Fin février 2017, j'écris ce post la où j'expliquais pourquoi Amazon, la pieuvre de Seattle, allait débouler massivement dans le retail physique ("pourquoi et comment Amazon peut et va disrupter le retail physique"). Le post est repris début juin par Frenchweb et, oh coincidence, quelques jours plus tard Amazon annonce le rachat de Whole Foods, ses 500 magasins et ses 16Mds$ de CA !
Le 30 octobre 2017, je fais un long post qui présente Alibaba, la pieuvre de Hangzhou. Et, oh coincidence, à peine 3 semaines plus tard Auchan s'allie à Alibaba qui prend le 1/3 du holding de tête chinois !
Enfin, début janvier 2018, pour le magazine LSA, j'écris une chronique dont le titre est "de nouveaux rapprochements Retail & Tech sont à prévoir en 2018", précisant même que Carrefour devrait lui aussi s'allier avec un acteur de la technologie (comme d'autres retailers généralistes). Et, oh coincidence, hier mardi, on apprend que Carrefour s'allie avec Tencent, l'autre géant techno chinois (qui livre d'ailleurs une guerre très dure et directe avec Alibaba).
Franchement, si j'ai eu clairement de la chance pour le timing, il n'y a aucune prémonition dans ces 3 chroniques, c'est juste une logique assez implacable quand on comprend un peu où va le retail après avoir analysé pragmatiquement.
Pour bien maitriser le retail de demain, il faudra des actifs physiques, des actifs logistiques, et des actifs technologiques. Alliances et acquisitions pour maitriser ces 3 actifs vont donc très logiquement continuer...
On remarquera d'ailleurs à propos de logistique que Bompard a parlé "d'un accord très important avec La Poste et sa filiale Stuart", ce afin d'étendre la livraison en 1 heure à 10 nouvelles villes française.
Bompard décide bien entendu d'accentuer le cap sur le digital, il multiplie par 6 les investissement avec 2,8Mds€ sur 5 ans (sans vraiment détailler cependant), ce qui me semble aussi tout à fait logique, mais je continue à me demander si ce sera réellement suffisant pour se maintenir dans la course au plus haut niveau.
Constatant que les investissements en rénovation d'hypermarché ne marchent pas vraiment (il a donné l'exemple d'une rénovation de 50M€ qui n'a fait croitre le CA du magasin que de 5%), il les réalloue donc massivement sur le digital. Logique et pragmatique aussi ! Personnellement, je milite aussi pour cette logique dans le Nord. Ce qu'il faut, ce n'est pas faire évoluer les hypermarchés, c'est les révolutionner.
Il n'annonce pas de fermeture d'hypermarché mais va supprimer 100.000M2, soit 5% de la surface totale. On doit peut-être comprendre qu'il va par exemple concéder ces M2 à d'autres, ce à l'intérieur du parc actuel. Du genre des espaces Fnac-Darty. Cela aussi me semble faire beaucoup de sens, autant déléguer la gestion de certains espaces à d'autres meilleurs que soi, ce sera plus pertinent pour le consommateur et aussi plus rentable/moins risqué pour Carrefour. Si l'hyper n'est pas mort pour moi, il l'est bien dans sa forme actuelle, il faut le réinventer.
Logique aussi de regrouper les différentes activités Internet sur un site unique Carrefour.fr, y compris Ooshop, mais pas Rueducommerce qui restera séparé (je ne donne pas cher du maintien du site à moyen terme ceci dit).
Bompard a déclaré vouloir accentuer l'axe alimentaire et devenir le leader du commerce omnicanal de la catégorie. Quoi de plus logique ? Le physique y reste totalement clé (Amazon n'aurait pas dépensé 14Mds$ pour racheter WholeFoods), bien plus que dans les autres, même s'il faut coupler avec des services digitaux et logistiques. Le problème c'est que cet objectif de leadership de l'alimentaire omnicanal est aussi repris par plusieurs autres acteurs ! Avec l'ouverture au public de son magasin sans caisse avant hier, Amazon a un petit coup d'avance en terme de techno. Mais Auchan (qui lui aussi s'axe sur l'alimentaire avec "le bon, le sain, le local") a déja l'équivalent, avec déja une trentaine d'Auchan Minute en Chine.
Concernant l'accord avec Tencent, s'allier à un géant technologique, maître notamment dans l'art du big data, fait beaucoup de sens sur le papier (cf plus haut), mais reste à voir ce qu'il y a derrière, comment il va être mis en place et exécuté très concrètement sur le terrain. Alibaba, au delà de sa puissance technologique, est aussi devenu un vrai retailer physique comme le montre ses différentes acquisitions dans le domaine depuis 3 ans ainsi que l'incubation from scratch, puis le développement, de sa propre chaine hyper connectée, Hema Fresh, qui sera forte de près de 60 magasins en 2018. Tencent, surtout connue pour WeChat, son milliard de users et l'ensemble des services qui y sont liés, y compris le moyen de paiement, est au contraire avant tout une techno house, même s'ils ont aussi une participation de 20% dans JD.com (1er eCommerçant chinois) et dans la chaine de supermarchés Yonghui qui prend part au deal) Si bien qu'au final je crois un peu plus au potentiel concret d'Alibaba - Auchan que de Tencent - Carrefour. Mais l'évolution de ces 2 partenariats sera très intéressant à suivre.
Bien entendu, Bompard coupe aussi les coûts aussi en parallèle en supprimant 2400 emplois dans les services centraux. Il a jugé qu'il y avait du gras, il ne devait pas avoir tort.
Bompard n'a pas évoqué en détail ce qui me semble aussi un point essentiel pour Carrefour (et pas que...) dans le commerce digital de demain : aujourd'hui l'entreprise fonctionne en silos (les hypers, les supers, etc), il va falloir organiser tout cela dans une même logique centrée client. Il y a de multiples bases de données clients, ce qui fait bien - comme il l'a précisé - un réservoir gigantesque de data à exploiter, mais c'est aujourd'hui totalement disparate et non coordonné. C'est la où le lien avec Tencent pourrait potentiellement aider.
Amusant, hier à Wall Street Tencent a grimpé de 2,2%...mais Alibaba a lui jumpé de 4,5% !
J'ai l'impression qu'ils sont vraiment TRES en retard. Il ne suffit pas de digitaliser un point de vente par ci par là, il faut faire évoluer tous les métiers (logistique, big data, merchandising...) conjointement. Si leur présence physique est sans doute indiscutable, elle requiert de facto un investissement colossale pour moderniser tous les process et toutes les techniques.
Non pas qu'ils arrivent après la bataille mais ils ont clairement une grande longueur de retard, difficile à rattraper de manière isolé effectivement.
Posted by: Benjamin | January 24, 2018 at 08:44 AM
Oui, fully agreed !
Posted by: Michel de Guilhermier | January 24, 2018 at 08:51 AM
De beaux projets et de belles intentions... mais je trouve que Carrefour (comme les autres) ne parle pas de marge. Le digital c’est top mais ça coûte très cher en opérations... rien à voir avec le Retail. Quel BP pour Carrefour 2022 ?
Posted by: Pabaly | January 24, 2018 at 09:52 AM
Merci Michel, super post comme toujours. J'aime bcp votre tryptique physique / digital / logistique. Petite question un peu provocante: et si le magasin n'avait ete qu'une forme transitoire d'interaction entre produits et clients (disons 1 ou 2 siecles) ? Qu'est ce qui nous garantit que dans 10 ans le magasin existera encore, peut etre que tout sera en online order (disons 80%) ? Regardons les agences de voyages (commerce physique anecdotique), les banques (agences en baisse, bcp de clients ne viennent plus qu'une fois par an dans leurs banques...) certes c'est du dematerialise, mais je trouve qu'on fait toujours un peu commme si le magasin devait toujours exister. Or on ne peut (selon moi) avoir aucune certitude en la matiere. Je vois notamment en Chine dans les grandes villes des clients (moins de 35 ans generalement) qui achetent quasiment 100% de leur consommation en ligne. Ce phenomene n'est il pas amene a se generaliser, notamment avec les nouvelles generations ? Votre avis ? Eric
Posted by: Eric Durand | January 27, 2018 at 06:27 AM