Le Price Earnings Ratio est un indicateur intéressant pour apprécier la valorisation d'une société, mais je préfère grandement me focaliser sur le cash, avec 3 indicateurs clés :
- Cash net disponible : le cash net de l'endettement
- Free cash flow : cash flow opérationnel net des réinvestissements nécessités par l'activité.
- Valeur d'entreprise/free cash flow : la valeur d'entreprise est le prix qu'un investisseur payerait en net pour acquérir une société, à savoir la market cap - le cash disponible + dettes. Ce ratio donne donc le nombre d'années qu'il faut à un investisseur pour générer le cash pour payer son acquisition, c'est donc une mesure de la "cherté" d'une société, du point de vue du cash. A noter qu'on pourrait aussi faire Valeur d'Entreprise/Operating Cash Flow, donc faire fi des réinvestissements nécessaires, ce qui est valide si l'investisseur voulait "milker" la société, et donc ne réinvestirait pas en Capex ou très peu.
Pour comparer sur ces metrics Apple (AAPL), je prends 8 autres sociétés significatives, toutes avec une market cap de plus de 100Mds$ :
- 2 grosses sociétés "consumer goods", au modèle très largement éprouvé depuis des dizaines d'années : Coca Cola (KO) et Procter & Gamble (PG).
- 3 sociétés high tech au profil différent : Microsoft (MSFT) leader mondial du logiciel avec de superbes vaches à lait (Windows, Office, etc), à la croissance aujourd'hui extrêmement faible et de gros challenges à surmonter dans le "post PC era"; Cisco (CSCO) qui a également eu le privilège il y a 12 ans d'être la 1ère capitalisation boursiere au monde mais qui peine aujourd'hui à retrouver une forte croissance; HP (HPQ) dont on connait les gros problèmes depuis 3/4 ans.
- Exxon (XOM) : 1er pétrolier mondial, 2ième plus gros chiffre d'affaires mondial (après Walmart), redevenu depuis cette semaine 1ère capitalisation boursière mondiale devant Apple.
- Berkshire Hathaway (BRK) : le conglomérat de Warren Buffett, qui investit dans des business stables, prévisibles, générant beaucoup de cash, avec une importante marge de sécurité quant au prix payé.
- Amazon (AMZN) : leader mondial de très loin de l'eCommerce, mais surtout société unique au modèle maintenant polymorphe, dont les avantages concurrentiels font tellement rêver les investisseurs qu'ils acceptent de payer un prix étonnant pour cette société...
Cash net disponible :
Le trésor de guerre d'Apple est totalement hors norme. En clair, il apparaît évident qu'ils ne savent pas très bien quoi faire de tout leur cash actuellement et que l'activité ne génére pas assez d'opportunités pour investir efficacement les liquidités.
Après des années compliquées, où Apple à failli mourir, ils sont devenus paranos, mais à ce niveau là on arrive plutôt à une aberration financière. La société dispose de 138Mds$ de cash et strictement aucune dette bancaire (+21Mds$ au seul dernier trimestre !). Ils ont annoncé il y a 6 mois vouloir consacrer 40Mds$ dans les 3 ans à venir aux dividendes et rachats d'action, mais sur les 300Mds$ de trésorerie + le cash généré sur ces 3 ans, ce sera toujours une goutte d'eau. Bientôt, ils vont pouvoir se payer cash Microsoft (180Mds$ de valeur d'entreprise) et même Google (200Mds$ de valeur d'entreprise) !
Les sociétés de consumer goods tels Coca Cola ou Procter & Gamble ont par contre un gros levier d'endettement avec plus de dettes que de cash disponible. Le record à ce niveau est chez General Electric, avec 500Md$ d'endettement, mais placés dans des business stables générant de gros cash flow stables et prédictibles.
Free Cash Flow :
Même si au dernier trimestre la croissance du bénéfice net fut nul, le free cash flow a augmenté de 30%. Apple reste une incroyable et fabuleuse machine à cash et pour redonner un ordre de grandeur, ils ont généré sur le Q4 2012 autant de cash net que Microsoft a fait de de chiffre d'affaires (+21Mds$, 23Mds$ de cash flow opérationnel - 2Mds$ capex) !
Valeur d'Entreprise/Free Cash Flow :
Actuellement, la "cherté" d'Apple est la même que celle d'HP, une société dont le chiffre d'affaires a stagné voire baissé depuis 3 ou 4 ans (à environ 120Mds$) alors qu'entre 2009 et 2012 Apple a triplé de taille...Il faut moins de 5 ans pour générer le cash nécessaire à se payer Apple ou HP, contre 20-30 pour ces mastodontes établis que sont Procter, Coca et Exxon. Amazon est hors norme, sur une autre planète, il faut la bagatelle de 62 ans, ce qui reflète des anticipations de croissance du cash généré extrêmement elevées.
Ce que cela veut dire pour Apple , c'est que les investisseurs anticipent actuellement le pire (et pour Amazon le contraire !), stagnation voire même un déclin du CA et du cash flow généré. En clair, les beaux jours d'Apple sont derrière, la société ne peut maintenant que stagner...at best...
Ainsi, acheter Apple au prix actuel, c'est simplement faire le pari que la croissance du CA, des profits et du cash va continuer, ne serait-ce même que faiblement. A titre personnel, je pense que ce pari est quasiment un "no brainer". Même si Android gagne des parts de marché (ce qui ne fut pas le cas aux US sur le dernier trimestre), même si Windows Phone pourrait sans doute progresser, Apple surfe sur 2 marchés immenses, les smartphones et les tablettes, qui ne sont certainement pas encore arrivés à saturation. Il se vend actuellement 800M de smartphones/an, soit 45% du total des mobiles vendus, on devrait sans doute monter à 75/80% dans les 5 ans, soit un potentiel de 1,3 à 1,4Mds d'appareils par an. Et en ce qui concerne les tablettes, on en a vendu environ 120M en 2012 mais le potentiel se situe en centaines de millions...En clair, les 2 marchés sous-jacents clés d'Apple devraient au cumul encore doubler dans les années à venir. Même en perdant un peu de part de marché, même en perdant un peu de marge brute, il reste bien un réservoir de croissance pour Apple.
Alors, oui il y a des menaces, des risques, des challenges, des concurrents sérieux, les investisseurs se focalisent exclusivement dessus actuellement, mais - de facto vu le peu de cherté de l'action - ils font aujourd'hui fi des opportunités ainsi que de l'énorme eco-système mis en place par Apple. Ma conviction est qu'Apple a largement les ressources pour continuer à croître sur ses marchés phares : elle a une marque, un eco-système, une R&D, des technologies, une importante base de clients fidèles, un superbe réseau de distribution...
Comparer Apple à RIMM et Nokia, stars déchues du passé, ne me paraît pas un raisonnement valide : ni leur marque, leurs technologies, leur eco-système et leur réseau de distribution n'étaient comparables à celui d'Apple avant leur chute.
Par ailleurs, Apple, a certainement la possibilité de venir croître sur d'autres marchés. On parle beaucoup de l'iTV, la télé connectée d'Apple. Elle ne viendra peut-être pas (je pense cependant que si), mais la forte croissance de son petit boitier permettant du streaming simple (Apple TV), qui a encore doublé en volume en 2012, est bien un signe qu'il y a des choses à faire dans ce domaine. Certes, peu de chances qu'Apple trouve de nouveaux marchés aussi fabuleux que celui des smartphones et tablettes, mais on a pas non plus à parier sur une croissance de plusieurs dizaines de milliards par an (à titre indicatif, l'iPad qui n'existait pas il y a 3 ans aura généré prés de 35Mds$ de CA cette année, soit les 2/3 du CA annuel de Google) !
Factuellement, je rappelle encore que le free cash flow a augmenté de 30% au dernier trimestre et qu'il y a toutes les probabilités que cela continue en 2013, et en tout cas que la croissance du cash flow d'Apple ne s'arrête pas subitement comme le nuage de Tchernobyl s'est arrêté net aux frontières de l'hexagone ! Le CA a par ailleurs aussi continué à croître de 18% au dernier trimestre, et même de 27% si on tient compte de la semaine de moins.
Enfin, au delà du pari à prendre sur les performances commerciales et opérationelles d'Apple, il y a un autre pari assez simple à faire en parallèle, celui qu'ils vont quand même arriver à bien mieux gérer leur cash que ce qu'ils font aujourd'hui : augmenter le dividende, accélérer le programme de rachat d'actions, ou une grosse acquisition pertinente...Apple étant aussi devenu quelque part le plus gros hedge fund du monde, pourquoi ne pas mettre quelques tickets dans Google, façon de leverager le risque !? Je plaisante, mais ils le pourraient, de même que bientôt ils pourront se payer Google sans problème.
A noter aussi que, tant qu'à investir (sur le long terme évidemment) dans une société importante et stable, Berkshire Hathaway semble un meilleur deal que Coca Cola, Procter & Gamble ou Exxon. Certes, l'âge avancé de Warren Buffet (83 ans) fait peser des risques à terme, mais au delà de l'homme, Berkshire est aussi devenu un "système" complet et une superbe machine à cash, avec au coeur du moteur des activités d'assurance apportant d'importantes liquidités à placer, ce de façon récurrente.
Il y a quelques mois, j'avais dit que j'étais très inconfortable avec un Apple à 700$, trop haut trop vite, et j'avais écrit que je m'étais assez fortement délesté. J'en ai évidemment racheté dans la descente, à 600$ d'abord, puis un peu plus à 500$, et maintenant beaucoup plus à 450$. Je vais continuer à le faire, et il ne me restera alors plus qu'à attendre que Mr Market change d'humeur !
belle analyse, d'accord à 100%
Posted by: pascalv | January 27, 2013 at 12:18 PM
Acquisition(s), dividende, rachat d'actions, dons à des œuvres caritatives (humour noir).
A voir ce qu'ils vont bien pouvoir faire de cette montagne d'argent.
Pour AMAZON, la valorisation m'a toujours laissé plus que perplexe, malgré les fondamentaux. Faut avoir la foi.
Posted by: Nicky | January 27, 2013 at 08:38 PM
Le cash d'Apple géré par son Hedge Fund exclusif, Braeburn Capital, ne serait en fait pas géré en bon père de famille mais serait au contraire géré de manière très agressive avec prés de $1 Md $ de valeur notionnelle échangés en moyenne chaque jour.
Leur cash n'est peut etre finalement pas si mal utilisé que cela.
Regardez l'article suivant très bien fait et très détaillé pour plus d'infos à ce sujet.
http://www.zerohedge.com/news/2013-01-27/600-billion-trades-four-years-how-apple-puts-even-most-aggressive-hedge-funds-shame
Posted by: Guillaume V. | January 28, 2013 at 07:09 AM
Merci Guillaume, l'article est en effet excellent, ils pointent sur certaines choses, mais on en est réduit à des hypothèses concernant l'utilisation de ce cash.
Il finit quand même en disant qu'il n''est pas impossible qu'il soit surtout investi en "fixed income"...
Posted by: Michel de Guilhermier | January 28, 2013 at 08:05 AM
Limpide ! Merci Michel.
Posted by: Seb | January 28, 2013 at 08:32 AM
Sic transit gloria!
Analyse intéréssante amha :))
http://www.guardian.co.uk/technology/2013/jan/27/facebook-apple-only-way-is-down?CMP=twt_gu
Posted by: Vincent | January 28, 2013 at 10:42 PM
Un autre article intéressant sur les résultats d'Apple : http://sequoiacapital.tumblr.com/post/41794001551/perspective-on-apple-amid-the-clamour
Posted by: Thomas | January 29, 2013 at 07:53 PM
Merci Thomas, l'article n'est pas écrit par n'importe qui, Michael Moritz connait extremement bien Apple pour avoir approché de très près l'entreprise à ses débuts et avoir même écrit un livre dessus (The Little Kingdom en 1984 et Return to the Little Kingdom en 2010)
Posted by: Michel de Guilhermier | January 29, 2013 at 08:13 PM