L'un des grands avantages d'être off pour une longue convalescence, c'est qu'on a tout loisir de réfléchir, de faire la part des choses et de se focaliser sur ce qui est important. C'est un luxe dont j'ai bien profité en mars et avril, et je voulais partager une réflexion qui m'était venu il y a quelques semaines, sur ce qui est important en matière de création de valeur entrepreneuriale long terme.
Ce post est dans la continuité de celui du 30 avril sur le Groupe Motoblouz, écrit alors que je sortais juste de l'hôpital. En synthèse, j'écrivais que j'avais une approche buffettienne des affaires, à savoir construire sur la durée des sociétés en cherchant à avoir des avantages concurrentiels et un modèle économique sain et pérenne, et que Motoblouz en était l'exemple parfait.
On peut peut-être faire des affaires et gagner de l'argent différemment, en pensant court terme, mais c'est juste pas ma philosophie et ma vision de la vie, et je ne pense pas non plus qu'on crée une grande richesse comme cela. Oui, on peut être un petit joueur court terme et gagner quelques sous, mais so what...Ce qui m'excite, me passionne et me motive, c'est bien de construire et maintenant surtout d'aider les jeunes entrepreneurs à construire sur la durée.
Il m'était revenu en tête une anecdote alors que j'étais à l'hôpital : en 2000, alors que je levais des fonds pour Photoways (pour ceux qui n'ont pas suivi, on s'est rebaptisé Photobox après avoir justement racheté Photobox au UK, et pas le contraire !), j'étais allé voir Christophe Viet, à l'époque partner pour Galileo Ventures, un VC (il est depuis revenu à l'entrepreunariat en créant ventealapropriete.com)
Galileo était l'un des investisseurs historiques de RueduCommerce, qui venait de lever la somme colossale pour l'époque de 15M€ (100MF de l'époque) et qui carburait très fort question volumétrie et CA.
Christophe m'avait alors dit quelque chose de pétri d'évidence pour moi mais qui m'a tout de même marqué par sa franchise : "Photoways est bien plus petit mais a un modèle économique de meilleur qualité que RueduCommerce".
De fait, Photoways jouissait notamment de marges brutes très importantes (au delà de 50%), de sacrées économies d'échelle potentielles (coûts fixes du laboratoire), et d'une absence de réelle concurrence des acteurs historiques.
Et l'histoire l'a bien prouvé : fast forward 15 ans en 2015, RueduCommerce qui dans ses belles années dépassait 300M€ de CA, s'est fait racheter à la casse par Carrefour, sans doute pour 20M€ seulement, alors que Photobox/Photoways s'est fait racheter (il y a un peu plus de 6 mois) pour 550M€ par 2 acteurs du Private Equity...
Car, alors que RueduCommerce n'était pas rentable, Photobox doit lui dégager aujourd'hui 60M€ d'EBITDA sur 350M€ de CA...
Et que dire de Pixmania, le grand concurrent de l'époque de Rueducommerce, qui après un détour par 1Mds€ de CA, chiffre certes impressionnant objectivement, s'est fait racheter à la casse par le fonds allemand Mutares (racheter est un bien grand mot d'ailleurs, l'actionnaire Dixon a en fait payer pour vendre et se débarrasser d'une société en lourde perte). Et Pixmania, comme RueduCommerce, n'a jamais été vraiment rentable, à peine au dessus du breakeven dans les bonnes années...
Alors amis entrepreneurs, investisseurs, journalistes et lecteurs tout court, ne commencez pas à vous exciter devant des croissances parfois impressionnantes de CA, mais cherchez avant tout à vous questionner sur la qualité intrinsèque du modèle économique. Sur la distance, c'est l'une des 2 seules choses qui comptent.
Une forte croissance atteste juste qu'il y a bien une appétence du marché pour l'offre de l'entreprise, et que les curseurs ont été mis sur la croissance (et dans certains secteurs, c'est facile de croître vite), mais ne dit pas s'il y a véritablement une pertinence économique...Une réflexion sur la rentabilité de l'offre, à partir de metrics et d'une analyse concurrentielle, est donc tout aussi importante que la réflexion sur son intérêt commercial (et c'est bien ce que nous efforçons de faire avec les start-up du Groupe L'Accélérateur)
Vendre un produit high tech sur le web à un très bon prix en sacrifiant ses marges a évidemment un attrait pour le consommateur, mais le modèle économique derrière n'existe pas, sauf à pouvoir compenser comme le fait Amazon avec les commissions de la place de marché et du cloud. Amazon a définit son modèle, mais il est réellement unique, et je souhaite bien du courage à qui voudrait le copier aujourd'hui.
Les reportings, les annonces et les articles qui mettent donc surtout en exergue la croissance du CA, sans pour autant détailler, notamment, les coûts et les investissements derrière qui ont été nécessaires pour délivrer cette croissance, me laissent totalement de marbre et n'ont aucun intérêt.
Les marges brutes, les economics, leur mécanique, les coûts d'acquisition client (commerciaux et marketing), la life time value potentielle (avec le repeat observé et potentiel, multiplié par la marge brute nette par transaction), les coûts fixes et leur évolution prévisible, les économies d'échelle potentielles, le jeu concurrentiel potentiel d'une industrie et la différenciation via un véritable avantage concurrentiel, etc, tous ces éléments qui donnent la qualité, ou pas, d'un modèle économique sont bien plus importants !
Et l'autre chose qui compte pour la réussite à terme, c'est évidemment et même en 1er lieu la qualité de l'équipe entrepreneuriale : vision long terme, ambition, ténacité, humilité et pragmatisme, rien qu'avec ces qualités on va très loin !
Ceux qui prennent le melon, qui oublient les basics, qui oublient de se poser les bonnes questions sur leur modèle et son fonctionnement, et qui crament le cash plus vite que leur ombre, ceux la vont mécaniquement à l'échec...
Mais un bon entrepreneur, qui veut aller loin, sait justement d'ailleurs se poser les bonnes questions sur la qualité de son modèle économique et ne s'arrête pas aux seuls chiffres de croissance. Ainsi, Xavier Zeitoun, le cofondateur et Président de Zenchef (l'une des 1eres start-up à avoir rejoint L'Accélérateur) m'écrire dés le début 2012 : "la réflexion sur la rentabilité de l'offre est un point important et la réflexion que nous avons ensemble est très bénéfique".
C'est évidemment ce genre d'attitude, emprunt d'humilité, de vérité et de pragmatisme, qui est de nature à amener loin une start-up. Se poser les bonnes questions, c'est évidemment mieux que de jouer à l'autruche ou de se gargariser des seuls chiffres de sa croissance !
Toujours un plaisir de vous lire. Merci Michel.
Posted by: Jérémy | May 11, 2016 at 11:25 AM
Je ne commente pas souvent, mais là je dois tout de même avouer que j'ai beaucoup aimé vous lire, merci pour cet article et très bonne journée.
Posted by: Océane T. | May 11, 2016 at 11:40 AM
Entièrement d'accord, on en revient à la valeur ajoutée.
Dans le négoce, on prend un produit, on applique un coefficient multiplicateur et on le vend=> la valeur ajoutée est faible.
Dès lors que vous apportez de la prestation intellectuelle ou de la transformation issue d'un savoir-faire, forcément la valeur ajoutée augmente.
En même temps, c'est rassurant...
Posted by: The dude | May 12, 2016 at 11:07 AM
Hello Michel,
Billet Plein de bon sens comme d'hab ;-)
Je rajouterai quand même comme facteur clé de succès sur le long terme : le time to market (et à défaut la capacité et la pugnacité à trouver son marché dans la durée), le branding (exister, sortir du lot, fidéliser)....
Et puis avoir du cash au bon moment pour accélérer...
Et accessoirement un peu de chance aussi...même si souvent la chance ça ce provoque ;-)
À très bientôt. Renaud
Posted by: Renaud | May 15, 2016 at 08:02 AM
Hello Renaud,
Oui, on pourrait aussi trouver pas mal de sous facteurs de réussite, mais ceci étant une fois que tu as dit que l'homme et son attitude faisait la différence, je pense que l'on couvre 90% des choses !
Le bon entrepreneur identifiera le bon timing, comprendra qu'il est trop tot ou trop tard, saura sortir du mot, saura trouver le cash...
A très bientôt
Posted by: Michel de Guilhermier | May 15, 2016 at 09:16 AM