Créée en 1995, VistaPrint est aujourd'hui une très belle société de près de 1Mds$ de CA, en croissance d'un peu plus de 20% sur le dernier exercice, très rentable, autour de 10% de marge nette. Dans le Top 10 mondial des Pure Players (en CA, c'est le 4ième pure player US après Amazon, NewEgg et Netflix).
VistaPrint est d'ailleurs venu témoigner 2 fois aux conférences "eCommerce & Rentabilité" que j'avais organisées avec Catherine Barba, en mai et octobre 2010.
Mais si François Lemarchand, Président de Nature & Découverte, témoignait de son côté sur la nécessaire écoute et compréhension client, témoignage renforcé par Xavier Garambois, DG d'Amazon France, qui sont eux "customer obsessed", je faisais intervenir Ernst Teunissen (CFO) ou Robert Keane (Fondateur et CEO) de VistaPrint pour illustrer l'avantage concurrentiel intrinsèque.
Derrière le site VistaPrint, il y a en effet une incroyable maîtrise de la production, avec des usines hyper automatisées sur 3 continents. VistaPrint, ce sont des centaines de millions de $ investis en R&D (des dizaines de brevets ont été déposés) et manufacturing au fil des ans, ce qui lui donne de fait un avantage concurrentiel majeur. Robert Keane estimant que VistaPrint avait au moins 5 ans d'avance.
Robert Keane, que je connais depuis de nombreuses années (je rappelle qu'il avait fait une offre pour racheter Photoways en 2005), est process et cost-obsessed, et a bâtit une société à son image, hyper efficace sur ce plan là. L'ADN de VistaPrint reflète l'ADN de Robert.
Pourtant...
Pourtant, jeudi dernier, en même temps que la publication de leur comptes trimestriels - tout à fait en ligne avec les attentes, tant au niveau du top que du bottom line - VistaPrint a annoncé qu'ils devaient revoir leur modèle, que la rentabilité 2012, attendue aux alentours de 2,5$/action (Gaap), ne serait que de 1,1$/action, que 2013 ne serait qu'à peine mieux, et que ce n'est qu'en 2014 que la rentabilité reprendrait une forte tendance haussière.
Pour la 1ère fois, ils donnent une tendance long terme : 2Mds$ CA en 2016 et 5$ bénéfice net/action (900M$ et 1,83$ en FY2011). C'est bien dans l'absolu, mais les investisseurs qui s'attendaient déja à 2,5$/action en 2012, anticipaient implicitement ces chiffres, et ce sans remise en cause du modèle ni baisse de la rentabilité en 2012/2013.
Que s'est-il passé ?
Et bien c'est simple : sur le fond, VistaPrint a reconnu indirectement qu'ils n'avaient pas assez prêté attention à leux clients, à leurs besoins, à leur satisfaction, à la qualité des produits et des services vendus, et qu'ils devaient maintenant lourdement investir pour améliorer tout cela...
Ces lacunes, mécaniquement, ont pesé sur la croissance qui s'était tassée au fil du temps, ce malgré le potentiel de marché encore extrêmement large. Un signe, le repeat business, qui malgré le besoin intrinsèque des clients, était descendu sous les 0,5 (moins d'un client sur 2 revenait l'année suivante), ce qui est la caractéristique d'un service qui n'est pas d'une qualité optimale.
En forçant le trait, voila ce que je pourrais aussi comprendre : "VistaPrint a réussit dans le passé à croître fortement tout en étant très rentable, mais cette croissance et cette rentabilité étaient un peu forcées et n'étaient pas tenable en l'état car l'intérêt du client n'était pas au centre".
Cela parlera aux quelques dizaines de personnes qui ont suivi les Ateliers Ecoute Clients : je suis sûr que si VistaPrint avait fait régulièrement un NPS ils auraient rectifié le tir depuis bien longtemps et au fil de l'eau !
Citations choisies :
- "We began fiscal 2011 with a goal to understand our customers better...". Après 15 ans, voila une bonne intiniative...
- "We will significantly increase our budget for proprietary customer research so that we continue to deepen our ability to understand, segment and serve the needs of our customers and to improve our site via usability studies". Autre aveu qu'ils passaient trop peu de temps à comprendre les différents groupes de clients et leurs besoins respectifs.
- "We will provide an even stronger customer value proposition by improving quality, user interface, shipping pricing and customer service levels...". Cela devrait aller sans dire, c'est ce qu'il faut faire continuellement, année après année. La qualité des produits et l'image VistaPrint ont souvent été critiqués sur les forums...
- "Improved customer value proposition leads to increased customer satisfaction and loyalty. We expect this to increase the lifetime value due to better retention, more spend per customer and the opportunity for pricing optimization. Higher customer value also increases the rate of word-of-mouth referrals...". Il semble qu'ils découvrent les bénéfices d'un client fully satisfied : il revient plus souvent, génère donc une meilleure "life time value" et fait un bon bouche à oreille !
- "Finally, we will begin to test lower pricing for shipping and processing". VistaPrint était parfois critiquée pour des tactiques commerciales "lourdingues", arguant de gratuité sur le produit, mais le client était alors assommé par de très lourds frais de shipping & processing...
Quel contraste avec Amazon qui est depuis le départ totalement customer-centric voir customer-obsessed, qui pense avant toute chose à investir pour améliorer sans cesse l'expérience client...et qui en récolte aujourd'hui les fruits trimestre après trimestre. Il faut réaliser que la croissance d'Amazon au dernier trimestre (+52%) est la plus importante connue depuis 10 ans ! Une entreprise de 16 ans et de 40Mds$ de CA qui bat ses propres records de croissance, c'est exceptionnel.
Concrètement, le plan annoncé par VistaPrint, et les investissements liés, comporte 3 volets, interdépendants :
- Meilleure compréhension des besoins clients et amélioration de la qualité des produits et des services.
- Accélération des dépenses marketing pour recruter encore plus de clients, quitte à dégrader le coût d'acquisition à court terme.
- Amélioration de l'efficacité du manufacturing
Plus de clients, encore plus satisfaits, une production encore plus efficace et cost-effective et donc délivrant de meilleures marges brutes, voila qui sur le papier est cohérent pour exploiter ce qui est une énorme opportunité de marché et bâtir un géant sur le terme.
Encore une fois, cela est depuis toujours la ligne de conduite d'Amazon, toute simple mais pragmatique, qui a très lourdement investit au fil des ans pour délivrer une expérience client exceptionnelle sur une opportunité de marché colossale. Et la Bourse a souvent applaudit des 2 mais quand Jeff Bezos expliquait qu'il devait encore accentuer ses investissements !
Alors que penser de VistaPrint et faut-il investir sur la valeur, maintenant qu'elle a perdu près de 60% sur ses plus hauts ?
Sur le fond, j'ai 2 convictions :
- L'opportunité de marché est énorme, VistaPrint opère sur un marché très fragmenté et même en étant le leader n'a qu'une part de marché de 3%.
- VistaPrint dispose dans son activité d'avantages concurrentiels très importants, et pérennes.
La valeur mérite donc largement d'être considérée, elle a un gros potentiel, reste à voir à quel prix l'acheter !
VistaPrint nous annonce un bénéfice par action de 5$ en 2016. Ce sans tenir compte des éventuelles acquisitions qu'ils feraient (ils disposent de 200M$ dans les caisses et ont annoncé rechercher des cibles). Avec une bonne exécution, je pense qu'ils peuvent être très au dessus de ces targets, peut-être 6 ou 7$/action. Cela nous mènerait alors à une action entre 60 et 120$ dans 5 ans.
Sur le plus long terme, 10 ans, 15 ans, etc, vu l'opportunité de marché qui doit bien faire 200Mds$ au niveau mondial, on peut très bien imaginer un VistaPrint réalisant 5 puis 10Mds$ de CA, générant entre 500M et 1Mds$ de bénéfices, et donc étant valorisée entre 5 et 15Mds$, contre 1Mds seulement aujourd'hui.
Maintenant, sur le fond, VistaPrint a également à mener une révolution culturelle, où au lieu de seulement pousser massivement par un marketing très/trop agressif, ils vont devoir mettre le client, ses besoins et sa satisfaction, au centre. Inculquer et irriguer ce customer-centrism partout dans l'organisation n'est clairement pas une chose aisée ni gagnée, car ce n'est pas actuellement dans leur ADN (re, contrairement à Amazon).
Leur plan peut donc échouer, au moins partiellement, ou mettre plus de temps à être exécuter, mais dans ce cas, vu le marché, le potentiel et la croissance, VistaPrint devrait tout de même arriver à déliver 2 à 3$ de bénéfice par action en 2016 et dans un worst case je n'imagine pas l'action valoir moins de 30$.
Sans compter qu'entre son clair leadership actuel et ses avantages concurrentiels, VistaPrint pourrait très bien devenir elle-même une cible d'acquisition et faire gagner des années à l'acquéreur.
Donc, dans une optique 5 ans, je pense qu'on peut sans problème acheter du VistaPrint qui est autour de 27/28$ actuellement. Je mettrais - dans les grandes lignes - 50% de chances de faire du x2, 30% de chance de faire du x3 voire plus et 20% de chance de faire du 0%.
Par ailleurs, le fondateur et Président, Robert Keane, reste toujours un actionnaire important, cette participation et cette stabilité sont pour moi des éléments positifs.
De plus, comme on le constatera dans le graphique ci-dessous, au cours des 6 dernières années (ils ont été introduit sur le Nasdaq en septembre 2005) VistaPrint a déja expérimenté des chutes assez drastiques de son cours de bourse...pour toujours s'en remettre !
Comme toujours, il n'y a cependant pas d'urgence, l'action a subit un sacré revers, il y a un aveu lourd et un changement tout aussi lourd de politique commerciale et d'investissement, donc des éléments factuels forts, et l'action ne devrait probablement pas se remettre à booster à court terme. Les investisseurs sont très refroidis par ce subit changement d'orientation, même si, sur le fond et dans une perspective long terme, j'estime qu'il est sain et même nécessaire.
Et avec un EPS de 1,1 à 1,2$ annoncé pour FY2012, VistaPrint est valorisée 25x les résultats, ce qui n'est pas non plus spécialement bon marché.
Reprenons la comparaison avec Amazon : c'est aujourd'hui une entreprise de 40Mds$ de CA, 1Mds$ de bénéfice et valorisée environ 100Mds$. Je n'ai aucun problème à imaginer un Amazon réalisant plus de 200Mds$ de CA dans 10 ans, car eux aussi jouissent d'avantages concurrentiels majeurs dans ce qui est une opportunité colossale.
Avec 200Mds$ ils pourraient bien réaliser 10Mds$, et même 15Mds$ de profits en étant fou. Cela nous donnera une valorisation entre 150 et 200Mds$ certainement...contre déja 100Mds$ actuellement. Cela fait une croissance, mais pas une petite croissance. La raison en est qu'en étant déja valorisée 100x ses bénéfices actuellement, l'upside ne peut-être que faible.
Encore une fois, on peut avoir une société exceptionnelle, et Amazon l'est, mais the price ain't right !
Few bets, big bets, unfrequent bets. Ce sur des sociétés aux modèles de grande qualité, avec des avantages concurrentiels pérennes sur des opportunités de marché largesn (et après, on laisse faire le temps, l'effet snowball). L'heure n'est pas encore venue - pour moi - de miser sur Amazon, j'espère que cela viendra, mais sur VistaPrint, si.
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