Une vingtaine d'année après les débuts de Walmart aux US, Costco s'était lancé avec un modèle alternatif simple : un membership annuel (à partir de 55$) donnant le droit d'aller acheter dans les entrepôts de la marque des produits vendus quasiment à leur coût d'achat.
Costco s'est alors développé en parallèle de Walmart, réalisant aujourd'hui près de 120Mds$ de CA avec un peu moins de 700 magasins (et 55 millions de membres), à comparer aux 500Mds$ et 11,000 magasins du géant de Bentonville (qui a par ailleurs aussi depuis copié la formule Costco avec ses Sam's Clubs).
Si Amazon est quelque part devenu le "Walmart de l'eCommerce" après s'être lancée en 1994, 21 ans après une start-up entend aujourd'hui devenir aux Etats-Unis le "Costco de l'eCommerce" et représenter, enfin, une vraie alternative crédible à la pieuvre de Seattle : Jet.com !
La version beta vient juste de s'ouvrir il y a quelques jours à 10,000 heureux insiders cobayes, d'où l'intérêt de ce post aujourd'hui !
La promesse est aussi simplissime que percutante, reprenant la technique CostCo : contre 50$ par an la garantie d'économiser sur tous vos achats online. Le modèle économique repose sur les revenus de l'abonnement, les produits étant ensuite vendus "at cost".
2 points importants avant de creuser les techniques de Jet.com :
- La start-up a été créée par Marc Lore (photo ci-dessous), qui avait crée en 2005 et revendu Diapers.com en 2010 à Amazon (pour 550M$). A noter que cette vente avait quelque peu été forcée par Amazon, qui avant de faire une offre de rachat avait lancé une belle guerre de prix histoire de montrer ses muscles et de faire comprendre à sa proie qu'elle n'avait pas le choix...Je suppose qu'il a une certaine revanche à prendre (certains disent d'ailleurs que son ego aveugle son discernement). Après le rachat il a passé 2 ans chez Amazon, ce qui lui a probablement permis d'en saisir certaines faiblesses ou tout du moins vulnérabilités.
- Jet.com a déja reçu 220M$ de financement, dont Accel Partners, Google Ventures, Bain Capital et...Alibaba ! Elle est donc bien financée et bien soutenue, ce qui sera indubitablement nécessaire dans le futur : on ne peut pas combattre Amazon avec de l'artillerie légère. Amazon a levé 1Mds$ dans ses 1ères années, probable que Jet.com, si le concept prend, devra lever de nouveaux capitaux assez rapidement.
Pour comprendre les techniques de Jet.com, je cite Marc Lore qui résume bien : "Jet is really a story on customer empowerment and transparency. The idea is about how do we empower customers by making the underlying economics of a transaction transparent ? Supply chain costs like shipping and fulfillment represent a large percentage of a retailer’s costs in e-commerce. To date, those costs just average into all the transactions. The customer can’t benefit from choosing products that have lower supply chain costs".
Costco a pu se développer face à Walmart en proposant un assortiment très réduit à des prix imbattables (3000 SKUs seulement, vs 20 à 30x plus sans doute pour un Walmart), dans des localisations "remote", réduisant ainsi les coûts immobiliers et les coûts de complexité.
Cette technique de localisation et de réduction du nombre de références ne marchant évidemment pas online (pas de problème de place et les fulfilement centers ne sont déja pas en zone urbaine), Jet.com entend squeezer les coûts en jouant sur la supply chain, le fulfilment et les commissions bancaires, ce en introduisant une véritable vérité sur les coûts induits par une transaction :
- Jet.com est une place de marché, les commandes sont automatiquement routés vers le magasin le plus proche où ils sont disponibles, optimisant ainsi les coûts de shipping. Jet.com a dèja réussit à convaincre un certain nombre de chaînes aux US ainsi que, surtout, de nombreux retailers indépendants. Comparé aux 60 centres logistiques d'Amazon aux US, Walmart a d'ailleurs l'habitude de dire qu'ils en ont eux quelques milliers (autant que de magasins), forcément plus proches des consommateurs.
- Livrer en 24h ou a fortiori en quelques heures introduit aussi des coûts importants : le client payera moins cher s'il accepte une livraison en quelques jours.
- Envoyer un article isolé est coûteux, mais l'article supplémentaire est à un coût marginal : le client reçoit alors une ristourne supplémentaire s'il commande plusieurs articles.
- Le coût du traitement d'un retour est important : Jet.com concède alors une remise supplémentaire si le consommateur abandonne son droit de retour.
- Les commissions bancaires sont supérieures pour les cartes de crédit vs les cartes à débit immédiat (notion qu'on a pas chez nous en France), Jet.com accordera donc une remise supplémentaire sur les paiements avec les debit cards.
Si Amazon, à travers notamment Prime, propose une grande convenience (shipping sous 24h gratuit, quel que soit le montant de commande, acceptation de la carte Amex, qui prend une commission largement supérieure, etc), Jet.com s'adresse donc à ceux qui cherchent les plus bas prix, qui devraient au final être 10 à 15% plus bas qu'ailleurs (c'est la promesse) !
Les 1ers retours de ceux qui ont testé Jet.com confirment bien ce delta prix.
"Marc Lore : "most companies today are so focused on shipping speed. I think that's a relatively small, niche market, and I think the next wave is going to care more about price than service. And Jet is positioned to be ready for that next wave".
My take : une belle et grande idée séduisante, aussi simple que logique et brillante, à la mise en place et l'exécution cependant extrêmement compliquée, mais qui pourrait pour le moins amener une véritable concurrence à Amazon (ce qui est souhaitable) !
Par ailleurs, je trouve fondamentalement très sain cette idée de transparence et de vérité sur les coûts. Une livraison d'un seul article en 24h, ça coûte très cher, et le système Amazon occulte ce coût aux yeux des consommateurs, qui en prennent alors l'habitude et deviennent exigeant sans vouloir en payer le prix...C'est presque pervers...et ce n'est pas pérenne...
Car la réalité est qu'Amazon perd aujourd'hui une petite fortune en matière de fulfilment et de logistique (ces coûts augmentent d'ailleurs bien plus vite que son CA), mais a la chance de pouvoir se rattraper sur le reste (la place de marché et les web services), ce qui n'est pas le cas de tous ses autres concurrents. L'initiative Jet.com réintroduit une vérité des coûts aux yeux des consommateurs, ce qui pourrait alors bénéficier aux autres poids lourds de la la filière eCommerce, et en particuliers aux gros retailers.
Sur le fond, Jet.com essaye un modèle qui leverage les actifs de milliers de points de vente physiques, qui ont déja du stock et sont proches des consommateurs, ce au lieu de recréer une nouvelle infrastructure logistique et de nouveaux stocks (ils ont cependant 3 fulfilment centers pour certains produits qui exigent une livraison en 48h). C'est intrinsèquement smart, et soit pourrait séduire bon nombre de retailers indépendants, soit servir d'exemple aux gros retailers.
Ceux-ci, disposant eux-mêmes de centaines voire milliers de localisations, pourraient aussi par exemple copier le système de Jet.com et la transparence sur les coûts réels, pour repasser ensuite les économies à leurs consommateurs dans un véritable modèle win/win.
Ceci étant, Amazon gagnant de plus en plus d'argent sur la partie services (pour la 1ère fois ils ont reporté il y a quelques jours les chiffres séparément), et étendant leur reach à de nouvelles catégories non physiques, forcément plus lucratives (réservation d'hôtels, place de marché de services à la personne, etc), ils pourraient encore baisser leurs prix...Je ne les vois d'ailleurs pas accepter qu'un concurrent les underprice de 10-15%. Sans compter qu'ils peuvent, eux aussi, acquérir un retailer et gagner des emplacements physiques, possibilité que je suis loin de négliger.
A suivre de (très) près...
Merci pour ce post. Une idée de la manière dont Jet.com compte récupérer les stocks des retailers physiques? Le pickup magasin est complexe pour éviter les ruptures et par exemple en France, Carrefour ne connaît pas facilement les stocks au niveau taille. Les retailers n'ont pas tous des flux XML prêts à l'emploi.
Posted by: Julien | May 03, 2015 at 10:45 AM
Salut Julien, non, pas encore ! Salut Julien, non, pas encore. Je pense qu'ils vont chercher à garder cela confidentiel le plus longtemps possible !
Posted by: Michel iPhone | May 03, 2015 at 12:05 PM
Ca me rappelle le concept de clubatcost.fr qui avait été parfaitement décrit ici il y a plus de 5 ans. C'était sur la mode seulement et ça n'avait pas marché. A voir si le concept, bien plus ambitieux ici, va fonctionner
http://micheldeguilhermier.typepad.com/mdegblog/2009/06/le-mod%C3%A8le-clubatcostfr-une-r%C3%A9volution-.html
Posted by: Vincent | May 03, 2015 at 05:31 PM
Vincent,
Clubatcost reprenait en effet le même principe, en théorie (carte abonnement + achat at cost), mais c'était strictement limité à la fringue.
Et le problème était justement que le consommateur ne pouvait pas vraiment apprécier l'avantage prix puisque les produits étaient spécifiques et incomparables.
Par ailleurs, je crois que le "at cost" avait été largement transgressé....
Le concept n'a donc jamais vraiment pris.
Le promoteur du concept, Pierre Mestre, développe aujourd'hui très bien àl'étranger sa chaîne de fringues pour enfant/ado Orchestra
Posted by: Michel de Guilhermier | May 03, 2015 at 05:51 PM
Hello M ;-)
Lu ici et la :
"In 2015, Uber, the world’s largest taxi company, owns no vehicles. Facebook, the world’s most popular media owner, creates no content. Alibaba, the most valuable retailer, has no inventory. And Airbnb, the world’s largest accommodation provider, owns no real estate"
Posted by: Gil | May 03, 2015 at 08:52 PM