Dans le post d'avant hier sur le superbe témoignage de Michel de Rovira à L'Accélérateur, "le" Michel des trublions du goût, je donnais une statistique intéressante :
Sur les 220,000 entreprises créées en France en 2004, l'année de création de Michel & Augustin (et également de Motoblouz), seule une trentaine, soit 1 sur 7,000 seulement, dépassent 10 ans après les 10M€ de CA...
Alors, si évidemment il est doux et bon de rêver de créer la prochaine licorne, si certaines entreprises, qui se comptent sur les doigts d'une main, arrivent même rapidement à plusieurs dizaines de M€, il faut aussi tout simplement reconnaître objectivement que créer une société réalisant 10M€ de CA en quelques années est dèja une sacrée performance en soi...que bien peu d'entrepreneurs réalisent !
Faire rêver des entrepreneurs est une chose, mais ce n'est pas suffisant ! Savoir être concret et savoir les amener méthodiquement et sûrement vers le succès en est une autre.
Si le rêve peut d'ailleurs parfois provenir d'une "vraie vision supérieure" - parce que certains entrepreneurs savent en effet voir très loin, comprenant et matchant intimement les possibilités de la technologie et les aspirations des clients - et ont un certain grain de folie "de bon aloi" (et il faut bien ce petit grain pour entreprendre), le rêve bien souvent découle aussi et surtout d'une connaissance très partielle voire biaisée des réalités...Loi humaine simple, la pertinence d'une analyse et d'une vision est inversement proportionnelle à l'éloignement qu'on a d'un sujet..
Ma conception de l'accompagnement entrepreneurial est que la mission ne doit pas être de faire courir le plus vite possible, mais bien de maximiser les chances de succès et d'aller très loin, le plus loin possible d'ailleurs, et ce sur la distance. A vouloir rêver et faire rêver indûment d'atteindre la lune, la vérité est que 99,999% des entrepreneurs vont au pire se planter, et à minima n'iront pas aussi loin que ce qui aurait pu être le cas.
Si l'accompagnement d'entrepreneurs consiste essentiellement à faire rêver les foules et exhorter les entrepreneurs à créer des licornes, puis à repérer chemin faisant les 0,001% d'équilibristes qui savent "lacer leurs chaussures en courant en même temps" - et ceux la peuvent en effet, à supposer qu'ils existent bien, probablement créer une sacrée valeur, leurs qualités étant hors norme - je veux bien prendre le pari que la valeur économique et sociale globalement créée sera faible : la douloureuse casse et les montants de capitaux injectés dans les 99,999% autres minoreront très fortement les home-runs des 0,001% d'équilibristes !
Que veut-on vraiment, jouer à la roulette avec les entrepreneurs (et encore, non pas une roulette à 36 cases mais à 10,000), ou bien maximiser leurs chances de succès et d'aller très loin ? La vraie générosité est pour moi celle-ci, se dévouer aux entrepreneurs, partager avec eux son expérience avec une implication de tous les instants, ce pour les faire vraiment réussir, et non pas jouer à la roulette de la vie entrepreneuriale.
Pour les entreprises bien construites, sur une vision et un modèle économique pertinents, la valeur du temps est toujours et tout simplement magique. Les exemples fourmillent, j'en donne juste 2 ici, parmi tant d'autres :
- Photoways, 6 ans après sa création, dépassait les 10M€, 15 ans après sa création le CA va aujourd'hui frôler les 400M€ (et ce fut récemment la plus belle revente de l'eCommerce français, 545M€ envron) !
- Vistaprint (rebaptisé Cimpress) faisait 50M$ de CA au bout de 10 ans (ajusté avec l'inflation), et 20 ans après ils faisaient 600M$ !
Un de mes bons amis entrepreneurs, évidemment dans le pool de mentors expérimentés et de grande qualité de L'Accélérateur, résume la situation et la règle de création de valeur de la façon suivante. Il faut pour une entreprise :
- 2 ans pour survivre
- 5 ans pour exister
- 10 ans pour percer
- 20 ans pour réussir
Groupon, crée en 2008, fut en son temps un sacrée licorne. Sa croissance en CA comme en valeur fut exceptionnelle, sidérante même. Même pas 4 ans après sa création, fin 2011, la société atteignait les 20Mds$ de valorisation.
Lors de son IPO, un peu moins de 4 ans donc après la création, le rêve était bien la avec un boost de +40% le jour de son IPO ! Mais aujourd'hui, 7 ans après sa création, sa valeur d'entreprise tourne autour de 1Mds$ seulement, soit le 1/3 de son CA, ce qui correspond aussi quasiment aux capitaux levés à l'IPO ! Avec des pertes récurrentes, l'entreprise n'a pas encore trouvé un modèle pérenne.
Ce qui est d'autant plus intéressant avec l'IPO de Groupon, c'est qu'il y avait pourtant déja de nombreux "red flags" qui avaient été agités à l'époque (lire par exemple ICI). Mais on peut en déduire que l'attrait du rêve était pour certains trop fort ! Lire aussi ICI les derniers mots de mon post de 2011, quelques jours après l'IPO, où j'écrivais : "...je suis plutôt prêt à prendre le pari qu'après le boost de la 1ère journée de côtation les lendemains pourraient être plus difficiles..." !
Le point pour aller loin est rarement d'aller vite mais surtout de trouver un modèle économique solide, avec de très sérieux avantages concurrentiels. Et cela peut tout simplement prendre du temps, parfois même beaucoup de temps. Et même si parfois il faut effectivement aller vite car il y a une grosse prime au n°1, il ne faut jamais aller trop vite au point de négliger l'essentiel, à savoir un modèle économique qui tient vraiment la route ! Du simple bon sens intemporel.
Je vais donner une image très parlante je pense : ce n'est pas parce qu'on ne veut pas voir la loi de la gravité qu'elle n'existe pas !
Comme me le glissait un excellent VC de la place avant hier vendredi, certains ont aussi oublié tout sens de l'humilité et se la jouent ouvertement "West Coast". Mais comme me le disait aussi un autre excellent VC français il y a quelques temps, non seulement la Valley est un univers très spécifique avec un ecosystème très particulier, qui permet des choses tout simplement pas possibles chez nous, mais elle peut aussi avoir un véritable effet toxique pour les entrepreneurs !
Schématiquement, on a en fait ce genre de courbe :
Le passage de 0 à 1 peut prendre plusieurs années, chercher et trouver son marché, itérer voire pivoter sur la proposition de valeur et le modèle économique, c'est clairement le plus difficile et le moins rewarding question création de valeur absolue, mais il pose les bases de "l'exponentialisation" future !
Amis entrepreneurs, ayez la tête dans les étoiles mais les pieds bien sur terre, construisez vite mais surtout bien, de façon solide et pérenne !
Le rêve doit toujours, tôt ou tard, coïncider avec la réalité et s'ancrer dans le concret !
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