Derrière les communiqués de presse glorieux, parfois repris sans discernement ni un oeil critique par une certaine presse à la recherche de sensationnel et de l'énième (prétendue) success story pour faire rêver (et vendre de l'audience), il y a souvent des réalités bien différentes !
A vrai dire, après 30 ans dans les affaires, je trouve aussi très impressionnant le nombre de personnes qui cherchent à se faire passer pour ce qu'ils ne sont pas, à parler de ce qu'ils n'ont pas réellement réalisé, et à enjoliver très grossièrement la vérité, leur passé et leurs actes. En 30 ans dans les affaires, j'ai croisé des gens à l'éthique plus ou moins borderline, et d'autres carrément escrocs jusqu'au bout des ongles (heureusement très rares, mais ça arrive), y compris avec et chez Day One (bien malheureusement, mais comme tout bon VC qui se respecte...). Factuellement, il faut admettre et comprendre qu'il y a des gens prêts à quasiment tout pour se faire du fric, déployant la plus parfaite mauvaise foi.
D'autres, au delà de l'argent, sont aussi prêts à tout pour se donner une "consistance", une apparence de légitimité et de notoriété, par exemple en s'achetant des followers twitter !
Cela me fait au passage penser à 2 gars que je connais qui ont magistralement planté leur boite (dépôt de bilan suivi d'une liquidation pure et simple), et que ça ne dérange pas de prétendre aujourd'hui sur LinkedIn qu'ils "finalisent la cession de leur entreprise", mentionnant au passage qu'ils sont des experts de ceci ou cela...
L'un de celui à qui je pense - et qui m'a d'ailleurs fait très concrètement perdre quelques dizaines de K€, parce qu'il était aussi mauvais gestionnaire que borderline - se présente comme un "expert dans les produits de luxe par abonnement". Sacré expert, il n'a pas du recruter beaucoup plus qu'une centaine de clients uniques (certes à très haute valeur) seulement au cours des 10 ans de vie de sa société...Peur de rien...
L'autre se dit "spécialiste du marketing digital et de l'Internet". Spécialiste "de l'internet", c'est vague...Et tellement spécialiste d'ailleurs que sa boite Internet fut joliment pliée, de même que la seconde qu'il a créée. Un beau serial loser qui avait aussi en son temps acheté des followers twitter, histoire de se donner une consistance...Il appelait cela du "personal branding" !
Je déjeunais aussi il y a quelques semaines avec un chasseur de tête très connu dans le monde des start-up et de l'Internet, qui me disait sans ambages à propos d'un entrepreneur français médiatique, et qui en plus a écrit plusieurs ouvrages : "mais quel escroquerie celui la"...No comment !
Et à propos de paillettes, évoquons au passage l'aventure Wijet, dont je suis concerné vu que suis (ou j'ai été) micro actionnaire...mais dont je ne sais aujourd'hui strictement plus rien. J'ai juste suivi de très très loin les augmentations de capital, de mémoire on arrive à 10M€ de capitaux levés, plus au moins autant en dettes je crois ! En septembre 2016, cocorico, on peut ainsi lire dans BFM Business que Wijet devient le "leader mondial du taxi jet". Wow, rien que cela ! Quelle belle aventure pour cette start-up française démarrée 8 ou 9 ans auparavant ! BFM ne faisant en fait alors que reprendre le communiqué de presse de la société qui venait de racheter son concurrent anglais Blink. ICI.
Mais il y a d'un côté les paillettes et les effets d'annonce, et de l'autre l'envers du décor, que l'ex co-fondateur et PDG de Wijet, Corentin Denoeud, raconte lui-même aujourd'hui publiquement, in extenso. Lire ICI son aventure Wijet, en commençant par l'épisode 0, "la chute". On en est aujourd'hui à l'épisode 11, c'est bien écrit, savoureux et palpitant. On attend toujours avec impatience l'épisode suivant.
Le récit de Corentin évoque l'associé avec qui il est/a été en conflit, mais il ne le nomme que sous le pseudo de "Mr A". Une recherche Google à Wijet et ses co-fondateurs remontera de qui il s'agit...
Et la, on en apprend des belles, des vertes et des pas mûres...Mais je vous laisse découvrir la réalité telle que décrite par l'ex CEO, révoqué par un Conseil d'Administration contrôlé a priori par le dit ex associé de l'époque. Règlement de comptes à OK Corral...
Morale de toutes ces histoires, avant de faire affaire avec qui que ce soit, il faut toujours faire une due diligence la plus approfondie possible sur les hommes et leur passé. Beaucoup de personnes sont tout simplement juste expertes en story telling et en pipeau. Ils n'ont pas forcément le sens des affaires, la rigueur et/ou l'éthique scrupuleuse qu'on doit absolument exiger quand on s'associe ou qu'on entre en partenariat. Ils confondent aussi parfois les poches de l'entreprise avec les leurs et se servent allègrement au passage sur le dos des actionnaires...
Autre remarque, plus l'homme que vous avez en face de vous a du "brillant", mieux il parle, plus il faut se méfier et garder son sens critique et toujours chercher le factuel. J'en ai aussi vu des "emballeurs", au charme et au charisme aussi notables que leur absence de scrupules.
Bernard Madoff, qui a fait perdre 50Mds$, était quelqu'un de bien sous tous rapports, ancien et vénérable patron du Nasdaq. Il avait clairement une apparence de crédibilité suffisante pour avoir réussi à attirer autant d'argent. Quelques mois avant la découverte de la fraude, il déclarait sans vergogne dans une émission "aujourd'hui, avec tous les contrôles qui ont été mis en place, il est quasiment impossible de frauder....". Beurk, quelle honte....
En son temps, Enron, était aussi encensée par la presse et les analystes financiers. Le magazine américain Fortune l'avait ainsi élue, 6 ans de suite, comme l'entreprise la plus innovatrice ! Pour finir, on a avec Enron l'un des plus beaux scandales du 21ieme siècle...
Plus proche de nous, Theranos, fondée par la jolie Elisabeth Holmes. Censée révolutionner les tests sanguins, l'entreprise créée en 2003 n'était qu'une vaste supercherie et une fraude massive. Le Los angeles Times écrivant après à ce sujet : "des entreprises à l'argumentaire fascinant, servies par des medias conciliants et crédules, avec un business plan qui élève le manque de transparence au rang de vertu et à leur tête un dirigeant séduisant et tout puissant.". Theranos avait tout de même levé 400M$, lui donnant au dernier tour une valorisation extravagante de 9Mds$, et faisant de Miss Holmes, avec une fortune de 3.6Mds$, la 6ieme femme de moins de 40 ans la plus riche des Etats-Unis !!
J'aime l'expression "des médias conciliants et crédules"...Ah, la presse aime tellement raconter des contes de fées et faire rêver, qu'elle en oublie bien souvent son devoir d'investigation et son sens critique. Je me rappelle du CEO fondateur d'un media bien connu dans le monde de l'entrepreneuriat, qui me disait qu'il avait essayé d'être plus "sobre et factuel", mais que son audience avait alors chuté...Il en était donc revenu à plus de sensationnel. Cocasse...
Ce n'est pas aussi parce qu'on est diplômé d'une école prestigieuse, HEC, X, Stanford ou Harvard, qu'on est une personne à l'éthique parfaite, cela n'a en fait strictement rien à voir. Je ne me rappelle pas avoir eu à HEC le moindre cours sur l'éthique, et mon principe maintes fois exposé sur ce blog de "l'honnêteté est plus une preuve de bon sens que d'intelligence'" provient de Barenton Confiseur, l'ouvrage de chevet de tout bon entrepreneur pragmatique (lecture obligatoire), et non pas de mes années sur les bancs de l'école !
Par contre, je me rappelle très bien de ces 2 jeunes HEC qui avait voulu m'enfumer il y a quelques années. S'en était suivi une belle assignation en justice...pour finir par une transaction de plusieurs dizaines de milliers d'euros...
J'ai malheureusement transgressé plusieurs fois au cours de ma carrière cette règle élémentaire de due diligence humaine approfondie, dans le choix d'associés ou de partenaires d'affaires, et je m'en suis souvent mordu les doigts...
Une bonne et saine méfiance systématique, un sens critique toujours en alerte, toutes choses complétées systématiquement par une due diligence approfondie (notamment auprès des anciens associés) pourrait vous éviter de coûteuses erreurs...
En ce qui me concerne aujourd'hui, dès que j'ai le moindre doute sur l'éthique d'une personne, ou que je perçois les moindres signaux faibles, je ne fais tout simplement pas affaire ou je cherche à me retirer du capital. La vie est courte, pas la peine de gaspiller de l'énergie sur ce genre de sujets, il y a des choses plus intéressantes à faire que de se prendre la tête la dessus. Comme disait Barenton : "ne jamais faire affaire avec quelqu'un qui à moins à perdre que vous si les choses tournent mal". Une règle d'or à ne jamais oublier.
Les affaires sont intrinsèquement suffisamment complexes pour ne pas en plus se compliquer la vie par une mauvaise association, qui finira mal tôt ou tard. Elaborer des stratégies, chercher à exécuter avec excellence, monter des équipes de top players, ça c'est passionnant, mais se faire polluer et devoir perdre beaucoup de temps, et parfois beaucoup d'argent, parce qu'on a fait une erreur d'association, ça l'est beaucoup moins...
Et dites vous bien quel que soit le pacte qui vous lie à vos associés, si vous avez affaire à une personne de mauvaise foi, vous aurez des problèmes.
Et ça aussi, c'est du vécu !
Très bon article, on devrait tous lire ça à 20 ans !
Posted by: pascalv | June 18, 2018 at 10:55 AM
Sans aucune arrière pensée, je vous écris simplement pour vour remercier d’écrire sur ces sujets qui vous tiennent à coeur. Je suis un lecteur assidu depuis 2012, j’apprécie beaucoup les analyses et retours d’expériences que vous livrez sur l’entrepreneuriat sans aucun bullshit.
Votre dernier article a fait écho car, en tant que profil technique « entrepreneur » , je suis souvent sollicité pour des associations avec des profils plutôt « business » et je relis certains de vos articles (notamment sur l’association et l’éthique) pour me rafraichir la mémoire sur le comment bien jauger son risque à ce stade. L’exemple de l’homme qui a du « brillant », qui s’exprime bien mais reste dans le flou et/ou évite de donner des détails sur les zones d’ombres me parle beaucoup (à la louche : 90% des sollicitations).
J’espère que vous continuerez longtemps à écrire car vous contribuez largement à ma formation entrepreneuriale.
Posted by: Philippe de MANGOU | June 18, 2018 at 04:01 PM
Toujours plein de bon sens, Michel!
Pourrais-tu partager un jour dans un post ta recette pour une due dilligence réussie?
Posted by: Jerome | June 18, 2018 at 04:32 PM
Merci à tous
@Jérôme, comme je mets dans le post, je recommande fortement d'aller investiguer auprès des anciens associés et de tous ceux avec qui la personne a été en affaires.
Bien évidemment, ne pas s'arrêter au 1eres déclarations, mais confronter et cross-checker avec plusieurs personnes.
Ce en posant des questions précises et incisives.
Faire attention aux petites choses et aux signaux faibles. L'expression "qui vole un oeuf vole un boeuf" a du vrai...
Posted by: Michel de Guilhermier | June 18, 2018 at 05:10 PM
Attention Michel le "titre" d'"expert in membership for luxury" permet de retrouver très facilement l'intéressé.
Posted by: Pierre | June 18, 2018 at 06:18 PM
"Il en était donc revenu à plus de sensationnel."... ce qu'on appelle plus communément dans le jargon des sujets "putaclic"
bravo pour ce post Michel
Posted by: stephane HERVE | June 20, 2018 at 01:34 PM
Article très intéressant !
Du coup, à défaut, diriez-vous qu'il vaut mieux être seul à bord...? Ce qui du coup pose problème à ceux qui souhaitent lever des fonds, puisqu'on recommande d'être plusieurs associés.
Posted by: Gabriel | July 02, 2018 at 11:27 AM
Non non, loin de la, avoir de bons associés c'est clé pour le futur d'une société. Je dis juste qu'il faut les choisir avec beaucoup de soin...
Posted by: Michel de Guilhermier | July 02, 2018 at 11:30 AM