Post de fond un peu long, parfois "technique", mais sans doute une bonne "food for thought" pour les pure players...
Aux Etats-Unis, sur les 100 1ers CA réalisés en eCommerce, on n'a aujourd'hui que 17 Pure Players, le reste étant le fait de retailers ou VPCistes.
Et si on considère le CA réalisé par les 100 1ers acteurs de ce canal :
- Retailers et VPcistes en réalisent 66%
- Amazon en réalise environ 27%
- Les autres pure players 7%
Et si on enlève ces 2 acteurs particuliers que sont NetFlix et VistaPrint, les Pure Players ne représentent plus que 4%...
La réalité US est simple, les Pure Players - à l'exception très notable d'Amazon - sont devenus marginaux dans le CA total du canal eCommerce.
Cette montée des acteurs traditonnels est tout ce qu'il y a de plus logique car ils jouissent d'avantages concurrentiels majeurs, avec une marque, une notoriété, un sourcing puissant, une connaissance des besoins clients, la possiblité de faire du cross-canal, etc
En France, la réalité n'est pas différente : on retrouvera ainsi dans le top 10 des CA eCommerce le géant Amazon d'une part et, d'autre part, les gros retailers et VPCistes - Fnac, Darty, La Redoute, les 3 suisses - mais aussi CDiscount et Pixmania qui ne sont plus des purs Pure Players mais sont affiliés à des groupes retail important, Casino pour l'un et l'anglais Dixon Retail pour l'autre.
Et si on compte les "drive", qui génèrent bien des Chiffre d'Affaires venus par le canal eCommerce, la domination des retailers est encore plus flagrante. L'ensemble Auchan Drive + Chronodrive devant déja par exemple faire plus de 1Mds€ de CA, et Leclerc Drive cartonne actuellement.
RueDuCommerce, réalisant autour de 300M€ de CA, pourrait être considéré comme le 1er pur Pure Player français, quoi que c'est discutable puisqu'il a été récemment racheté par le promoteur immobilier Altarea-Cogedim. Je suis assez sceptique sur les synergies potentielles et la création de valeur, mais ceci est un autre sujet (voir ma chronique dans le JDN ici)
Si on l'exclut, les 1ers purs Pure Players sans conteste seraient alors ceux opérant dans la chaussure en ligne, Sarenza, Spartoo et Zalando, dont les CA France vont être entre 100 et 200M€ sur 2012.
Il y a un an, le PDG d'Ebay déclarait que c'était la "mort de l'eCommerce", assertion bien vite repris par la FEVAD qui précisait que l'ère était maintenant au "multi-canal", au "cross-canal" et qu'il y avait une "convergence"...
Allez, stop the bullshit...Ce n'est pas parce que certains ne la réalisent et ne la comprennent qu'aujourd'hui seulement qu'elle arrive, la convergence a toujours été là !
Le commerce est et a toujours été un tout et l'eCommerce est juste un canal de distribution, et ce n'est pas non plus parce que des dizaines de milliers d'acteurs se sont lancés spécifiquement et uniquement sur ce canal que ça en fait forcément un business spécifique propre viable sur le long terme !
Pour aller droit au but, mon diagnostic est simple : la "business definition" (les consultants en stratégie comprendront) n'est pas plus l'eCommerce que tel ou tel canal, mais le commerce globalement, à prendre par secteur, et la 1ère des règles de réussite est simple : the bigger, the better, mais pris globalement sur l'ensemble des canaux de distribution.
En terme de position concurrentielle, tout un chacun comprendra qu'être leader et avoir 30% d'un canal eCommerce qui pèse 10% du retail ne donne que 3% du total et de fait ne pèse pas bien lourd face à un acteur qui lui possède par exemple 20% du retail. Même si ce leader n'est pas encore actif ou bon dans le canal eCommerce, tôt ou tard il le sera, c'est juste une question de temps. Le leadership sur le canal eCommerce ne donne donc pas forcément la taille critique pour avoir la pérennité...
Ce qui compte c'est la part de marché globale et, si on veut réellement jouer un rôle important, je situe le minimum pour être pérenne sur le terme à au moins 10% du secteur globalement. Dans la Grande Distribution, il ne reste que 6 groupes aujourd'hui (Carrefour, Casino, Auchan, Leclerc, Intermarché, Système U), et si on prend secteur par secteur, on s'aperçoit vite que les leaders qui restent ont au moins 10% de part de marché. Dans le commerce, la notion de "taille critique" dans son segment est clé.
Caveat très important, il ne faut pas se tromper sur les contours de son "secteur". Re, ceux qui ont fait de la stratégie savent que les problèmes de business definition sont parmi les plus complexes. Un secteur est dit spécifique et distinct s'il y a moins de 70% des coûts, des clients et des fournisseurs qui sont partagés avec d'autres. Sinon, ce n'est pas un secteur distinct, c'est juste un sous-ensemble, il est régit par les lois, les economics et la concurrence du secteur général.
Pour avoir un business pérenne et une rentabilité acceptable, il faudra donc que les Pure Players réalisent au moins 10% du CA global de leur secteur. Et si l'eCommerce représente demain - dans 5 ans ou dans 10 ans - 20 ou 25% du total général du secteur, il faudra alors que le pur Pure Player, pour résister, capte une part de marché d'au moins 40% sur le canal Internet. Pas simple du tout, voire souvent impossible à atteindre, car en face il y a aussi les acteurs traditionnels qui vont se développer en eCommerce.
Si on prend le secteur de la chaussure en France, qui pèse aux environs de 8Mds€, il faudrait que les Spartoo et autre Sarenza arrivent à faire chacun autour de 800M€. Ils en sont encore très très loin aujourd'hui, ils doivent au minimum quintupler de taille pour y arriver. Regroupement, rachat par un des leaders du retail (Vivarte), il va forcément y avoir des évolutions pour que l'un ou plusieurs des acteurs atteignent cette taille critique apportant la pérennité. A noter que l'allemand Zalando des frères Samwer, avec de très gros moyens, s'impose assez nettement comme le leader européen de la catégorie et devrait faire 1Mds€ cette année.
Dans l'équipement moto/motard, un secteur qui en France pèse autour de 400M€ voire 500M€ avec le pneu (c'est donc plutôt une grosse niche), il faudra que le Groupe MotoBlouz réalise 40 à 50M€ de CA à terme. Et, tel que je connais Thomas Thumerelle qui dirige le Groupe, je n'ai aucun doute, il les fera, il lui suffit maintenant en fait de juste doubler de taille sur son seul canal Internet !
Dans le mobilier, Delamaison est le leader Pure Player du canal, mais avec ses 45M€ de CA sur un secteur qui pèse 10Mds€, il devrait peser des centaines de millions d'€ pour subsister. Il n'y arrivera évidemment jamais tout seul (la suite très prochainement...).
Pour rester dans le mobilier, il y a la niche du mobilier design, qui ne doit pas peser plus de 500M€ au total. Un acteur comme Made in Design, dont j'évalue le CA à environ 20M€ aujourd'hui, possède déja une part de marché globale sur sa niche très appréciable, et est même de fait déja devenu le plus gros revendeur tous canaux confondus Il peut évidemment parfaitement susbsister comme pur Pure Player s'il le voulait. Ceci étant, vu le fait qu'il y a très peu de groupes retail bien positionnés sur ce segment, peut-être voudra t'il lui-même se lancer sur ce terrain, devenant alors un leader global et multi et cross-canal ?
Puisqu'il sera de fait quasi impossible pour la plupart des Pure Players de capter 40% de part de marché du canal eCommerce par la seule croissance organique, il ne reste alors que 3 solutions pour arriver à la taille critique et aux 10% du secteur globalement :
- Acquisitions et regroupements entre gros Pure Players
- Se faire racheter par un acteur du retail (ce qui est déja souvent arrivé, Pecheur.com, CDiscount, Pixmania mais aussi Oclio étant passés par là)
- Aller soi-même dans le retail (là ou 75 à 80% des ventes se feront encore dans 10 ans)
Avec une conclusion simple : le nombre de purs Pure Players restant sur le marché, et d'une taille significative, sera forcément extrêmement réduit.
Maintenant, l'eCommerce a une caractéristique fondamentale que ne possède pas le retail : les coûts fixes pour opérer peuvent être extrêmement bas.
Dans le retail, entre l'achat et l'amortissement du fond de commerce, le loyer mensuel, les frais de personnels fixes pour couvrir les plages horaires, et évidemment des stocks pour garnir les rayons, les coûts pour commencer à faire le 1er € de CA sont très important. L'avantage par contre est que quand on a un emplacement de choix, le trafic vient alors naturellement, et les ventes avec.
En eCommerce, c'est tout le contraire : si ouvrir un site ne coûte finalement pas grand chose, la visibilité coûte elle très cher (et bien plus cher finalement que dans le retail physique), mais c'est une donnée variable. Un eCommerçant peut ainsi très bien opérer de façon extrêmement légère, avec des coûts opératoires réduits, et moduler l'intensité de la visibilité (SEO, SEM, etc) en fonction des economics, des risques qu'il veut ou pas prendre, de sa volonté ou pas de grossir, etc.
Ainsi, un eCommerçant malin peut très bien faire quelques centaines de commandes par mois (soit un CA de quelques centaines de K€ à quelques millions en fonction de la taille du panier moyen), et rester rentable, donc pérenne, grâce à une structure centrale extrêmement légère, et la plupart des autres coûts variabilisés. Beaucoup peuvent aussi travailler en temps masqué, en marginal. J'ai ainsi un certain nombre d'amis qui se font des petits business eCommerce complémentaires, forcément rentables puisqu'ils n'ont pas de coûts fixes !
Mais attention, il ne faut pas alors aspirer à une très forte croissance rapide ni une taille importante qui nécessiteraient alors l'emploi d'une infrastructure plus lourde, qui pénaliserait en retour la rentabilité. Voir à ce sujet mon article de juillet 2011 sur la problématique de taille et de ventre mou en eCommerce.
Pour peu qu'on soit malin, réaliste, qu'on comprenne un minimum les choses en eMarketing (SEO, SEM, affiliation, etc), que les economics soient adéquats (marge brute, nette de logistique vs coût d'acquisition client), qu'on soit vraiment frugal comme un commerçant doit l'être, qu'on sache bien négocier en amont, qu'on possède un vrai sens du client et du service, on a bel et bien un potentiel de business viable, rentable et donc pérenne. On ne vise pas ici 10M€ de CA, mais quelques millions au mieux avec quelques centaines de K€ d'EBIT, et cela est déja très bien (et ce ne sera pas non plus facile) !
Plus-de-Bulles (le roi du champagne en ligne avec le choix le plus large, de trè!s nombreuses exclusivités de haut niveau les meilleurs prix et un service top), ou Dino & Dino (les chaussettes super premium Made-in-Italy, à un prix tout doux) sont de ce type. Des purs Pure Players de ce style, équivalent numérique de la "boutique de quartier", on pourrait en avoir des dizaines de milliers. Ils peuvent se focaliser sur des niches extrêmement pointues, chose quasi impossible à faire dans le physique en raison de l'importance des coûts fixes pour opérer.
Alors, en synthèse, voila comment je verrais le panorama des purs Pure Players dans 10 ans en France :
- D'un côté une infime minorité (quelques dizaines tout au plus) de très grands Pures Players ayant atteint la taille critique pour opérer rentablement sur la durée en restant 100% eCommerçants, réalisant de quelques dizaines à quelques centaines de millions d'€ de CA suivant les secteurs, voire des milliards pour des acteurs internationaux, à commencer évidemment par Amazon qui boxe dans une autre sphère (où il est seul !).
- De l'autre des dizaines de milliers de petites boutiques malignes faisant entre quelques centaines de K€ et quelques millions d'€ de CA, pérennes grâce avant tout à une structure de coûts fixes réduite à sa plus simple expression (ie un patron polyvalent, homme-orchestre pilotant partenaires et sous-traitants payés au variable).
Recent Comments