pour eux puisque Leclerc précise une rentabilité de l'ordre de 3% contre 1,5% pour un hyper. A raison de 4M€ en moyenne par unité, Leclerc pourrait ainsi réaliser l'année prochaine 500 à 600 millions € de CA sur Internet avec ses Drive. Ils annoncaient d'ailleurs environ 60M€ en 2008, 140M€ en 2009 et visaient 300M€ en 2010.
Ce alors que l'ensemble des cybermarchés "classiques" (ceux du dessus et telemarket) ne réalisent pas doute pas plus de 300M€ de CA au global, soit la taille d'un très gros hyper parisien ! De facto, les courses alimentaires sur Internet avec livraison à domicile n'ont pas encore vraiment conquis le consommateur en France, contrairement au UK par exemple.
Caractéristique de l'e-commerce, les paniers moyens des Drive sont significativement supérieurs à ceux du retail : Leclerc avance 90€ contre 45 à 50€ en magasin.
Certains distributeurs se contentent d'ouvrir une "zone Drive" dans un point de vente existant, Système U notamment, ce qui revient alors juste simplement à offrir un service supplémentaire à la clientèle (comme un McDo).
Autre impact non négligeable que devraient avoir les Drive-entrepôst, la valeur des fonds de commerce des distributeurs implantés localement, qui était soutenue vue la rareté des autorisations d'ouverture, devraient forcément en prendre un coup puisque le marché s'ouvre indirectement !
Il y a en France environ un millier d'hypermarchés (définis comme ayant une taille supérieure à 2500M2) et 7000 supermarchés, les Drive ne sont donc encore qu'une goutte d'eau, mais attendons quelques années de voir l'appétit du consommateur pour cette formule ! Et comme tout concept de distribution, il doit s'affiner avec le temps et l'expérience : emplacement (stand alone comme Leclerc et Chronodrive ou accolé à un magasin existant comme service supplémentaire chez Casino, Système U et Intermarché), nombre de références et univers proposés (5000 ref chez Leclerc, 13000 chez Système U), pricing (a priori calqué sur les prix magasins), type de services proposés, etc.
Par ailleurs, puisqu'il permet à des distributeurs de s'implanter dans des zones où ils ne sont pas encore et où ils même sont bloqués, on pourrait imaginer que ceux-ci seraient prêt à sacrifier un peu de rentabilité...
Le concept devrait donc sérieusement aider à redistribuer les cartes et introduire une plus grande concurrence là où il n'y en avait pas forcément beaucoup, ce qui est une bonne chose pour le consommateur !
Il y a fort à parier que l'administration essaiera de légiférer sur ce nouveau concept, dans la mesure où rien n'empêcherait les grands distributeurs de s'implanter au coeur des villes, avec ce système.
On peut d'ailleurs se demander à qui ces "Drives" vont prendre des parts de marché : les grandes surfaces locales ou les petits commerces ?
Posted by: Emmanuel | October 30, 2010 at 10:28 AM
Emmanuel, ce qui empêche les grands distributeurs de s'implanter au coeur des villes serait justement le manque de place (il en faut pour un drive), son coût ainsi que les problèmes d'accès.
Les drive étant en périphérie, ils prendront en majorité sur les grands distributeurs implantés localement à proximité
Posted by: Michel de Guilhermier | October 30, 2010 at 10:31 AM
Est ce que ce n est pas se tirer une balle dans le pied ? vider ces magasins petit a petit, habituer de plus en plus la clientele a ce systeme ? on voit les hypers revenir en arriere et creer des "boutiques" a taille humaine au sein de leurs hypers aujourd'hui. Allez regarder ce que fait CORA, c'est tres interessant. Par exemple la mise en place d'un bar a fruits et legumes au milieu du rayon avec des milliers de coupes possibles et des produits hyper frais a manger rapidement. On verra, en tout cas sur Paris le drive est indispensable!
Posted by: Etienne ONPP | October 30, 2010 at 10:56 AM
Début 2000 lorsque tout montait au ciel nous étions paniqués à l'idée de rester sur la touche avec un ami :) Et puis l'idée de i Market fut une évidence pour nous. Apple on t'avais grillé :))) Un hangar en bord de la rocade de Rennes, un circuit logistique digne de l'industrie auto, de l'internet et hop... Un hall d'accueil pour aider les septiques à passer commande avec une hôtesse mais plus de caissières... Des commerciaux qui allaient démarcher les municipalités pour inciter les aides ménagères à passer commande pour leurs clients et les livrer etc... On sera ouvert 24 sur 24, un jour, avec un téléphone ordinateur (fallait voir la tête des gugus à qui nous présentions ça à l'époque du Palm) les clients commanderons dans leur voiture à la sortie de la boite de nuit, passerons prendre le carton et hop... C'était l'époque ou les dirigeants des grands groupes de distribution étaient littéralement obsédés par l'idée de livrer des paquets de nouilles par camionnettes à tous les coins de rue... Avril arriva, preuve évidente pour nos interlocuteurs que la camionnette allait gagner la bataille face à l'internet :)) Comme quoi parfois le plus important est de vraiment y croire à son projet :)
Posted by: Yvon | October 30, 2010 at 11:01 AM
Il m'a semblé lire quelque chose là-dessus dans un des derniers numéros de Challenges.
Ce qui m'a marqué, c'est la rapidité de Leclerc à mettre en place le concept et à implanter ses Drive. Et surtout la lenteur de Carrefour sur ce coup... Cela démontre une certaine faiblesse en termes de réactivité et de conduite de projet... Que leurs tests soient concluants ou pas, ils n'ont plus vraiment le choix et leur retard sera préjudiciable, du moins à court terme.
Posted by: Christophe Rescan | October 30, 2010 at 11:49 AM
Oui, Challenge a écrit la dessus il y a 15j, c'est ce qui m'a inspiré.
Posted by: Michel de Guilhermier | October 30, 2010 at 11:53 AM
Extrêmement intéressant (comme souvent), j'ignorais totalement que les drive ne rentraient pas dans la catégorie des grandes surfaces soumises à autorisation, ça promet de belles batailles à grands coups d'escarmouches.
Il reste que, si côté consommateur nous avons tout à y gagner, la guerre des prix va encore une fois affecter les producteurs, qui restent des consommateurs in fine.
Posted by: Frédéric de Villamil | October 30, 2010 at 01:02 PM
Michel-Edouard Leclerc nous expliquait il y a deux ans, qu'il ne s'agissait pas d'une course de vitesse! Le premier lancé (Auchan) à surtout permis à Leclerc d'observer et de se positionner avec la rentabilité pour principal focus. En tous cas, les stratégies dans le retails qu'il s'agisse des très grandes surfaces ou de celles de moins de 1000m² n'ont jamais été aussi passionnantes à suivre... ou à imaginer.
Posted by: Maurice | October 30, 2010 at 02:24 PM