Depuis une bonne dizaine d'années je ne me suis pas trop trompé sur la trajectoire Apple et l'énorme création de valeur actionnariale qu'ils ont produit (ils suffit de relire tous les posts de ce blog), et ce contrairement à de nombreux analystes moutonniers qui ne font que suivre les vagues.
D'ailleurs, maintenant qu'Apple est à son plus haut (au dela des 380$ l'action et 1700Mds$ de market cap), on voit bourgeonner une salve d'upgrades réhaussant les objectifs de cours...). Pathétique, et risible.
A la base, au delà d'avoir une analyse froide, détaillée et pragmatique des chiffres, je crois que c'est aussi et surtout parce que j'aborde simplement Cupertino avec le bon angle, ce alors que beaucoup d'analystes ne comprennent pas réellement la nature même d'Apple et ce qu'ils construisent.
D'où l'idée de partager ici aujourd'hui la façon dont j'appréhende Apple, et ce qui me permet alors d'en déduire assez logiquement son potentiel long terme...et pourquoi elle deviendra inéluctablement, après voir été la 1ère société à atteindre les 1000Mds$ de market cap, une "2 trillion company", et bien au delà.
Let's jump right in : la façon dont il faut voir Apple est la suivante : "a consumer electronics tool company, centered on the user experience, with a design twist" (désolé, en anglais c'est plus simple, ça permet une formule concise).
Un positionnement unique qui s'est d'abord porté sur les ordinateurs personnels dans les années 70, et ce pendant 2 décennies, puis qui s'est progressivement étendu à de nouvelles catégories :
- Les balladeurs MP3 dans les années 2000 (iPod)
- Les smartphones à partir de 2007 (iPhone)
- Les tablettes à partir de 2010 (iPad)
- Les montres connectées à partir de 2015 (Watch)
- Les écouteurs à partir de 2017 (Airpods)
De facto, il faut admettre qu'à chaque fois ce fut un mega succès, faisant couler les $ à flot du côté de Cupertino. Et ces profits étant aussi tout simplement la conséquence du fait qu'Apple jouit réellement d'un véritable avantage concurrentiel (je rappelle au passage le principe, la rentabilité d'une entreprise, in fine, est avant tout drivée par ses avantages concurrentiels).
Apple n'hésitant pas à s'auto-cannibaliser, déboulant dans une catégorie qui en amoindrit voire en tue une autre (ie iPhone vs iPod). Ce qui est assez pragmatique, vaut mieux s'auto-cannibaliser que se faire manger par les concurrents ;-)
Apple sait mieux que quiconque concevoir, marketer et distribuer de beaux produits électroniques design avec une user experience de grande fluidité, car d'une part c'est leur ADN, d'autre part ils ont investi de manière colossale dans ce domaine :
- Un brillant département design, superbement outillé, qui a d'ailleurs autorité sur les autres (comme toute société de design).
- Une puissante R&D (comme toute boite techno, 15Mds$/an environ d'investissement pour Apple).
- Une supply chain incroyable (comme tout grand industriel).
- Un fantastique réseau de distribution (comme tout très bon retailer).
- Une compétence et puissance marketing (comme toute belle société de consumer goods à la Coca, Pepsico ou Procter & Gamble).
Apple a ainsi définit et construit au fil des années son propre pré carré, avec un jeu strictement unique de compétences et de savoir-faire, ce qui explique pourquoi la firme a pénétré avec succès de nouvelles catégories de produits...et peut en pénétrer d'autres dans le futur...avec tout autant de succès !
Amazon a bâti à coup de dizaines de milliards une plateforme unique pour disrupter la distribution (par exemple avec une grosse centaine de fulfilment centers automatisés de par le monde pour servir une base de l'ordre de 400M de clients gagnés à travers les années), c'est devenu (notamment) le plus incroyable retailer de la planète, même si Walmart lui oppose aujourd'hui une belle résistance, et Apple a bâti une plateforme unique pour disrupter le monde des outils du quotidien, du moins ceux qui ont une très forte composante électronique et technologique.
Mais pour qu'Apple se décider d'attaquer une nouvelle catégorie de produits, il faut aussi 2 conditions :
- Qu'elle soit très large, des dizaines de milliards de $ au minimum, du moins à terme. Une société comme Apple, réalisant aujourd'hui environ 300Mds$ de CA, ne peut pas diluer ses ressources sur des catégories marginales. Apple n'ira ainsi pas attaquer par exemple le marché des drones de loisir (pré carré du chinois DJI), quelque part une niche qui ne doit peser que quelques milliards au niveau mondial, ni celui des brosses à dent connectées (totalement anecdotique en terme de taille).
- Que la technologie soit suffisamment mature pour être utilisée efficacement dans le sens de la user expérience et du bénéfice consommateur. Apple ne cherche ainsi pas à être le 1er à sortir un produit juste pour être le 1er, ils le sortent quand il est dèja assez mûr pour faire une vraie différence. D'où parfois les critiques narquoises disant qu'Apple ne fait que suivre...Laissez les dire...
Et une fois que ces 2 conditions sont réunies, Apple mobilise alors son organisation, lance ses équipes, investi ses ressources, recrute souvent de nouvelles compétences pointues pour parfaire l'expertise requise, ce pour attaquer méthodiquement la catégorie en question avec le maximum de chance de réussite.
Question organisation humaine, Apple ne laisse rien au hasard et leur ADN est dans ce domaine très particulier et unique également, avec un mot clé qui résume tout : focus, focus, focus. Cupertino recrute des stars dans leur domaine et leur demande alors d'être chacune hyper focus sur un domaine très précis. N'hésitant pas ainsi à recruter et spécialiser un grand manager sur un scope hyper étroit, bien moindre que ce qu'il pouvait précédemment gérer.
Tel, mais ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autres, de cet ancien PDG d'une entreprise de luxe (Paul Deneve, Yves St Laurent), recruté pour aider à mettre en place la distribution de l'Apple Watch et son positionnement "fashion" initialement (qui a depuis bien changé). Alors qu'il dirigeait Yves St Laurent, chez Apple il était juste en charge d'un "special project"...
Je passais l'autre jour ma matinée avec 2 anciens cadres de haut niveau d'Apple Europe, dont l'un qui est aujourd'hui chez Google, qui me disaient qu'il n'y avait pas plus laser-focus comme organisation qu'Apple...Une vraie start-up, ou plutôt une start-up comme toutes devraient l'être, focus, mais aussi frugale et gérée de très près question budget.
Une fois tout ceci posé, une fois qu'on appréhende Apple de cette façon, il est alors assez aisé d'entrevoir que la plateforme business qu'a construit Apple pour attaquer avec succès de nouvelles catégories hardware, et ses avantages concurrentiels en la matière, vont conduire Cupertino a attaquer un nouveau énorme marché, celui de l'automobile.
- D'une part il s'agit bien d'un marché énorme (6000Mds$ environ, soit 5x la taille du marché des smartphones, 1ere source de revenus pour Apple aujourd'hui avec environ 150Mds$ de CA/an)
- D'autre part la technologie, dans la mesure où une voiture incorpore de plus en plus d'électronique, permet de réinventer les choses pour apporter une user experience tout à fait inédite.
Et donc, oui, c'est inéluctable selon moi, Apple va bel et bien débouler sur ce marché et oui il y aura une Apple Car dans la futur. C'est dans la stricte logique des choses, et c'est aussi juste une question de temps.
Si Apple a mis 2,5 ans à sortir le 1er iPhone, j'imagine très bien - vu la complexité du sujet - qu'ils ne mettent pas moins de 8 à 10 ans à sortir une Apple Car. Le projet ayant a priori démarré vers 2015, on est plutôt sur un timing de 2025. Et sous 10 ans après le lancement, au milieu des années 30, on pourrait entrevoir quelques millions de véhicules et quelques dizaines de milliards de $ de CA...
Et d'ailleurs, pourquoi se presser ? Ils ont un ADN spécifique pour réussir dans cette catégorie, des avantages concurrentiels majeurs, ils ont des moyens financiers colossaux, donc le temps n'est pas un problème du tout.
Fidèle à son ADN de parfaire un outil en travaillant sur son design et également sur la meilleure user experience possible, Apple s'attaque aujourd'hui à réinventer l'automobile, de A à Z, la form-factor, la façon de conduire, mais aussi de manière plus large toutes les interactions avec son véhicule, dans toutes ses composantes, petites et grandes.
Totalement fidèle aussi à son ADN de secret, on ne sait quasiment rien aujourd'hui sur où en est Apple dans son projet voiture (dénommé en interne "Titan"), comme on ne savait pas grand chose du projet iPhone ou du projet Watch avant leur sortie. Mais on apprend très régulièrement qu'Apple a déposé un brevet sur telle et telle feature, ce qui confirme simplement qu'Apple est en train de repenser et réinventer totalement la voiture. Par exemple des brevets aussi différents que :
Et on en a comme ça des dizaines voire des centaines...
Il me parait assez évident que la voiture d'Apple ne peut être qu'électrique, ce qui suppose la maitrise d'une technologie clé, celle des batteries. Et en ce domaine, nulle doute qu'actuellement Tesla, qui a démarré en 2004 quand même, a une grosse longueur d'avance. C'est même d'ailleurs sans doute leur avantage concurrentiel principal, et majeur, car ses voitures ne sont pas par ailleurs particulièrement bien finies, je ne les trouve pas non plus vraiment belles aussi bien à l'extérieur et l'intérieur, et Tesla n'a pas non plus réellement réinventé la user experience voiture. Ils ont même une approche totalement traditionnelle à bien des égards (OK, j'avoue quand même, la mise à jour des systèmes par Internet est une vraie innovation à valeur ajoutée). Tesla a pris une belle place sur le marché de la voiture grâce à sa maitrise des batteries, qui permettent de sacrées performances tant en vitesse, accélérations qu'autonomie, on pourrait même en conclure qu'en fait ils ont surtout disrupté le monde des batteries. Mais c'est Apple qui est le plus à même de disrupter l'usage même de la voiture grâce à son ADN de recherche en matière de user experience. Sans même parler du design.
D'ailleurs, si aujourd'hui Tesla sort du lot par ses performances, il n'est pas certain que demain ce facteur performance soit vraiment l'aspect clé qui fera acheter les voitures. On devrait de plus en plus définir une voiture par d'autres critères, ie sécurité, confort, user friendliness et interface utilisateur, connectivité, services divers, etc.
Concernant les batteries, de 2 choses l'une aussi : soit Apple arrive à suffisamment rattraper son retard en matière de batteries soit ils finiront par acquérir la techno en rachetant Tesla, ou un autre. Car Apple a aussi une culture bien ancrée de rachat de sociétés pour acquérir des technologies spécifiques dont ils ont besoin pour venir combler des trous. Le rachat de Beats en 2014 avait ainsi bien plus à voir avec l'acquisition de techno liées au streaming musical que sur les casques proprement dit, avec en bonus du management (Jimmy Iovine).
Et si Apple arrive bien à cracker l'aspect batterie, la probabilité existe que Tesla se fasse alors à son tour disrupter...
Et pour revenir sur le timing du projet Titan et la non nécessité de se presser pour Apple, ce n'est pas avant 2025 environ que le marché de la voiture électrique va réellement être sizable. Lire l'étude Deloitte sur le sujet, les véhicules électriques devraient représenter 12% du marché en 2025 (contre 2% aujourd'hui) et 20% en 2030. Du point de vue technique, les véhicules électriques embarquent encore de sérieuses contraintes qui empêchent que ce soit à cette heure un marché de masse : distance possible sans recharge, temps de recharge, couverture du territoire/infrastructure bornes de recharge, etc. Sans parler du prix. Tout ceci s'améliorera progressivement, mais il faut laisser du temps au temps. Apple débarquera au moment le plus opportun, quand ils sentiront que le marché pourrait devenir de masse.
Concernant l'aspect production, nulle doute qu'il existera, si réellement besoin, des constructeurs traditionnels à racheter pour pas grand chose, voire même rien du tout, car les années à venir risque d'être très compliquées pour eux. Cupertino, assis sur une trésorerie pléthorique, et un business qui devrait générer 100Mds$ de cash flow minimum d'ici à 2025, pourra se payer n'importe lequel d'entre eux. Encore une fois, si besoin, mais il sera sans doute bien plus judicieux de soutenir et financer en équipements un "foxconn de la production auto", ie un Magma International.
En l'absence d'information de la part d'Apple sur le projet Titan, les analystes en sont réduits à des spéculations, voire à des extrapolations pour le moins hasardeuses. Ainsi, il y a 2 ou 3 ans, il y avait eu une grosse vague de dégraissage des équipes en charge du projet, et l'on pouvait alors lire dans la presse quelque chose "Apple scales back its ambitions". Mais entre réduire ponctuellement la voilure pour telle ou telle raison et réduire ses ambitions long terme, il y a un sacré gap que certains ont allègrement franchi.
Pour ma part, je sus intimement convaincu que l'objectif long terme est et a toujours été de concevoir et vendre une voiture. Maintenant, en fonction de l'évolution du marché, et de facto l'essor du marché de la voiture électrique est plus lent que prévu, et des technos disponibles, il est tout à fait pragmatique pour Apple d'adapter la structure et les coûts. Mais en rien ça ne vient remettre en cause l'ambition long terme.
Au dela de l'Apple Car, qui à mon sens donc est vraiment "the next big thing" pour Cupertino, mais alors vraiment "big", il y a un autre secteur sur lequel on devrait les voir arriver, c'est celui de la réalité augmentée, via des lunettes.
Les Google Glass de 2013 n'eurent elles aussi qu'un micro succès d'estime et n'avaient absolument pas trouvé leur marché, car la techno n'était alors pas prête pour avoir un produit avec une vraie valeur d'usage suffisante. Le produit est arrivé trop tôt eu égard à ce que permettait alors la technologie. D'ici 1 ou 2 ans, Apple sortira certainement un produit fini adéquat, et à terme d'ici à 2030 je pense bien que ça pourrait également leur rapporter 2 ou 3 dizaines de milliards de CA.
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