Dans le passé, schématiquement, un producteur, une marque, vendait ses produits via un réseau de distribution qui - dans la très grande majorité des cas - ne lui appartenait pas, que ce soit des grandes surfaces alimentaires (GSA), des grandes surfaces spécialisées (GSS), au d'autres réseaux.
Pour atteindre, se faire connaître, apprécié et désiré par le consommateur, le producteur faisait du marketing au sens large, de la publicité, et négociait avec sa distribution une mise en linéaire et éventuellement une plus grande mise en avant que ses concurrents (une tête de gondole, une VBB, "Vertical Brand Blocking", ça coûte).
A noter que même si le produit était juste moyen ou simplement inadéquat et peu compétitif, le consommateur n'avait pas tellement d'autre choix que de prendre ce qu'il avait sous les yeux, ou alors à devoir faire le tour physique de moultes distributeurs en comparant longuement, ce qui était pratiquement compliqué. En clair, la simple présence physique était un alors avantage concurrentiel majeur. D'où l'adage selon lequel les 3 clés du commerce étaient "l'emplacement, l'emplacement, l'emplacement...".
Et celui qui était physiquement proche du consommateur, le distributeur, jouissait d'un avantage extraordinaire car c'est lui qui avait la relation avec le client final. Des fortunes se sont donc bâties en distribution, que ce soit les Walton avec Walmart aux US (la patrimoine des 4 enfants héritiers de Sam Walton est de très loin le plus important au niveau mondial, on approche des 200Mds$ !), les Albrecht avec Aldi en Allemagne, ou les Mulliez et autres Fournier & Defforey en France avec Auchan et Carrrefour. Notamment.
Et pour être présent physiquement en distribution, le discours des marques était simple, schématiquement : "Mr distributeur, mets moi sur tes linéaires, comme je fais de la publicité le consommateur va me rechercher, faira tourner tes rayons, et en plus je te concède une marge qui va te permettre de gagner de l'argent".
Au centre de tout, il y avait donc la relation, on dira plutôt la négociation, entre le producteur et le distributeur. Les marques n'entretenaient aucune relation directe avec leurs clients, si ce n'est pas du "push", des messages publicitaires et du marketing parfois de masse. Et comme disait un ancien dirigeant de Procter & Gamble ou un autre grand des consumer goods : "la moitié de mes dépenses marketing ne sert à rien, mais je ne sais pas quelle moitié" !
A noter aussi, que pour les marques très fortes comme Coca Cola, le discours était et est toujours plutôt "de toute façon Mr distributeur tu n'as pas le choix, si tu ne m'as pas sur tes linéaires tes clients partiront parce qu'ils me recherchent avant tout" ! Ce qui ceci étant n'empêche pas aujourd'hui les distributeurs de déréférencer ponctuellement Coca Cola, sur une référence moins importante (par exemple la canette de light sans caféine) ou une zone géographique. Des escarmouches permanentes en fait, un rapport de force qui ne faiblit pas.
Aujourd'hui, tout a changé, grâce à Internet et peut-être encore plus grâce aux smartphones :
- Le consommateur est parfaitement informé, en temps réel, sur les produits et leurs avantages, ainsi que sur les prix pratiqués par les différents marchands.
- Il a sous les yeux un vaste choix. Le concurrent n'est pas à 10' ou 30' à pied ou en voiture, mais juste à un click. Le consommateur, en pouvant ouvrir 2 fenêtres de son navigateur, a ainsi un véritable pouvoir d'ubiquité.
En un mot, le consommateur a maintenant le pouvoir, et le distributeur, qui avait l'avantage et la force de la présence physique près du consommateur, voit son pouvoir et son grip très fortement altéré.
La "grip" physique que les distributeurs, et les marques à travers les distributeurs, avaient sur les consommateurs, n'existant quasiment plus, qu'est-ce qui peut demain "souder" les consommateurs avec leurs fournisseurs ?
A cela, j'ai une première hypothèse de réponse pragmatique et humaine : le respect et l'amour !
Un consommateur ne sera fidèle (ou disons bien plus fidèle) à une marque ou une enseigne que s'il y a du respect et de l'amour.
Marques et enseignes vont devoir :
- Se faire respecter pour leurs compétences : la qualité de leurs produits et/ou de leurs services, ce qui inclue la qualité intangible, la force et la pureté de l'image véhiculée.
- Se faire aimer pour leurs valeurs. Dans ces valeurs, il y aura je pense notamment le respect du client, l'honnêteté en toute circonstance, l'inventivité et la volonté d'aller de l'avant, la générosité.
La force de la relation entre l'enseigne et le consommateur ne sera plus uniquement liée à la présence physique mais surtout au respect et à l'amour qu'elle aura su susciter.
En ce qui concerne la qualité des services, pour un distributeur, il faut constater que le consommateur, à cause d'Internet qui l'a habitué à l'immédiateté, est devenu très exigeant : il ne veut plus attendre, il ne veut plus faire la queue ou le moins possible, il ne tolère pas les ruptures de stock, et il ne tolère pas qu'on le pipeaute (et de toute façon il le saura très vite en quelques clics sur son smartphone).
Dernier point, selon l'adage "loin des yeux, loin du coeur", les marques et enseignes qui n'auront pas une présence omnicanale perdront forcément des points. cela me semble être une évidence qu'elles devront se rendre accessibles et visibles par tous les canaux, physique, Internet, mobile, téléphone, etc.
Comment préférer une enseigne qui n'est que sur Internet si vous en avez une autre, qui se fait aimer pour ses valeurs et respecter pour sa compétence, qui elle est présente et en retail et sur Internet, et donc bien plus présente dans la vie des gens ?
En résumé, le tryptique d'une marque forte de demain est :
- Une marque qui se fait respecter pour sa compétence, la qualité de ses produits et/ou de ses services.
- Une marque qui se fait aimer pour ses valeurs, inventivité, respect d'autrui, honnêteté, etc
- Une marque qui est fortement présente dans la vie des gens à travers une approche omnicanale. Physique, web, mobile, téléphone, etc. A ce sujet, il est facile de relier ce point aux 2 1ers : le consommateur qui rentrera dans un magasin ou sur un site Internet ou mobile apréciera de se faire reconnaître et remercié personnellement. On retombe alors dans la tarte à la crème actuelle du "commerce connecté", dont beaucoup parlent mais en oublient l'objectif premier, la reconnaissance et le respect du client en tant qu'humain !
Pour arriver à tout cela, on imagine les investissements colossaux que certains vont devoir entreprendre, ainsi que les problèmes organisationnels auxquels sont confrontés moultes distributeurs traditionnels pour opérer leur mutation digitale dans un monde omnicanal où les règles du jeu ont profondément changé.
Il est évident que nombreux ne pourront pas les faire, d'autres encore n'en auront pas totalement conscience et ne voudront pas les faire, et ceux la - tout du moins c'est ma conviction - disparaîtront progressivement du paysage dans les 25 ou 30 prochaines années. Ce qui va alors faire autant d'opportunités pour d'autres !
Le CEO de la division digitale de Walmart (1er retailer mondial avec la bagatelle de 500Mds$ de CA et 2 millions d'employés), Neil Ashe, résume parfaitement la problématique au sujet de la transformation digitale de Walmart : "it's going to take the rest of our careers, and it's going to cost whatever it costs. Because this isn't a project, this is the company". En clair, si Walmart ne se transforme pas digitalement, ils disparaitront à terme, et cette transformation va prendre des dizaines d'années...Ce qui explique pourquoi Walmart a déja racheté une douzaine de sociétés dans les 3 dernières années, dans le Big Data, dans le mobile, dans les réseaux sociaux, etc, et a investi des milliards de $...
Alors que certains acteurs traditionnels hésitent à investir des dizaines ou des centaines de M€ pour bâtir leur force de demain, d'autres acteurs nouveaux, tels Uber ou AirBnB, lèvent eux des milliards...
Que l'on soit un acteur avec 50 ans d'existence ou un nouvel entrant, pour saisir les opportunités colossales de demain, il faut investir massivement... Ce qui évidemment demande vision et courage, ainsi qu'une certaine foi en l'avenir !
Investir massivement dans la qualité des produits et des services, dans la relation client, dans les infrastructures, dans l'image, etc...
Et finalement, peut-être qu'en effet le succès tient bien toujours au tryptique "emplacement, emplacement, emplacement", mais emplacement non pas physique mais emplacement dans la tête et le coeur des consommateurs, ce avec des produits/services parfaits et des valeurs fortes ;-)
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