Petite chronique du week-end...
J'ai aujourd'hui, et peut-être à contre courant de notre époque, la philosophie du temps long, pour tout, et sur le plan entrepreneurial le point est de bâtir pierre par pierre, tranquillement mais sûrement et méthodiquement, de belles et grandes sociétés qui feront peut-être 100M€ de CA dans 10 ans, mais aussi 1Mds€ dans 20 ans et pourquoi pas 10Mds€ dans 30 ans. C'est une philosophie fondamentale d'ailleurs de Day One.
Au 1er fondement de ma philosophie il faut rappeler au préalable la "règle du 10/10" que j'ai érigée il y a dèja quelques années : une société bien née peut générer 10x plus de CA durant sa 2ième décennie que durant la 1ère. Des géants actuels, dans des secteurs très différents mais aussi des périodes très différentes, étayent cette thèse : Ikea (1946), Walmart (1962), Starbucks (1971), Decathlon (1976) ou encore dans le digital Amazon (1994), Netflix (1997) et Alibaba (1999). Tesla (2004) également.
Back up chiffré sur 3 d'entre elles :
- Amazon : de 0 à 10Mds$ sur la 1ère décennie, de 10 à 100Mds$ sur la 2ième (x10)
- Alibaba : de 0 à 700M$ sur la 1ière décennie, de 700M$ à 40Mds$ sur la 2ième (x60)
- Decathlon : de 0 à 90M€ sur la 1ère décennie, de 90 à 1600M€ sur la 2ième (x17)
Mais pour bâtir de tels géants, la 1ère condition essentielle et déterminante c'est d'avoir...de très bons entrepreneurs. Et ça c'est le 2ième fondement de ma philosophie. Un Jeff Bezos, un Jack Ma, un Michel Leclercq, un Claude Bébéar (pour Axa), un Bernard Arnault, un François Pinault. On oublie aujourd'hui que Claude Bébéar et François Pinault ont commencé de quasiment rien (le micro assureur Mutuelles Unies pour l'un et une petite société de négoce de bois pour l'autre), et quant à Bernard Arnault il n'y avait que le petit promoteur familial Férinel ("propriétaire à la mer" pour ceux qui se rappellent du jingle à la radio dans les années 70 !).
Certes, il y a bien évidemment aussi et toujours les paramètres extérieurs, la taille du marché et son potentiel dévolution, la concurrence en place, les economics intrinsèques du secteur, etc. Bien évidemment que ces paramètres jouent, mais in fine le bon entrepreneur saura en tirer le meilleur, et bien mieux que ses concurrents. Et si le secteur est trop compliqué, pas assez dynamique, pas assez rentable, bien trop concurrentiel, etc, alors le bon entrepreneur saura pivoter pour aller chercher ailleurs un bel océan bleu rentable dans lequel il peut bâtir un empire...
On peut commencer, par une petite niche très étroite, ou alors un produit/service très spécifique - et c'est d'ailleurs souvent le cas car si on est en présence d'un secteur important il y a dèja de gros acteurs sur la place - mais après avec de l'ambition, de l'imagination, de la soif de conquête insatiable ("always Day One" !), on étendra progressivement son terrain de jeu, encore et toujours. J'étais hier dans l'une de nos start-up, clair leader de son micro secteur, et je lui disais que j'entrevoyais pour lui sans problème 50M€ de CA à horizon 7/8 ans. Et il me répondait "comment veux tu que je fasse ça, le secteur ne pèse pas plus de 10M€ actuellement" ! Eh, mon ami, rien ne t'empêche, une fois avoir fait de ta micro niche un bon business rentable, d'aller conquérir activement d'autres territoires ! Rien ne t'oblige à rester dans ta micro niche de 10M€...Sky is the limit, mais il faut de l'ambition, de la ténacité, de la méthode...et les capitaux suivront.
"Soyez fou, soyez insatiable", une phrase clé de feu Steve Jobs (il ne l'a pas inventée mais reprise d'un magazine des années 60 ou 70 aux US).
Cette croissance et ces conquêtes peuvent se faire de façon organique, mais aussi (et très souvent d'ailleurs même si ce n'est pas le cas de géants ci-dessus), par build up (ce que mon ami de 30 ans et associé Martin Genot appelle le "pacman", lire sa chronique récente dans Maddyness). Des sociétés comme Cisco ou Salesforce ont fait du build up à gogo, et en France le géant de l'assurance Axa s'est bâtie quasiment exclusivement par build up, de même d'ailleurs que LVMH voire aussi Kering. Dans le passé, j'avais d'ailleurs calculé que 80% du CA des entreprises du CAC40 provenait en faire de build-up au cours de leur histoire.
Je rappelle aussi au passage que plus de 80% du CA de Photobox aujourd'hui c'est du build up. Du Photoways que j'avais crée en 1999, j'ai commencé par racheter Photobox au UK en 2006, puis il y a eu Moonpig en 2010, puis Poster XXL en Allemagne, Hartmann en Espagne, etc.
Les exemples de sociétés qui se sont bâties par build up sont innombrables en fait, je pourrais rajouter en France Foncia, ou au niveau mondial Assa Abloy (le roi des serrures à l'histoire incroyable, qui possède Vachette en France). Et que représente aujourd'hui dans la market cap de Facebook les actifs clés qu'il a achetés comme Instagram et WhatsApp ?
Et pour revenir au très bon entrepreneur, c'est plutôt simple à formaliser :
Est-ce que l'entrepreneur (ou l'équipe) a l'intelligence (gros fourre-tout dans lequel on trouvera, sans ordre, la créativité, le pragmatisme, la capacité d'écoute, le sens de l'observation, le sens des chiffres et de l'argent, la flexibilité, etc), l'énergie (incluant la détermination, la rage de vaincre, mais aussi et surtout la résilience, etc) et enfin également la loyauté, l'hônneteté et l'intégrité ?
Si on trouve chez un entrepreneur ces qualités, alors on peut envisager de bâtir quelque chose de grand, mais alors de vraiment grand. On peut le "nurturer" avec bienveillance et exigence, le guider efficacement avec méthode et expérience, pour que, pierre par pierre, il construise progressivement un géant.
Depuis maintenant 25 ans que je suis entrepreneur et investisseur, j'en ai vu et j'en ai suivi de près des entrepreneurs, sans doute plusieurs centaines, et je pense pouvoir affirmer qu'il y a des lois humaines, des configurations psychologiques qui favorisent et expliquent en grande partie les succès et les échecs entrepreneuriaux. Quels que soient les secteurs, quels que soient les conditions extérieures, crise ou pas crise. C'est l'homme qui fait et qui fera toujours la différence.
Si vous prenez par exemple un entrepreneur sans pragmatisme, qui n'a aucune honnêteté intellectuelle (voire honnêteté tout court), et qui pense avant tout à sauver la face, alors non seulement les chances qu'il réussisse, quel que soit le secteur et les capitaux qu'ils lèvent, sont infimes, mais comme il cherche surtout à sauver la face il aura une propension très claire à vous mentir et vous manipuler, vous raconter l'histoire qui l'arrange et lui permette de s'en tirer...et vous de perdre votre mise avec une probabilité proche de 100% !
Beaucoup de gens sont plus drivés par le "paraître", par sauver la face, que par bien concrètement créer de la valeur économique durable, et ce coûte que coûte, quitte à se sacrifier s'il le faut. Mais c'est bien cette catégorie d'entrepreneurs sur laquelle il faut miser.
J'aurais ainsi des dizaines d'histoires à raconter qui tendraient à prouver que ce qui est arrivé était quasiment inéluctable et écrit dans la personnalité même de l'entrepreneur...
J'en ferais probablement un livre plus tard, avec des tas d'histoires étayées, factuelles, croustillantes.
Il y a des entrepreneurs pour lesquels la probabilité de succès est quasiment totale (avec une magnitude variable cependant) comme il y a des entrepreneurs pour lesquels la probabilité d'échec est quasiment totale. Et pour ces derniers, lorsque l'échec arrivera, ce sera évidemment la faute des conditions extérieures, le marché, la crise, la concurrence, les méchants investisseurs qui n'ont rien compris et qui n'ont pas soutenu, etc.
J'en connais actuellement qui risquent de lourdement se planter...et de mettre ça sur le compte du Covid qui a ravagé leur business. Certes, le Covid est de fait un black swann à l'impact extrêmement lourd, mais rien n'empêche de couper les coûts de façon drastique, d'utiliser sa trésorerie potentiellement plantureuse pour se déployer rapidement sur des créneaux moins affectés, etc. Si on veut vraiment perdurer, si on a vraiment envie de se projeter sur la longue durée, alors on fait ce qu'il faut.
La réalité est implacable, les vraies raisons fondamentales du succès et de l'échec ne sont pas extérieures mais intérieures. Quand on se plante, il faut s'en prendre à soi, il y a forcément quelque chose qu'on a mal fait. Le reconnaître est un signe d'intelligence entrepreneuriale.
Alors, in fine, investir dans un projet entrepreneurial de façon pragmatique, c'est avant tout investir dans un entrepreneur ou une équipe d'entrepreneurs, et donc mener une sacrée due diligence humaine : d'une part faire un profiling psychologique approfondi, et d'autre part évidemment prendre un maximum de références. Et chez Day One, nous misons bien en effet essentiellement sur les hommes...
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