C'est le titre de l'excellente chronique de mon ami Patrick Robin, parue dans le JDN il y a quelques jours ICI !
Interpellant pour le moins...
Siégant au Conseil d'Administration d'Auchan, je suis confronté de près aux problèmes des grands distributeurs généralistes, et je ne vais évidemment pas nier que la concurrence d'Amazon, et de PrimeNow sur Paris, est redoutable et pose une sérieuse problématique.
Ceci étant spécifiquement, Auchan étant largement absent de Paris (à l'exception des magasins A2Pas), qui est le territoire des groupes Casino (avec Monoprix et Franprix) et Carrefour, ce sont surtout eux qui sont attaqués sur le court terme.
Et de manière générale, au delà d'Amazon, c'est aussi l'irruption du digital et du mobile qui pose une belle problématique aux distributeurs traditionnels en donnant aux consommateurs un pouvoir de choix, de comparaison, de décision et de feedback absolument incroyable. Si l'eCommerce représente moins de 10% du retail, le digital influence lui aujourd'hui 75% des achats...En quelques clics, et bien souvent en magasin même, les consommateurs se renseignent, comparent, prennent des avis, etc...
Néanmoins je voudrais apporter un angle d'analyse sur la chronique de Patrick.
De mon point de vue, ce n'est pas vraiment le numérique qui a tué Kodak (et ce n'est pas non plus Photoways/PhotoBox ou Shutterfly d'ailleurs, les 2 grands leaders européens et américains du développement photo sur Internet), de même que ce n'est pas vraiment Amazon Prime Now qui sera fondamentalement la pierre tombale de certains distributeurs...
Une société, auparavant successful et rentable, meurt avant tout parce qu'elle refuse de voir les nouvelles réalités en face et/ou parce qu'elle ne sait plus se remettre en question et s'adapter (son modèle commercial et son modèle économique, les 2 étant évidemment liés).
Dans l'immense majorité des cas, je pense qu'il est toujours possible de s'adapter, de se remettre en question et de se trouver un sweetspot pertinent, quitte à réduire de taille s'il le fallait et/ou à pivoter. Mais cela suppose d'une part d'ouvrir les yeux, d'être pragmatique et réaliste, d'autre part d'avoir une vision claire et pertinente (commercialement et économiquement) sur là où on veut aller, et ensuite d'exécuter parfaitement, en y mettant les moyens, humains comme financiers.
Disons le tout net, certaines organisations anciennes sont trop complaisantes, grasses, truffées de cadres très compétents techniquement dans leur univers, mais qui s'écoutent et qui n'ont pas compris ou qui ne veulent pas voir que le monde a profondément changé, et qui ne remettent donc pas assez profondément en cause les choses, les logiques, les process, les organisations et...eux-mêmes. Et c'est ça, avant tout, qui tue les entreprises, à petit feu voire parfois très rapidement.
Pour rester "connecté" avec son temps, palper les nouveaux comportements et les nouvelles tendances, ne pas louper des virages importants et se faire challenger dans ses modes de pensée, Accor a ainsi pris l'initiative de créer un "shadow comex", avec uniquement des jeunes de 25-35 ans. Lire ICI par exemple.
En définitive, c'est en 1er l'attitude qui tue une entreprise, "l'attitude, une petite chose qui fait une grande différence" (Churchill). Arrogance, suffisance et complaisance conduisent à l'aveuglement et à la mort, qu'on soit une jeune fledgling start-up ou un groupe de 20Mds€ de CA.
Certaines start-up lèvent trop d'argent, prennent le melon en oubliant les réalités du terrain, les clients et leurs besoins, l'équation économique, la concurrence, etc, et c'est exactement pareil pour des grands groupes qui, assis sur un modèle rodé et rentable peuvent progressivement s'encrouter, ne plus voir que le monde change, ne plus se remettre en cause, ne plus penser "outside the box", s'enfermer dans des logiques qui ne sont plus pertinentes.
A ce stade, je pense que la Grande Distribution a encore des atouts très importants, mais ils diminuent d'année en année, de façon proportionnelle à la montée de ceux d'Amazon, la pieuvre, qui elle déroule et renforce inexorablement son modèle année après année.
La Grande Distribution doit comprendre qu'elle doit pivoter, qu'elle doit faire sa révolution, et ce rapidement : elle doit faire des choix, certains renoncements, et foncer sur le reste, avec des organisations certainement réinventées également.
Amazon, son modèle économique redoutable (les pertes en tant que distributeur sont plus que compensées par les commissions de la place de marché, des services logistiques et des services web et IT), sa formidable efficacité, son exigence vis à vis de ses collaborateurs et enfin sa cote d'amour et de confiance auprès des consommateurs sont simplement des données à prendre en compte pour savoir où la Grande Distribution doit aller, ni plus, ni moins. Et il est évident qu'il ne s'agit ni de les copier, ni même de les suivre, ce serait vain, ils ont trop d'avance et être un lointain n°2 n'a aucun intérêt.
Il ne s'agit pas simplement de faire des demies mesures, de simplement grapiller des points de base de marge et de réduire les coûts de fonctionnement, mais bel et bien d'inventer un nouveau modèle unique, rentable et pérenne pour le monde de demain, et de définir de nouvelles organisations.
Ca, c'est l'urgente priorité, c'est challenging, c'est difficile, il va falloir avoir de fortes convictions pour consentir de gros investissements sans retour immédiat (et l'impulsion doit aussi venir du plus haut niveau), c'est pas gagné....mais c'est passionnant !
Et dans les investissements, il y aura très probablement plus tard des actifs de start-up à reprendre, pour une fraction des valorisations ubuesques et parfois licornesques obtenues auparavant par certaines pseudos pépites. Telle One Kings Lane, racheté par le géant américain de l'aménagement de la maison et de la décoration Bed Bath & Beyond lire mon post ICI.
Et les distributeurs qui ne se réinventeront pas, en effet passeront de vie à trépas ou éventuellement se feront racheter, pour pas très cher sans doute. Simple loi darwinienne universelle, on s'adapte ou on disparait. Et pour un grand groupe, la 1ere des choses à faire - et qui est loin d'être simple - est tout simplement de comprendre qu'il faut s'adapter, et fissa car les choses vont bien plus vite actuellement qu'il y a 20 ans.
Alors, oui j'ai des idées de "pivot" pour Auchan, oui j'ai une vision construite et réaliste sur ce que le Groupe pourrait devenir dans les 10 ans à venir, être leader dans une catégorie qu'il aura lui-même créée et définie, je l'ai partagée aujourd'hui même avec le management et le Board, mais évidemment je ne peux pas en dire beaucoup plus ici...
Bonjour Michel, décidément depuis près de 8 ans, dès que je reviens à ton blog je trouve toujours de quoi m'inspirer; merci pour ça!
Je suis dans l'industrie automobile. Ce que tu décris, je l'observe chez les équipementiers. C'est terrible à quel point ils sont embourbés dans leur situation. Les dirigeants de ces entreprises, grands groupes ou eti sont incapables d'une quelconque remise en cause.
Les constructeurs, eux commencent à se remettre en cause et se mettent à proposer des offres de mobilité plutôt que des voitures.
Mais toute la supply chain est très très loin de se remettre en cause.
Attention à la casse dans ce secteur...et pourtant il y aurait tellement à faire!
Posted by: Jérôme | July 06, 2016 at 10:05 PM