Le marché avant largement anticipé qu'Apple annoncerait le 10 septembre un iPhone "low cost", ie 399$, pour attaquer efficacement les marchés émergents en forte croissance - notamment la Chine - où elle se fait maintenant largement distancer par des alternatives bien moins coûteuses dotées d'Android.
La part de marché d'Apple en Chine - 1er marché mondial avec plus de 300M d'appareils - est ainsi sous la barre des 5%...
Pourtant, à la surprise quasi générale, Apple n'a pas sorti d'iPhone low cost mais a essentiellement choisi de se renforcer dans le milieu et le haut de gamme en sortant 2 produits, un 5C à 549$ qui reprend en gros les caractéristiques techniques du 5 avec un habillage en plastique de couleur, et un 5S à 699$, doté lui de technologies plus avancées.
Le message est clair, Apple ne poursuivra pas une stratégie de volume à tout prix et préfère se focaliser sur le segment milieu/haut de gamme aux plus fortes marges évidentes, segment qu'elle estime suffisamment large aujourd'hui pour sortir 2 appareils à la fois, ce qui est une 1ère à Cupertino.
Si le marché n'a pas apprécié cette stratégie - l'action a en effet dévissé de près de 9% depuis les annonces, soit près de 40Mds$ de capitalisation boursière en moins - la vraie question est de savoir si cette stratégie sera gagnante, permettant bien à Apple de continuer d'augmenter CA et profits à un bon rythme. De nouveau, oui il est clair que la part de marché d'Apple devrait continuer à s'éroder avec une telle stratégie, puisqu'elle restreint le marché accessible, mais le point n'est pas là.
Dès le lendemain de l'annonce, 3 ou 4 analystes ont "downgradé" Apple. Sacrés analystes, il est de notoriété publique que ce sont des penseurs libres, maîtres es stratégie, sachant toujours mieux que les entreprises elles-mêmes ce qui est bon pour elles !
En sanctionnant fortement Apple pour ne pas avoir sorti de modèle low cost, le marché semble ainsi penser que la seule une stratégie de volume avec un appareil low cost peut être gagnante pour Apple. Et en ne la suivant pas Cupertino s'apprête à revivre dans les smartphones ce qu'elle a connu dans l'industrie du PC, elle va se faire marginaliser et revivre ses heures les plus sombres...
L'hypothèse sous-jacente de ce genre de raisonnement est nécessairement que le marché du smartphone va se commoditiser, et seule une stratégie de masse pourrait alors fonctionner. Une stratégie de différenciation et de haut de gamme, qui marche dans l'industrie du luxe ou dans l'automobile
avec par exemple un Audi qui ne dépasse pas 2% du marché mondial,
ne pourrait pas être pertinente pour l'industrie du smartphone.
Ce postulat m'apparaît d'autant plus étonnant que, de manière très factuelle, le seul constructeur qui gagne vraiment bien sa vie aujourd'hui dans cette industrie commoditisée qu'est devenu le PC...c'est justement Apple avec sa stratégie de différenciation ! Certes, Apple n'a peut-être que 5 ou 6% du marché mondial du PC, mais au moins sa division Mac est (très) rentable avec des marges brutes de l'ordre de 30%, très supérieures à ce que les PC-makers gagnent. Dans le monde du PC, tous les profits vont vers Microsoft et Intel...
Toujours factuellement, si Apple n'est pas plus aujourd'hui qu'hier dans le low cost, je constate qu'au dernier trimestre ses ventes de smartphones ont fait un bond de +30% vs 2012, ce qui était supérieur à la croissance du marché. Et je note aussi que la part de marché d'Apple remonte aujourd'hui assez clairement aux US, elle a atteint 40% récemment, un plus haut historique.
En clair, être absent du low cost n'empêche visiblement pas Apple aujourd'hui d'afficher de belles performances, tant en volumétrie qu'en CA, même si encore une fois sa part de marché se dégrade mécaniquement. Et question profit, il est évident que les constructeurs chinois de smartphones low cost ne doivent pas en engranger beaucoup. Quant à Samsung, s'il a vendu 2,5 fois plus de smartphones qu'Apple lors du Q2 2013, il a aussi engrangé 2 fois moins de profits...
Autre argument avancé par les promoteurs d'une stratégie de volume : pour réussir, l'eco-système est capital, et plus il y a d'appareils vendus, plus l'eco-système sera intrinsèquement fort. En perdant du volume, Apple va perdre la bataille de l'OS et de l'eco-système, et rebelote comme dans les PC. Si l'importance de l'eco-système est en effet capital, je mets un bemol à cette relation mécanique volume - force de l'eco-système, avec 5 remarques principales :
- D'abord il y a la notion de taille critique. A partir d'un certain niveau de volume, l'effet d'un volume additionnel devient plus faible, et à partir d'un certain niveau, il est même marginal. Est-ce qu'Apple a atteint la taille critique sur le marché des smartphones ? Avec 700M de devices iOS vendus au total, je pense que oui, ce qui n'était pas le cas dans le monde du PC.
- Ensuite, si Android a disons 75/80% de part de marché aujourd'hui globalement, la réalité est que ce sont 80% fragmentés sur de nombreux types d'appareils. Pas sûr du tout que les développeurs apprécient d'avoir un parc aussi hétérogène. A noter aussi que de nombreux appareils Android ont la NFC, ce qui n'a pas permis à cette techno de percer, tout simplement parce qu'Apple ne la supporte pas. C'est qui le vrai leader ?!
- Question volumétrie, même si en effet Apple ne maximise pas ses ventes en se coupant du bas de gamme, à l'inverse d'un Samsung, elle devrait tout de même bénéficier de la croissance naturelle du marché. 900M de smartphones vendues actuellement, 1,7Mds attendues dans 4 ans. Et on peut aussi rappeler que l'iPhone 4S va dorénavant être "donné" dans le cadre d'un abonnement.
- Au delà de la volumétrie, il y a aussi l'usage. Et il semblerait que les propriétaires d'iPhone fassent un usage beaucoup plus intense de leur appareil que ceux d'Android. Par exemple, la part de l'iPhone dans le trafic web domine toujours largement les appareils Android. Il doit en être de même au niveau des Apps.
- Enfin, back to basics, back to products. Apple a failli disparaître dans les années 90 d'abord car elle ne faisait vraiment plus rien d'excitant. Et à partir du moment où Steve Jobs est revenu et où Apple a sorti l'iMac, les gammes de Powerbooks (ah le fameux Titanium), le MacBook Air, etc, la part de marché dans le monde PC est reparti à la hausse.
Alors, ce que je crois tient en quelques points :
- Rien n'indique ajourd'hui qu'une stratégie de différenciation ne peut pas fonctionner dans les smartphones, au contraire même. Sur un marché de 900M d'appareils aujourd'hui et 1700M dans 4 ans, il y a la place pour un très important segment haut de gamme.
- Evidemment, pour se différencier, il faut continuellement avoir des produits innovants au top. Et la, il n'y a pas plus d'assurance qu'Apple en aura dans 2 ans, dans 3 ans, dans 5 ans que pour Samsung ou d'autres. C'est le point clé.
- Avec environ 150M d'iPhone vendus en 2013 et une base installée mondiale sans doute de l'ordre de 200 à 250M de personnes (total de 420M d'iPhone vendus à ce jour), Apple a aujourd'hui largement atteint une taille critique, un eco-système fort et des économies d'échelle importantes.
- Les innovations apportées au 5S me semblent sous estimées dans leur potentiel (processeur 64 bits, le co-processeur M7, le capteur d'empreintes qui peut être un véritable game-changer, etc). C'est pour moi une belle évolution du 5, un vrai concentré de technologies nouvelles. Et l'appareil est toujours aussi exceptionnellement bien fini, et toujours aussi léger avec ses 112g.
- Le 5C, initialement proposé à 99$ avec un contrat, sera vraisemblablement offert pour 0 par moultes opérateurs. A 0€, on peut difficilement être plus low cost ! Ce en parallèle du 4S qui est bien déja offert dans le cadre d'un abonnement.
On en revient à la base, si la stratégie d'Apple peut parfaitement marcher, elle repose tout de même fondamentalement sur une capacité d'innovation forte, et sur la préservation de la valeur de la marque de manière générale. Une marque d'autant plus préservée par ailleurs qu'elle ne s'aventure justement pas dans le low cost. Le contraire aurait fait mécaniquement peser un risque.
Pour que sa stratégie de différenciation porte ses fruits, Apple doit donc continuer à fortement innover dans les smartphones, et si la firme échoue sur ce marché, c'est qu'elle n'aura pas su innover suffisamment, pas parce qu'elle ne se serait pas lancé dans la bataille du low cost. Ma conviction est que ce n'est pas son marché naturel. Apple n'a jamais fait de low cost, leur ADN n'est pas la dedans, pas plus qu'un Audi ne fait du Dacia, qu'un Louis Vuitton ne fait du Monoprix, ou qu'un Coca Cola ne fait de la marque distributeur ou du 1er prix.
Sur le plan boursier, je ne peux que réaffirmer les mêmes choses : avec 150Mds$ dans les caisses et un cash flow supérieur à 50Mds$, la market cap de 420Mds$ seulement intégre dèja très largement les éventuels problèmes futurs. Upside potentiel important, même si inconnu et non garanti, mais downside plus que très limité. Surtout avec un Carl Icahn qui rode autour et a réaffirmé qu'Apple était un "no brainer" !
A noter que le point haut de l'action Apple, 710$ environ, avait été atteint il y a juste 1 an !
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