Interviewé par Les Echos (parution ce matin), le PDG de Desigual déclarait que le online représentait déja 10% du CA (soit 85M€), 3 ans après le lancement, et qu'il visait 20 à 30% d'ici 5 ans.
Ca tranche avec un autre gros retailer de la fringue, particulièrement visionnaire, qui me disait en 2010 : "l'eCommerce a le potentiel d'un magasin, c'est tout"...J'avais beau lui expliqué que les ventes du online suivent la même mécanique que le retail - à savoir plus on est visible (pour le retail, c'est en nombre de magasins) plus on fait du chiffre, autrement dit que les ventes seraient une fonction de l'e-marketing, il n'en démordait pas...
Il avait tout compris, et pour compléter il faut préciser qu'il fut révoqué par la suite...
Dans l'article des Echos, le CEO Manuel Jadraque précise qu'il y a évidemment cannibalisation entre les canaux, mais que l'important est que la somme soit positive.
Position évidemment pragmatique de bon sens, mais qui suppose qu'un arbitrage soit fait par le haut, car s'il y a des responsables de canal qui se battent pour leur P&L, ça ne peut que coincer.
Ainsi, je me rappelle du CEO d'un grand groupe retail (plusieurs milliards d'€ de ventes) me disant il y a 1 an environ que plus ils poussaient leur web, plus ils apauvrissaient leurs magasins. Vu de cette façon, on rentre nécessairement dans une logique vicieuse et on en sort pas. La seule bonne façon de procéder est de raisonner globalement, tant en CA qu'en investissements nécessaires pour recruter et fidéliser des clients, en englobant tout : pour le retail c'est par exemple la construction et l'aménagement des magasins, les prises de bail, pour le web c'est par exemple l'achitecture et les équipes Internet, les équipes et les budgets marketing, etc.
Il faut aussi raisonner globalement car le consommateur raisonne de la sorte et a parfois besoin de plusieurs canaux pour acheter : il peut très bien souhaiter se déplacer physiquement pour voir, toucher et palper un produit ainsi qu'être conseillé, pour ensuite finaliser son achat sur Internet.
Apple, par exemple, raisonne de la sorte avec 2 canaux qui performent très bien : leur retail "pèse" environ 25Mds$, avec une rentabilité hors norme (plus de 20% du CA) et en même temps le CA estimé des sites online est de l'ordre de 10Mds$ en 2013, ce qui en ferait le 2ieme CA eCommerce au monde après Amazon.
Leur stratégie est de n'avoir que de superbes flagships (ils ont d'ailleurs arrêté le concept des mini stores), dans des endroits n°1 à fort passage, et le maillage est complété par le online qui permet d'accéder à tout le monde.
Cette stratégie ne marche évidemment que si on maîtrise totalement ses produits et leur pricing, et qu'on est pas un simple "box pusher" à vendre des commodités qu'on trouve partout, sinon le retail risque de se transformer en vaste showroom...pour des consommateurs finissant leurs achats sur des sites web où les produits sont moins chers...
Il y a 3 ans, le buzzword était "l'eCommerce est mort, vive le cross canal, voire même le multicanal". Quelle révélation extraordinaire, on (les gens du web) découvrait subitement que le consommateur lui n'était pas mono-canal...
Depuis 18 mois, le buzzword est "le magasin connecté", ce qui dans bien des cas s'avère être du bullshit plus ou moins fumeux avec un ROI hypothétique (même si la digitalisation du point de vente a évidemment du sens).
Aujourd'hui comme demain...mais aussi comme hier...la vraie problématique stratégique est une juste allocation et optimisation des ressources et de l'organisation (problème des barroniés cité plus haut) pour attaquer de front différents canaux et maximiser la croissance et la rentabilité globale...
Donnons un mot à cette problématique et ça va en faire un buzzword pour les 2 ans à venir, on parie ?! C'est juste du commerce..."global"...ou du commerce tout court !
Voila, la boucle sera bientôt bouclée, et entre temps aura fait vivre moultes consultants :
Commerce (retail) ==> eCOmmerce ==> Cross Canal ==> Multi Canal ==> Magasin Connecté ==> Commerce Global ==> Commerce !
Je suis 100% d'accord avec la logique d'un seul P&L global qui implique de ne pas se laisser imposer sa loi par des baronnies en interne, mais il n'en reste pas loin que la transition vers le digital peut poser des problèmes importants. Du point de vue du producteur, il risque de se tirer une balle dans le pied si il plante ses canaux de distribution actuels avant d'avoir réussi à atteindre un volume significatif en ligne.
Imaginons une boîte qui contrôle mal ses canaux de distributions, elle risque un gros effet Osborne [1] si elle annonce qu'elle va pousser sur les ventes en ligne et s'attire par là même l'ire de ses distributeurs physiques existants, qui sont probablement eux-mêmes en train de mettre en place une stratégie de vente en ligne...
Si on se met dans les pieds du CEO d'un grand groupe retail cité plus haut, qui doit probablement aussi gérer la grogne syndicale en interne lorsqu'il doit fermer des magasins physiques qui ne sont plus rentables, on peut comprendre ses réticences. Le changement reste inéluctable, mais la transition n'est pas facile à mettre en oeuvre.
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[1] http://en.wikipedia.org/wiki/Osborne_effect
Posted by: Guillaume Lerouge | May 14, 2014 at 12:39 PM
Bonjour,
Raison pour laquelle, les enseignes nationales composées de magasins indépendants ont beaucoup de difficultés à gérer l'évolution du poids du ecommerce dans leur CA total. Leur premier combat est de faire adhérer ces magasins indépendants au projet du commerce global... problème difficile à résoudre.
Merci pour vos analyses si pertinentes.
Posted by: Grégory | May 14, 2014 at 01:47 PM
" Leur premier combat est de faire adhérer ces magasins indépendants au projet du commerce global "
Idem pour les franchisés avec un variable sur CA boutique
Posted by: Gil | May 14, 2014 at 05:59 PM