Je reviens sur la problèmatique évoquée hier à propos de Steve Jobs et d'Apple sur le choix du CEO dans la création de valeur.
C'est une question difficile, complexe, et en aucun cas je ne prétends en venir à bout ici ! Juste donner un petit éclairage.
L'exemple d'Apple est certainement le plus marquant et le plus emblématique : l'éviction de Steve Jobs en 1985 n'a pas réellement crée de valeur, la société vivotant plus ou moins bien entre 1985 et 1996, avant de subir un fulgurant coup d'accélérateur au retour du fils prodigue en 1997.
Indubitablement, c'est la vision de cet homme, et les directions qu'il a tracées pour Apple, qui ont d'une part permis le lancement de la firme entre 1976 et 1985, puis son renouveau et son exceptionnel essor, avec une valorisation x30 en 10 ans depuis 1997.
Il est difficile d'établir des "lois" dans les affaires et dangereux d'établir des généralités. Il n'y a souvent que des cas particuliers et il faut manier les analogies avec prudence. Néanmoins, de façon très pragmatique, on peut quand même lancer les quelques évidences suivantes :
- 1) Plus une société est dans un secteur en forte mouvance, dont les contours se définissent ou se redéfinissent, avec de multiples options stratégiques disponibles, ce qui est en général le cas dans une création et dans les secteurs high tech (dont Internet), plus elle a besoin à la tête d'un visionnaire qui voit loin et clair, qui ressent nettement les choses et qui sait aiguiller la société dans les bonnes directions.
Difficile de déterminer a priori qu'une personne est un "visionnaire", c'est le genre de chose que l'on ne peut déduire qu'après coup, lorsque l'entrepreneur a prouvé concrètement qu'il avait su manoeuvrer et faire croître sa société dans un environnement instable et/ou multiformes..
- 2) Dans une société qui opére dans un environnement plus stable, normé, dans un secteur mieux/bien balisé, la prime est mise sur l'excellent gestionnaire avant tout, ce qui est la aussi parfaitement logique. La création de valeur vient de l'exécution rigoureuse, pas d'une imagination débordante (qui peut finalement s'avérer dangereuse).
- 3) De fait, bien souvent, les cadres supérieurs de grandes organisations sont amenés avant tout à gérer (voire à restructurer, mais cela fait appel aux mêmes qualités). Il ne leur ai pas demandé d'avoir une vision, le sujet n'est pas là. Ils progressent dans les corporate ranks grâce à leur talent de gestionnaire d'abord, puis, et de plus en plus au fil de leur carrière, grâce à leur sens politique.
En milieu de carrière, vers la quarantaine, on peut supposer que le cadre sup d'une société importante qui a de belles responsabilités a essentiellement fait la preuve de ses qualités de gestionnaires ainsi que d'un certain sens politique.
A noter que le point ici n'est pas de séparer les dirigeants en 2 clans, celui des gestionnaires purs et celui des visionnaires purs. Ce serait non seulement caricatural mais également faux : ces 2 qualités (vision et exécution) existent souvent en même temps chez les êtres, mais à des degrés variés. Et il y a de très rares énergumènes qui les possèdent toutes les 2 à haute dose. Enfin, vision sans exécution ne sert pas à grand chose !
Pour réussir il faut des 2, mais il est des environnements ou le levier de création de valeur repose avant tout sur une très grande vision clairvoyante, comme il est des environnements où la création de valeur repose avant tout sur une exécution parfaite.
Prenons un secteur bien balisé comme celui des "BRSA", boissons rafraichissantes sans alcool, que j'ai bien connu chez PepsiCo. Si Coca et PepsiCo sont 2 sociétés bien gérées, des vrais modèles d'exécution rigoureuse à l'américaine, il y a quand même eu chez PepsiCo un homme un peu plus visionnaire qui a su mettre la société sur le chemin des boissons "saines" avant l'autre : eau en bouteille, jus de fruit, etc...Résultat, avec le temps, alors que PepsiCo était 2 fois plus petit que Coca il y a 10 ans (en market cap), Pepsi et Coca sont maintenant quasiment de même taille. La vision, même sur ce secteur balisé, a quand même fait une sacré différence : la market cap de Coca a cru de 10 Mds $ en 5 ans, celle de PepsiCo de 60 Millards environ (cf chart ci-contre).
Dans un environnement encore en définition, multi-formes, avec une société moins solide, une mauvaise vision aurait sans doute anéanti la société (combien des concurrents de Photoways en 2000 ont disparu ?). Dans le cas de Coca, la seule bonne exécution leur a quand même permis de croître.
Par contre, ce qui est aussi juste que pragmatique, c'est qu'il y a des dirigeants qui ont concrètement prouvé certaines choses, et d'autres qui ont prouvé d'autres choses de façon tout aussi tangible ! Rares sont ceux qui ont prouvé qu'ils savaient tout faire. Certains, qui ont prouvé qu'ils étaient d'excellent gestionnaires, sont peut-être aussi des visionnaires, mais ils ne l'ont pas encore démontré.
Le tout, dans le choix du CEO, est de ne pas se tromper sur ce que l'on veut réellement et de mettre le curseur au bon endroit ! Il faut comprendre ce dont on a vraiment besoin d'un côté (ce qui est déja en grand débat en soi), et voir ce que les candidats potentiels ont concrètement prouvé au cours de leur carrière de l'autre.
Prendre un gestionnaire avéré dans un environnement qui demande manifestement une vraie vision originale et un sens aigü des chemins à prendre, c'est forcément prendre un risque sur la création de valeur future !
Récemment, un ami me disait à propos d'une société dont il était actionnaire, quelque chose comme : "je me retire maintenant du capital parce que le nouveau CEO n'a aucune vision, il ne me fait pas rêver, ce n'est pas lui qui va amener la société très loin. Il sait rassurer, mais c'est tout". Dans ce cas là, le nouveau CEO était bien un manager éprouvé issu d'un grand groupe.
J'imagine volontiers que l'idée de s'imposer "visionnaire" plaît au cadre dirigeant formatté d'un grand groupe, mais cela ne correspond pas forcément à la réalité.
Et l'inverse est bien entendu vrai. Dans un environnement qui demande essentiellement une exécution rigoureuse, il serait dangereux de prendre un dirigeant qui a prouvé son sens du marché et prouvé qu'il savait déployer une vision originale, mais pas ses talents de gestionnaire au quotidien.
Enfin, contrairement à de nombreuses personnes, j'ai l'intime conviction qu'un excellent gestionnaire l'est quel que soit le secteur qu'il a à gérer. Il n'y a pas vraiment de secteur spécifique et difficile, ils le sont tous, mais il faut à chaque fois s'adapter. Ce qui est aussi pour le coup une qualité de management.
Le management, c'est de la rigueur, de l'organisation, de la motivation et de la gestion des hommes, une attention sans relâche à de nombreux détails opérationnels. Ces qualités sont transversales, elles ne sont pas liées à un secteur.
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