Tesla a finalement publié des résultats exactement au niveau du consensus pour l'EPS (0,85$) et très légèrement en dessous pour le CA à 23,3Mds$ vs 23,5Mds$.
Comme je pariais hier, ne faisant qu'égaler un consensus déja "pessimiste", les investisseurs n'ont pas apprécié et en after hours, l'action $TSLA, après avoir déja chuté de 2% en séance, prenait la direction du sud en perdant encore 6%. Tant mieux, je m'en réjouis ! Jusqu'où tombera l'action aujourd'hui et demain, peut-elle perdre 10%, voire plus ? Je n'en sais rien, ça va dépendre aussi des analystes et de leurs éventuelles nouvelles targets, mais plus ça chute, plus je me réjouirais. $AAPL semble dans une dynamique upward en ce moment, donc très probable que je fasse tranquillement quelques arbitrages...
Au dela des chiffres (cf ci-dessous), j'ai surtout passé du temps à disséquer les commentaires du management de l'earnings conf call (1 heure environ), je mets mon analyse ci-dessous.
1er point intéressant sur la forme, au delà du CEO et du CFO, et de Martin Viecha, VP en charge des relations Investisseurs, on avait aussi 3 opérationnels : Drew Baglino, SVP Powertrain & Energy ainsi que Karn Bhudiraj et Roshan Thomas, 2 VP en charge de la supply chain. Etonnant et peu courant que ces executives soient aussi dans l'exercice. Ni avec Apple, Amazon ou Microsoft des opérationnels participent aux earnings conf call.
Juste pour donner d'abord les grandes metrics financières :
- CA Automotive : 20,0Bn$ (+18% vs Q1 2022)
- CA Energy : 1,52Mds$ +148% (je m'attendais à un ramp up encore plus rapide et 1,8Mds$),
- Automotive Gross Margin : 21% (vs 32,8% Q1 2022)
- Automotive Gross Margin ex regulatory credits, ex leasing : 18,3% (vs 29,6% Q1 2022)
- Energy Gross Margin : 11% (vs negative -10% Q1 2022)
- Operating Margin : 11,4%, -779bp
- Net Income : 2,5Mds$, -24%
- Non Gaap EPS : 0,85$, -21%
- Free cash flow : 441M$, -80% (2,5Mds$ operating cash flow - 2,1Mds$ capex)
- Cash : 22,4Mds$ (vs 18,0Mds$).
De fait, la forte baisse des prix lancée au Q1 vient, à court terme, fortement raboter les marges, qui restent cependant à un très bon niveau objectivement pour l'industrie, moultes en rêveraient, n'est-ce pas Renault, n'est-ce pas Toyota, n'est pas Volkswagen (11,4% d'operating margin est en effet très largement au dessus de l'industrie) ?
Elon Musk a, et pour la 1ère fois, clairement expliqué le fondement de cette stratégie délibérée de volume au détriment des marges court terme. Tesla a pour l'instant l'objectif principal de se bâtir la plus large base de clients possible, que la firme entend/pense ensuite leverager plus tard avec la feature d'autonomie, et engranger ainsi des profits très susbtantiels (marge de 95% la dessus sans doute) : "we've taken a view that pushing for higher volumes and a larger fleet is the right choice here versus a lower volume and higher margin. However, we expect our vehicles, over time, will be able to generate significant profit through autonomy. So we do believe we're like laying the groundwork here, and then it's better to ship a large number of cars at a lower margin, and subsequently, harvest that margin in the future as we perfect autonomy. This is an extremely important point".
On a presque une stratégie comme les fabriquants d'imprimantes : on vend le hardware pour pas grand chose, et on se rattrape(ra) sur les consommables ;-)
Dit différemment aussi, on peut considérer que l'abandon d'une partie de la marge/véhicule, qui est un choix pro-actif de Tesla, est un investissement pour le futur, un investissement long terme. Musk ayant par ailleurs confirmé que la demande aujourd'hui reste supérieure à la capacité de production : "I think the overall thing we can say is that orders are in excess of production". Tesla n'a pas vraiment de problème de demande. Musk a au passage confirmé le range de 1,8 à 2M de véhicules cette année (soit croissance de 40 à 50% vs 2022), et Tesla a aussi de nouveau confirmé l'objectif d'une croissance des volumes de 50% en moyenne sur la distance (avec des années au dessus, et des années en dessous).
C'est évidemment un business model très différent de celui pris historiquement par l'ensemble des autres constructeurs généralistes, c'est clairement disruptif, c'est aussi une stratégie et une prise de risque que d'aucuns ne comprendront peut-être pas tout de suite, mais je la trouve pour ma part parfaitement légitime et pertinente pour Tesla, dont la firme a bien les moyens (car lowest cost producer), et elle rejoint d'ailleurs ce que disait publiquement il y a quelques temps lui-même le PDG de Volkswagen, à savoir que d'ici à 2030 la majorité des profits devraient venir du logiciel !
Stratégie d'autant plus pertinente que Tesla a aussi un edge considérable en matière de conduite autonome (et pour moi irrattrapable) ce grâce aux data qu'ils collectent : "regarding Autopilot and Full Self-Driving, we've now crossed over 150 million miles driven by Full Self-Driving beta, and this number is growing exponentially. We're -- I mean, this is a data advantage that really no one else has. Those who understand AI will understand the importance of data -- of training data and how fundamental that is to achieving an incredible outcome".
Point capital, Tesla progresse vraiment bien justement sur la conduite autonome. Musk a déclaré, sur un ton sobre : "for those that are using the FSD beta, I think you can see the improvements are really quite dramatic. There'll be a little bit of two steps forward, one step back between releases for those trying the beta. But the trend is very clearly towards full self-driving, towards full autonomy. And I hesitate to say this, but I think we'll do it this year. So that's what it looks like. Yes". On peut bien sûr ne pas le croire (et on aurait des raisons vu qu’il s’est pour l’instant tout le temps trompé depuis 5 ans !), mais on doit admettre que si Tesla délivre bien cette année, ça changera tout...Ce qui est factuel, c'est que les feedbacks sur la nouvelle beta du FSD sont extrêmement enthousiastes, suffit de lire Twitter ou d'aller sur YouTube.
La vision de Musk : "if we're able to have a fleet of several million vehicles that with a software update can be potentially worth several times their original value, that's – that will be – if that happens, that will be the – and I think it will happen, that will be the biggest asset value increase in history, I think".
Quelque part, on pourrait résumer les choses comme cela : Tesla fait aujourd'hui des sacrifices de marge et investit pour voir arriver ce jour historique où subitement son énorme parc de voitures prendra une valeur colossale grâce à l'autonomie qu'ils auront crackée avant tout le monde ! Tesla parie ainsi énormément sur l'autonomie, qui va être au coeur de son nouveau modèle économique. Side benefit au passage, ça pourrait aider certains à comprendre que Tesla n'est pas une car company "comme les autres" !
Sur le fond de cette stratégie de volume, c'est évidemment aussi très différent d'une stratégie de maximisation immédiate des marges en ne visant que le segment premium, comme fait Apple avec ses devices (mais qui dans son domaine arrive en plus à leverager sa base en vendant des services à forte valeur ajoutée/forte marge). Ou comme Tesla avait initialement fait également.
On a tout de même assisté à 6 baisses de prix successives aux US ce trimestre, d'où la question venue d'un analyste sur comment ces décisions étaient prises, quelles étaient les variables pris en compte ? Tesla a (assez logiquement) botté en touche cet aspect très confidentiel, mais a tout de même précisé que les décisions étaient mûrement soupesées et réfléchies par une équipe dédiée : "as a team, we review where we stand globally on a weekly basis and certainly, I can't get into the details of the reasons why certain decisions are made. But it is something that's very actively managed by a subset of the leadership team". Le pilotage des prix, donc des marges, vs les volumes recherchés, est probablement réalisé rationnellement.
Pilotage réactif en temps réel (autre avantage du modèle de distribution directe) : "every day, we get a daily real-time update of how many cars were ordered yesterday, how many cars were produced yesterday. We must have – if there's a company that's got more real-time data than Tesla – I'm not sure, there's any company on earth that has better real-time data than Tesla"..."For the other car companies, they will make the cars, send them to the dealers then the dealers will sell the cars. And then it takes quite a long time for them to get the data back to actually figure out how many cars were sold".
Les investisseurs et analystes doivent maintenant prendre la mesure de cette stratégie et de ce modèle, ce qui pourrait ne pas être évident pour beaucoup s'ils se cantonnent à analyser avec l'angle traditionnel auquel ils ont toujours été habitué ! Mais au moins ça pourrait faire l'objet de débat intéressants sur le fond (et bien plus passionnant que d'argumenter sur le comportement potentiel de l'action $TSLA et du fait de la trader parce qu'elle resterait dans un "range" !).
La majorité des investisseurs va plutôt probablement vouloir attendre de voir concrètement les fruits de cette stratégie avant de l'adouber et de se ruer plus tard sur l'action. Compréhensible et…tant mieux !
Le point important sur le fond pour moi, c'est que vu sa position de lowest cost producer (grâce à sa taille, son intégration verticale, son brio en manufacturing, ses process et équipements maison, etc), Tesla est capable de mener une stratégie de volume et de monter fortement sa base de clients tout en gagnant quand même pas mal d'argent par véhicule, ce plus que les autres, même si bien moins que par le passé : "while we reduced prices considerably in early Q1, it's worth noting that our operating margin remains among the best in the industry" (Elon Musk).
Alors qu'il y a quelques années, Tesla ne vendait que des modèles très premium à 100K€ (modèle S et X), avec de fortes marges, Musk vise aujourd'hui à maximiser un volume, qu'il leveragera plus tard, ce qui va je pense obliger les autres constructeurs à eux jouer une stratégie inverse, moins de volume mais plus de marge/véhicule, donc de la niche plus ou moins importante et du premium. Ce qui devrait bien nous amener à ce que j'anticipe, à savoir qu'ils perdront d'ici 2030 30 à 40% de leurs volumes (lire ICI). Ce qui n'empêchera pas les plus smart et ceux qui auront bien abaissé leur point mort de bien vivre... à l'ombre du géant en volume que sera devenu Tesla ! On s'achemine alors vers un panorama des acteurs totalement différent et inverse de ce qu'on a actuellement !
Dans cette stratégie de volume, la descente des coûts est évidemment clé, les investisseurs étaient, comme je le mettais hier, obnubilés par la "automotive gross margin", mais Tesla n'a pas donné de précision chiffrée sur le niveau de marge. A la question "what do you anticipate 2023 automotive gross margins ex credits will be at the company's current pricing levels ?", le CFO Zack Kirkhorn n'a initialement répondu que par des grands traits : "This is a difficult environment to make a projection like this. There's a lot of macro uncertainty. There's also headwinds and tailwinds. And this is basically a question I think that's asking about viewpoint and where costs will go. And within costs, there's a set of costs in which we do control the set of costs in which we're kind of subject to what's going on in the macro world...".
Avec néanmoins au passage un commentaire rassurant : "as a company, we do expect commodity prices to come down and have a more meaningful impact in the second half of the year". Question marges, je pense bien de mon côté que ce Q1 devrait être le quasi point bas de l'année...avec le Q2 (peut-être pire).
Cependant, un analyste (Emmanuel Rosner) a dans la suite du call un peu poussé le CFO à préciser en lui rappelant que lors des earnings du précédent trimestre il avait été confortable par annoncer au moins 20% de marge brute (sous entendu il y a tout de même eu un miss significatif ce trimestre avec les 18,3% de gross margin ex regulatory credits). Ce à quoi Kirkhorn a répondu, sans éluder le fait qu'il y avait bien eu un "miss" :
"About half of the miss against that previous conversation last quarter is attributed to adjustments we made in pricing in the second half of the quarter. I mean, I guess you could argue that that lowers the floor in a sense. We've also made pricing adjustments so far this quarter. So that brings it down further.
About the other half of the miss in Q1 was attributed to things that are nonrecurring. So I mentioned these in my opening remarks. It's a warranty adjustment for cars that were previously produced but not part of the pedigree of cars we're building now and some autopilot-related deferrals as we make some technology changes here that this deferral should get recognized once some of the software catches up. So those two things are not repeating. So hopefully, that helps answer your question."
Façon de dire qu'il espère quand même que ces 20% minimum de marge brute automotive qu'il avait annoncé pourrait tout de même bien être le cas sur le reste de l'année, mais que ce n'est pas certain...
Bref, Tesla ne s'est pas vraiment avancé sur les marges dans le futur (mais bon, faut pas être visionnaire pour comprendre qu’elle seront sous pression), et il est évident que les investisseurs ne peuvent pas apprécier cette incertitude court terme ! Il faut juste faire confiance à Tesla, ou pas, pour descendre ses coûts aussi fortement et rapidement que possible, mais aussi patienter que les économies d’échelle arrivent. Pour ma part c'est le cas, comme je suis convaincu qu'ils le feront mieux que les concurrents et qu'ils resteront de loin le lowest cost producer.
Good news pour le Cybertruck qui se profile concrètement à l'horizon : "we're completing the installation of the volume production line at Giga Texas, and we're anticipating having delivery event, a great delivery event probably in Q3". Un Elon Musk bullish sur ce nouveau véhicule, mais qui a tenu a tempéré l'enthousiasme concernant son volume de production : "and it is my view, a fantastic product, a hall of famer. It's amazing. But as with all new products, it takes time to get the manufacturing line going. And this is really a very radical product. It's not made in the way that other cars are made".
Par contre, pas plus de précision sur les features et le pricing, ce sera pour l'event a priori fin septembre ! ("I think we'll save that for the Cybertruck handover, which will hopefully be around the end of Q3 this year").
La division Energy fut un bright spot, elle commence bien à devenir significative pour Tesla, et même si elle ne représente toujours que moins de 10% du total, sa croissance est très supérieure à la division Automotive (+148% vs +18%), et commence à dégager de la marge (ce qui n 'était pas du tout le cas l'année dernière). Ce qu'a parfaitement résumé le CFO : "our storage business is starting to take shape, and this is exciting to see after many years of investment and focus. This business is growing as a percentage of the businesses of the company's revenue and reached its highest level yet in Q1, driven by an increasing rate of deliveries for our Megapack products. We are also making progress on storage profitability, generating our highest gross profit yet in the quarter".
A noter que Musk reste très prudent sur l'environnement macro à court terme (voire même pessimiste), mais toujours optimiste à horizon 12/18 mois : "stormy weather for about 12 months and then provided there are no major geopolitical wildcards that show up, that things start getting sunny around spring next year". Et à un autre moment il disait : "I think I would be very optimistic about middle of next year, end of next year".
En synthèse, 2023, sur le plan des résultats financiers, ressemble un peu à une « année de transition » (même s'ils resteront bien rentables et plus que la majorité des concurrents), les fruits de la stratégie Tesla, en terme de $ de net profit, devraient plutôt commencer à éclater au grand jour milieu/fin 2024 ! Et d'ici la on risque bien d'avoir encore quelques quarters que les boursicoteurs qualifieront de « décevants ».
D’où, évidemment, une pression sur le cours de $TSLA…Pour ceux qui attendaient une valorisation immédiate de leur portefeuille d’actions, ça risque d’être décevant, mais pour ceux qui comme moi sont en phase d’accumulation, car ils croient en la valeur de cette stratégie et de l’énorme potentiel à terme de Tesla, ce devrait être une aubaine !
Comme le disait Elon, ils sèment, ils investissent (notamment via des réductions de prix et de marge) et ils récolteront plus tard, et plutôt à partir de l'année prochaine en fait !
Si on croit à cette stratégie, et qu’on comprend le contexte, c'est bien cette année qu'on aurait l'opportunité d'acheter (tranquillement) dans les meilleures conditions (et ce avant le FSD ne soit cracké !). Une année bénie pour bâtir ou renforcer une grosse position. Puis être patient.
Pour écouter la Conf Call, c'est ICI.
Et pour la lire, c'est LA.
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