Allez, rentrons dans le débat...
Suite à la chronique et la position claire de Jean-David Chamboredon (ISAI) dans La Tribune, "une loi de finances anti start-up" le 28 septembre dernier, une "fronde" s'est développée en fin de semaine dernière avec le mouvement "les Pigeons" qu'on retrouve sur FaceBook et Twitter, avec respectivement 33,000 fans et 6300 followers.
Soyons clair, le projet de Loi de Finances 2013, en prévoyant de taxer jusqu'à plus de 60% les plus-values sur capital, fait objectivement courir un certain risque au financement de start-up. Personne ne pourra nier que prélever 60% de la plus-value ne va pas dans le sens d'encourager l'investissement.
Ceci étant...
Ci et là sur les fils Twitter et Facebook des "Pigeons", je constate et déplore de larges excès que je n'approuve pas, et estime qu'ils finissent par être contre-productif. Certains sont même sanguins et émotionnels sur le sujet, et cela ne sert à rien. La noble "cause" entrepreneuriale risque de prendre un coup si trop d'excès verbaux sont commis sur les réseaux sociaux, qu'on est pas obligé de prendre pour des défouloirs. Même si une petite part de révolte (raisonnable) c'est aussi le propre de l'entrepreneur; faut pas trop brider non plus ! J'ai une certaine bienveillance pour ces excès...que je ne partage pourtant pas !
Je préfère très largement les propos mesurés et constructifs qu'a tenu mon ami Patrick Robin sur BFM hier matin avec Stéphane Soumier. Ou encore les points pertinents qu'a fait Gille Babinet : l'entrepreneur typique prend des risques et fait de gros sacrifices, il ne se paye pas ou pas beaucoup, si ce n'est via le capital...ultérieurement...éventuellement (ce qui est 100% mon cas actuellement). C'est juste leur "modèle" économique personnel et il faut donc tout de même prendre cette réalité en compte sinon on affecte le système.
De façon fondamentale aussi, je suis contre toutes les positions qui se contentent voire se complaisent dans la critique et le négatif, et pense que seul le dialogue, la pédagogie et le travail de fond peuvent - éventuellement - arriver à faire bouger les choses. Enfin, à titre personnel, je n'aime pas trop être embrigadé dans un quelconque mouvement, dont je ne peux contrôler ni les positions ni les excès. J'aime trop ma liberté de parôle et d'action pour laisser d'autres parler à ma place.
Ainsi, je sympathise pour "les pigeons" car je comprends certaines positions, mais n'entends pas non plus y jouer un rôle actif, ni à titre personnel ni au nom de l'Accélérateur..
Il est d'ores et déja prévu que France Digitale, qui regroupe une centaine d'entrepreneurs du numérique et de nombreux VCs (dont ISAI et Partech, partenaires fondateurs de l'Accélérateur) rencontrent Fleur Pellerin pour lui étayer leur vision et lui expliquer les conséquences prévisibles de ce projet.
Ceci est une excellente chose dont on espère qu'elle contribuera à faire bouger les lignes. Il faut un dialogue, oui il faut tous faire des efforts, et il faut aussi des lois qui aient du bon sens et qui ne détruisent pas de la valeur (je ne parle pas de "justice", je ne parle pas non plus de "loi confiscatoire" car là on rentre dans un domaine très glissant)
Ceci étant, je tiens aussi pour ma part à bien relativiser tout cela et mettre en contexte :
- La taxation maximale prévu" s'appliquera pour les sorties rapides puisque des déductions sont prévues en fonction de la durée de détention. Et ce qui est réinvesti (via un holding notamment) ne sera ainsi pas taxé. En clair, cela encourage un entrepreneuriat long terme et dissuade les "coups financiers" et les sorties rapides.
- L'entrepreneuriat, ce n'est pas uniquement rapidement lever des millions d'€, puis des dizaines, voire des centaines de Millions d'€, pour devenir le prochain Facebook ou Google ou revendre très rapidement en faisant un joli coup (modèle Samwer). Pour la très grande majorité des entrepreneurs, il s'agit aussi de construire dans la durée, et c'est un projet de vie, pas de 2 ou 3 ans. Michel & Augustin ont démarré avec 200K€ et s'en sont contentés pendant 7 ans pour arriver à 15M€ de CA. L'Accélérateur a d'ailleurs clairement pris position, notre mission et de sélectionner et de former intensément des entrepreneurs à succès qui savent construire dans la durée des sociétés pérennes, ce en levant le moins possible de capitaux. Parce qu'ils sont frugaux, parce qu'ils savent choisir un chemin, un modèle, une niche, où l'autofionancement peut parfois être suffisant, du moins dans un 1er temps.
- Maintenant, certains projets, du moins à un certain stade de développement, demandent objectivement beaucoup de capitaux. Le web et la techno sont souvent de ce type et je comprends ainsi les positions de France Numérique. Et pour construire des champions à dimension mondiale, il faut nécessairement beaucoup de capitaux, end of story (mais la les financements viennent souvent des anglo-saxons qui ont les poches très profondes !).
- Les entrepreneurs du web, peut-être aussi encore en séquelle des annéees folles 1999-2000, souffrent ponctuellement d'une mauvaise image, même si c'est parfois à tort : accusés de court termisme, visant des "valos" déconnectées, des business plan de croissance hyper aggressifs, etc. Le monde entrepreneurial ne se résume pas au web, minoritaire évidemment, mais le mouvement "Pigeons" est bien trop web-oriented, ce qui fait de facto peser un risque d'image et de crédibilité. Ainsi, certains s'élèvent d'ailleurs déja contre les "Pigeons", ICI, ou LA, et ils ont des points. Proposer d'ailleurs d'encourager les grandes fortunes à investir dans les PME françaises en relevant par exemple les plafonds de la loi TEPA est certainement une piste constructive à creuser.
- Tout aussi fondamentalement, je pense que le propre de l'entrepreneur est aussi de s'adapter, de se battre, d'avancer, pas de se plaindre ni de rester dans la critique. Manifester, pour un entrepreneur, ça me semble même presque antinomique. La fiscalité, comme je l'écrivais le 10 septembre, n'est d'ailleurs qu'un des nombreux paramètres pour favoriser le lancement et la réussite d'entrepreneurs. Bien plus confiscatoire dans la création de richesse que la fiscalité, il y a le manque d'humilité, de pragmatisme, de lucidité et d'agilité !
- Il est bon que des entrepreneurs successful et mesurés prennent publiquement la parôle et argumente avec les Ministres pour leur expliquer les choses sereinement, mais moi je ne me sens pas personnellement totalement adéquat pour ce combat de lobbying. Je crois que ma place est vraiment ici à l'Accélérateur à former pratiquement nos entrepreneurs, leur inculquer la bonne méthodologie pour entreprendre, veiller à leur humilité, leur faire se poser les bonnes questions au bon moment, les pousser à se remettre parfois en cause personnellement, leur demander de rester critique et lucide sur leur produit et leur modèle pour s'adapter en permanence, leur ouvrir des portes, etc. Maintenant, je ne serais pas contre faire un atelier "les clés du succès entrepreneurial" à destination de Montebourg, Pellerin et Moscovici, notamment, et pourquoi pas aussi Hollande. Faire acte de pédagogie, oui.
- Soyons enfin clair, comme toujours les plus malins, les plus connectés, trouveront toujours des chemins pour passer au travers, en faisant ce qu'il faut : il va notamment y avoir de la délocalisation de fonds et d'équipes, des holdings vont se créer...Le seul problème, comme me le disait un VC ce matin, c'est qu'on passe ainsi beaucoup de temps à ceci au détriment du "vrai" business. Le malheur des uns fait le bonheur des autres, les fiscalistes peuvent se frotter les mains, ils vont avoir du travail ! C'est une vraie spécialité française que de pondre des lois qui ouvrent ensuite la voie à de nombreuses "optimisations" !
MAJ Jeudi 4 octobre : Tiens, petite phrase trouvée dans USA Today suite au débat Obama - Romney : "Salesforce.com CEO Marc Benioff said Silicon Valley entrepreneurs rarely consider tax policy in deciding where to begin companies, saying it's "ridiculous" to assert that changes in capital gains taxes and top tax rates will have a meaningful impact of formation of high-growth start-ups".
Michel, le lien vers ceux qui s'élèvent contre les Pigeons redirige vers un de tes articles du blog...bug?
Posted by: Jérôme | October 03, 2012 at 03:43 PM
Oups, sorry, corrigé !
Posted by: Michel de Guilhermier | October 03, 2012 at 03:47 PM
hum. compliqué tout ça, on entend tout et son contraire. Ca commence par les propos de Marc Simoncini ecouter, où le fisc considèrerait sa holding comme un patrimoine et non pas comme son outil de travail. Est-ce vrai?
Et puis, finalement tout ça concerne l'IR uniquement. L'IS reste inchangé, ou juste à la marge pour les grandes entreprises. Ne suffirait-il pas d'investir à travers un holding et y laisser les plus-value?
Posted by: Jérôme | October 03, 2012 at 04:04 PM
Oui, tout ce qui touche à la fiscalité est compliqué.
Oui, Marc bataille avec le fisc qui veut intégrer Jaina dans la patrimoine et donc base ISF...
Posted by: Michel de Guilhermier | October 03, 2012 at 04:05 PM
Au fond, ça ne concerne vraiment que le peu d'entrepreneurs qui ont fait ou font des plus-values en M€ ou plus. Et il serait indécent pour eux, tout aussi fondé que cela puisse l'être, de se plaindre dans le contexte actuel. J'en fais partie et bien que je n'aime pas l'idée de l'entrepreneur qui se plaint (http://kiad.org/2010/11/10/etre-entrepreneur) il faut bien avouer que ça demande bcp d'effort de retenu :)
Posted by: Olivier | October 03, 2012 at 04:16 PM
En tout franchise, il n'y a aucune discussion possible, la gauche (au sens large) ne veut rien entendre et est actuellement dans une phase "Mort à Sarko".
Je regarde la chaine parlementaire tout les jours, les questions au gouvernent, les commissions, les débats, etc etc ... et sur chaque sujet, c'est la même phrase "sous Sarkozy, il a été fait ceci, celà.... nous voulons rétablir la justice machin" ... peu importe, la question, le sujet, qu'on parle de fiscalité, hôpitaux, police, décentralisation, agriculture, entreprise, ...
Pour dialoguer, il faut certes expliquer, mais surtout il faut que l'autre écoute, ce qui n'est pas le cas, alors tout dialogue est inutile.
Laissez les faire, ils sont tous convaincu que la nouvelle banque de financement publique va prendre le relais des quelques investisseurs qui se retiraient.
En plus, foncièrement la gauche a fait un grand bon, maintenant, être patron de PME/TPE, entrepreneur ou dirigeant d'une JEI est cool. Bientôt ils feront la différence entre un Business Angel et Morgan Stanley !!
Posted by: Sylvain Gendrot | October 03, 2012 at 05:58 PM
Bravo pour ce billet plein de sagesse, et très intéressant.
La passion des pigeons commence à leur faire perdre la raison, et les posts qu'on voit fleurir un petit peu partout sur le web à ce sujet sont de plus en plus contre-productifs... Les pigeons devraient mettre à profit leur ailes pour prendre un petit peu plus de hauteur dans ce débat ! :)
Posted by: Flo | October 03, 2012 at 06:13 PM
C'est fascinant pour moi de Voir a quel point ces debats fiscaux ignorent completement l'international. La fiscalite c'est in outil concurrentiel, Le but devrait être de devenir le meilleur pays ou entreprendre.
Posted by: Fred destin | October 04, 2012 at 11:34 AM
Merci pour ce billet d'actualité, l'apaisement est aussi un facteur de stabilité et donc de croissance...
Cependant,
"les plus malins, les plus connectés, trouveront toujours des chemins pour passer au travers" des gouttes? Le beau temps c'est pas mal aussi...
Et pour le commentaire de Marc Benioff, "it's "ridiculous" to assert that changes in capital gains taxes and top tax rates will have a meaningful impact of formation of high-growth start-ups" probablement ok dans un environnement ou "les financements viennent souvent des anglo-saxons qui ont les poches très profondes"...
Mais pourquoi donc alors ces financements viennent des anglo-saxons si ce n'est dû aussi à la fiscalité en amont de ces capitaux...
Reconnaissons que ce n'est que peu transposable au régime français actuel.
Posted by: Will | October 04, 2012 at 11:50 AM
Je suis en effet surpris du nombre impressionnant de jeunes créateurs qui se posent la question de la taxation de leur futur plus-value … qu’ils concentrent leur énergie sur la création d’un business rentable et pérenne … pour le reste il y a les avocats fiscalistes !
Posted by: Guillaume | October 04, 2012 at 12:28 PM
Il existe encore des hommes prêts à prendre des risques. Et au-delà de la querelle sur le montant précis de la taxe qu'on leur réserve, leur argument est économiquement justifié. L'alignement de la taxation du capital sur celle du travail revient à mettre au même niveau un salaire - fixe et a priori sûr de tomber chaque mois - avec un revenu totalement imprévisible et par définition risqué. Cela équivaut pour l'État à dire à un agriculteur: «si votre récolte échoue vous perdez tout, si elle réussit j'en récupère 60 %». Bercy répond que grâce au lissage des plus-values dans le temps on favorisera la détention longue, donc le développement de PME pérennes. Ce faisant, les énarques ignorent l'un des enseignements de base des écoles de commerce: un créateur, celui qui innove et prend des risques, n'est pas forcément un bon manager. Et au bout d'un certain temps, lorsque ce créateur doit se transformer en manager il peut devenir, paradoxalement, une menace pour la croissance de son entreprise. Mais cela, aucun des 38 membres du gouvernement Ayrault ne pouvait le savoir, puisque 37 d'entre eux n'ont jamais mis les pieds dans une société privée…
PS Ce n'est pas moi le dit mais le Figaro , un certain Cyrille Lachèvre. C'est du bon sens. Les efforts de pédagogie des MEDEF, CGPME n'a pas réussi cet été. Seule la peur de perdre la face fera bouger ce gouvernement et Président. Et pour une fois, nos "amis" anglais nous aide à faire passer le message...
Posted by: Jean Bernard | October 04, 2012 at 12:35 PM
Tout à fait d'accord avec Marc Benioff dont je ne peux que recommander la lecture de son livre autobiographique...
Je pense que les meneurs sont surtout inquiets de la rétroactivité au 01 janvier 2012 de la taxation. Un entrepreneur a d'autres chats à fouetter que de s'inquiéter de la fiscalité de la sortie...comme vous le rappelez fort justement Michel.
Posted by: Michel Nizon | October 04, 2012 at 01:55 PM
@Fred, en ligne !
Posted by: Michel de Guilhermier | October 05, 2012 at 07:26 AM
Merci pour ce billet de la mesure, comme vous savez en écrire, alors que nous sommes trop souvent confrontés à la démesure et aux postures excessives.
Posted by: cedric nattagh | October 05, 2012 at 09:06 AM
@ Fred Destin: NON: ne jouons pas à une guéguerre internationale sinon les règles sont dictées par le Delaware, le Lux, l'Irlande et autres paradis fiscaux et on voit bien depuis quelques décennies où ce petit jeu nous a mené....
Il y aura toujours un moins disant.
Posted by: Mamas | October 05, 2012 at 11:41 AM
POKE
;-)
merci pour le clin d'oeil Michel
Posted by: ROBIN | October 05, 2012 at 11:13 PM
La hausse des impôts fera exploser la fraude fiscale, l'économie grise va prendre 20% du marché et les gros feront faillite, car eux ne pouvant pas frauder l'impôt, ils ne seront plus compétitif... d'autant plus s'ils doivent proportionnellement payer plus.
Après rupture vraisemblable de l'euro et éventuelle abolition de l'argent liquide, l'économie grise fera 70% du marché...
Cette déconnexion avec la réalité n'a d'égale que la mièvrerie socialisante des HEC...
Posted by: Alexandre M. | October 06, 2012 at 05:31 AM