Post promis (notamment ICI), post du ! Quelques réflexions en ce samedi matin, qui j'espère sera "food for thought" pour mes amis lecteurs e-commerçants !
L'e-commerce est à la base du retail, et dans le retail il faut avoir une obsession sur les coûts fixes. Une structure trop lourde empêche de se battre efficacement sur les prix en étant capable de réduire ses marges, ce qui peut à terme être létal.
Et même quand ça ne l'est pas, des coûts fixes trop élevés oblige à aller à la course au chiffre d'affaires pour les couvrir, ce qui :
- N'est jamais agréable car on est sous pression permanente
- N'est pas facile
- Est souvent coûteux (et plus l'industrie est mature, plus ça l'est)
- Surtout sur le web où la concurence est toujours "one click away", hyper intense, avec un consommateur extrêmement bien informé, comparant, etc
La frugalité en retail comme en e-Commerce n'est pas un "nice to have", mais tout simplement un "must have" absolu pour la pérennité de l'entreprise.
En parallèle, il y a aussi 2 phénomènes :
- Plus le CA est important, plus la structure doit être étoffée pour le gérer, donc des coûts fixes supérieurs. On peut gérer un CA de quelques millions de façon maligne et low cost, mais dés qu'on vise plusieurs dizaines de M€ de CA on doit mettre en face une structure professionnelle et solide.
- Plus le CA est important (dans une catégorie donnée) plus grandes sont en théorie les marges car on a un meilleur levier de négociation avec les fournisseurs. La taille apporte aussi d'autres avantages concurrentiels (ie effet boule de neige de la notoriété, etc)
Il faut donc être frugal et léger, mais si on veut/doit grossir il faut initialement s'alourdir en structure pour professionaliser...ce qui représente un risque...
Fondamentalement, ce que je veux donc par ce post c'est attirer l'attention sur la problématique des palliers de coûts fixes.
Commençons par un exemple concret et quelques chiffres pour illustrer :
Vous avez un site e-Commerce qui fait disons 5M€ de CA. Avec un panier à 100€ - je prends un chiffre rond qui est aussi le panier moyen de l'e-commerce français à peu de chose près - soit aux alentours de 4.000 commandes/mois.
Vous l'avez construit aux forceps, en étant malin et frugal : avec votre marge brute nette de frais variables (logistique, commissions bancaires, Paypal, etc) de disons 30%, des coûts fixes de 500K€ (comptez 12 personnes parce que vous serrez tout et les hommes sont polyvalent), du marketing pour être visible sur la Toile et générer trafic et clients (disons 500K€, 10% du CA), vous arrivez à une rentabilité de 500K€ : 30% x 5M€ - 500K - 500K. Soit 10% du CA, très honnête pour du retail et de l'e-commerce.
Fort de ce succès, bien réel, vous vous sentez pousser des ailes, légitimement votre ambition s'accroît. Vous voulez monter rapidement le CA à 20M€ sous 4 ans. Je précise bien rapidement, car vous pouvez laisser le temps faire son oeuvre et attendre 10 ans pour passer de 5 à 10M€, ce qui pour le coup demanderait sans doute (beaucoup) moins de capitaux. Non, vous voulez allez vite, voire devenir "leader", que vous soyiez quelqu'un de reconnu en eCommerce ! Ah, l'ego, quand tu nous tiens, et quand tu viens biaiser le raisonnement...
Mais voila, taille et rapidité, ça demande des capitaux, vous allez devoir lever de l'argent. On ne peux pas aller plus vite que la musique du marché sans investir significativement. Et la plupart des VCs, soyons clair, ne viennent pas chez vous pour une petite croissance molle. Une fois là, ils vous encourageront même davantage et vous pousseront certainement à la croissance parce que, eux aussi, seront fiers d'avoir un leader dans leur portefeuille !
Au niveau des economics, voila un scénario loin d'être improbable :
- La marge brute, qui était de 30%, va peut-être gagner 3 points, mettons généreusement 33%. Vous êtes plus gros, vous négociez mieux avec les divers fournisseurs et prestataires logistiques. Mais attention, dans le même temps l'industrie pourra se durcir, dégradant votre marge, ce pourquoi il n'y a rien d'automatique !
- Vos coûts fixes, eux, vont s'envoler et c'est une certitude ! A 5M€, vous pouviez encore faire de façon maligne et low cost. A 20M€, 200.000 commandes par an, il faut une structure digne de ce nom, un Directeur Informatique, une vraie équipe IT, un Directeur Marketing et son équipe de spécialistes, un responsable du call center, etc. Bien entendu des locaux de taille supérieure, et tout ce que vous faisiez "à l'arrache" vous allez vous professionaliser et les coûts augmenteront. Il est possible que vous jumpiez de 500K à au moins 2500K€.
- Question marketing d'acquisition, pour quadrupler vos ventes rapidement, ce n'est pas 10% du CA qu'il va falloir mettre, mais probablement 15%, voire plus (donc 3000K€).
Bottom line : 33% x 20M - 2500 - 3000 = 1100K€.
1ère remarque, le CA a quadruplé, la rentabilité n'a que doublé, et le retour sur capital est moins bon car vous en avez injecté pas mal pour la croissance rapide.
2ième remarque : vous vous dites que le marketing c'est un investissement, et donc que plus tard si vous coupez un peu le marketing vous aurez tout de même vos clients qui reviendront ! Erreur, grosse erreur, en e-commerce vos clients ne vous appartiennent pas, il n'y a pas le grip physique, la part de marché on la loue, on ne l'achète pas. Si vous baissez vos investissements, vous baisserez aussi mécaniquement votre CA. Reste à voir dans quelle proportion. Si vraiment vous avez juste un peu moins de CA et beaucoup moins de marketing, ça peut être plus intéressant, comme ça ne peut pas car vos coûts fixes sont bien là...
3ième remarque : si le marché entre temps s'est durcit au fil de ces années, ce qui est souvent la tendance, vous aurez bien l'augmentation des coûts fixes et du marketing mais pas l'amélioration de la marge. Au mieux c'est 30% x 20M - 2500 -3000 = 500K€. Tout ce travail, tous ces investissements, et la dilution qui va avec, pour rien !
4ième remarque : si la structure que vous avez mis en place vous permet ensuite, avec des accroissements de coûts marginaux, de passer à 50M€ de CA, vous pourrez avoir, par exemple : 30% x 50M - 3500 (coûts fixes) - 6000K (marketing, la volumétrie fait descendre à 12% du CA), soit 5500K€ de bénéfice. La, vous retrouvez un bon taux de rentabilité (11%) et en K€ absolu, c'est parfait. Mais attention, entre les retailers spécialistes qui se mettent à faire de l'e-commerce, et les généralistes qui ouvrent de plus en plus de rayons spécialisés, au besoin sur leur place de marché, la concurrence est intense et la croissance est extrêmement compliquée. Si sur le papier vous pouvez rêver de faire 50M€ de CA et 5,5M€ de bénéfice, ça ne va pas être simple d'aller concrètement les chercher à un bon coût.
Morale(s) de l'histoire :
- Avec un petit CA en e-commerce, vous pouvez avoir une bonne rentabilité si vous vous y prenez bien - cela commence par choisir un secteur avec des marges brutes acceptables - en étant malin, frugal, polyvalent. Ce fut le cas de Shoes.fr, petit acteur très rentable dans la chaussure en ligne qui s'est revendu une belle somme à Spartoo, qui lui était avide de croissance avec sa levée de 12M€ et l'arrivée des VCs, qui ont bien dilué les fondateurs...
- Si vous voulez fortement grossir, et rapidement, vous allez devoir lourdement dépenser en marketing et en structuration de l'entreprise. Vous allez initialement vous retrouver dans une zone difficile, où l'accroissement de la marge brute ne compensera pas tout de suite l'accroissement des coûts fixes et du marketing pour générer la croissance. C'est le ventre mou. Et il y en a beaucoup d'e-commerçants qui y sont...
- Si vous arrivez à poursuivre fortement la croissance, parce que d'abord le potentiel de marché intrinsèque est bien là (à checker) et que vous savez bien exécuter (à valider), vous pouvez revenir à un taux de rentabilité de très bon niveau car les coûts fixes auront été absorbés par le volume d'affaires (toute autre chose étant égale par ailleurs). Mais attention, il y a des si...
Le "ventre mou", autrement dit un CA de taille intermédiaire, trop gros pour jouer petit/malin/frugal/polyvalent, trop petit pour que les coûts fixes de structure soient parfaitement absorbés, varie selon les secteurs :
Sur des marchés généralistes de plusieurs milliards en retail value, le ventre mou est sans doute de plusieurs dizaines voires centaines de M€ ! Sur des niches de quelques centaines de M€ retail value, le ventre mou peut être entre 5 et 15M€.
Alors, amis e-commerçants, avant de chercher à grossir coûte que coûte, réfléchissez bien à ces palliers !
Et si vous estimez que la croissance est indispensable parce que sinon vous allez vous faire diluer, voire que vous allez perdre des avantages concurrentiels, demandez-vous quand même s'il n'existe pas des moyens de vous spécialiser dans un sous-segment homogène : mieux vaut être le roi d'une niche pointue que le n°4 ou n°5 d'un marché plus vaste.
Et pour finir dans la joie, 2 quotes, entendues dans les 8 derniers jours :
- L'une d'un collaborateur d'un des plus grands e-commerçants de la place (allez, on va le dire, le plus gros en France) : "l'eCommerce, c'est vraiment un métier de chien". Chose que je dis depuis des années dèja !
- L'autre (indirectement) d'un manager récemment passé chez Amazon, venant d'un leader français multi-canal, qui était en substance : "quelle machine de guerre, impressionnante, tellement plus avancée que ce que j'avais chez...".
Dans ce métier de chien, il y a une pieuvre au CA de 40Mds$ cette année qui a investit de façon colossale au fil des ans, en IT, en logistique, en connaissance clients, etc, et qui en tire maintenant les fruits, rentable et en croissance impressionnante. Une pieuvre dont le cours de l'action a atteint hier son plus haut niveau historique, et qui est aujourd'hui valorisée 90x ses résultats...
Mais à côté...
Et hier matin vendredi je pti déjeunais avec un VC et je lui demandais en passant combien il y a avait de pure player parmi les 30 1ers CA eCommerce US. Il me répondait "il n'y en a pas tant que ça, peut-être 10 ?".
Et non, ce n'est pas 10, ni même 5, c'est juste 2 (ou 3 si on compte Netflix, un cas un peu particulier). On a un Amazon, totalement hors norme, irrattrapable certainement maintenant, avec 40Mds$ de CA, puis, loin, très loin derrière, NewEgg avec ses 2,5Mds$ environ. Et les retailers, de Walmart à Target, en passant par les grands magasins JC Penney ou Macy's, les spécialistes de différents univers comme Gap, Best Buy, ou Staples, etc, se sont assez logiquement hissés dans les 1ères positions.
Et John Browett, PDG de Dixon Retail (ex DSG International) qui a racheté Pixmania il y a 5 ans, qui annonçait récemment que leur "pure play" était problématique (ils ont d'ailleurs effectué au dernier trimestre un write-down de Pixmania, qu'ils reconnaissent donc officiellement avoir acheté trop cher) alors que leur multi-canal marchait fort.
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